Nouvel accroc transatlantique autour des sanctions américaines

  • AFP
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La levée de boucliers suscitée en Europe par la proposition de nouvelles sanctions américaines contre la Russie rappelle de précédentes disputes transatlantiques sur le vaste champ d'application de la "Lex Americana".

D'où vient la dispute?

Le Sénat américain a adopté jeudi à la quasi-unanimité une proposition de loi prévoyant d'imposer de nouvelles sanctions contre Moscou et ciblant notamment des infrastructures cruciales pour les Européens: les pipelines permettant d'acheminer le gaz russe.

Le texte, qui doit encore être approuvé par la Chambre des représentants et signé par Donald Trump, donne ainsi au président américain le droit de sanctionner les entreprises qui fourniraient des biens, des services ou des technologies facilitant "directement" la maintenance ou la construction de pipelines par la Russie.

Le texte cible plus précisément les investissements dont la valeur dépasserait 1 million de dollars par opération ou dont la valeur totale excéderait 5 millions de dollars sur 12 mois.

Le nouvel arsenal prévoit notamment de limiter la capacité d'emprunt des entreprises sanctionnées auprès des banques américaines, de les priver de tout appel d'offres public aux Etats-Unis et de limiter la possibilité pour des Américains d'acheter leurs actions.

Pourquoi l'Europe gronde?

Si elle avait force de loi, cette disposition pourrait affecter plusieurs grandes entreprises européennes qui participent au financement du gazoduc Nord Stream 2 qui doit permettre d'accélérer l'acheminement de gaz russe vers l'Allemagne à partir de 2019.

Potentiellement visés, le français Engie, les allemands Uniper (ex-EON) et Wintershall (BASF), l'autrichien OMV et l'anglo-néerlandais Shell sont partenaires de ce projet à 9,5 milliards d'euros.

Dans leur proposition de loi, les élus ne font d'ailleurs pas mystère de leur opposition à ce gazoduc, également critiqué par le président du Conseil européen Donald Tusk.

Les Etats-Unis "continuent de s'opposer au gazoduc Nord Stream 2 étant donné ses impacts négatifs sur la sécurité énergétique de l'Union européenne", et doivent par ailleurs "favoriser" l'exportation de gaz américain pour soutenir leurs emplois, ont écrit les élus, suscitant l'ire de l'Allemagne et de la France.

La vigueur de la réaction européenne tient au fait qu'une "ligne rouge" a été franchie avec cette proposition de loi, assure à l'AFP Rory MacFarquhar, un ancien conseiller du président Barack Obama.

"L'approche de l'administration Obama était que les sanctions seraient plus efficaces s'il y avait une unité entre les Etats-Unis et l'Europe sur les objectifs et les cibles", assure-t-il.

"Cette unité nécessitait que les Etats-Unis respectent certaines lignes rouges, et notamment la principale qui voulait que les sanctions ne devaient pas affecter l'approvisionnement en gaz de l'Europe. Le Sénat a mis en pièce cette approche", ajoute cet expert du Peterson Institute for International Economics.

Quelles sont les précédentes frictions sur la Lex Americana?

Ce n'est pas la première fois que l'extraterritorialité des lois américaines provoque des frictions de part et d'autre de l'Atlantique.

La loi américaine FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) de 1977 qui permet ainsi aux Etats-Unis de traquer les malversations d'une entreprise partout sur le globe dès lors qu'elle est cotée à Wall Street ou que ses transactions transitent par le circuit financier américain.

Plusieurs entreprises européennes ont déjà été prises dans ses filets. En 2008, l'allemand Siemens a dû s'acquitter de 800 millions de dollars pour des versements de pots-de-vin en Argentine ou au Venezuela.

En 2014, c'est le français Alstom qui a dû s'acquitter de 772 millions de dollars pour des faits de corruption en Indonésie, Egypte, Arabie Saoudite et Bahamas.

Mais la querelle transatlantique la plus emblématique n'est pas liée à la loi FCPA mais aux violations d'embargos.

En 2014, la banque française BNP Paribas avait ainsi dû verser 8,9 milliards de dollars pour des transactions menées hors des Etats-Unis mais présentant le tort d'avoir été conclues avec des pays sous embargo américain (Iran, Soudan, Cuba).

Plusieurs voix en France avaient alors exprimé leur colère, certains évoquant même un "détournement de pouvoir" des Etats-Unis.

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