La vision de…
Samuele Furfari

Professeur de géopolitique de l'énergie à l’Université libre de Bruxelles
Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels

2050, c'est dans 33 ans. Il y a 33 ans, nous étions en 1984, en plein contre-choc pétrolier. Après le tremblement du monde suite aux deux chocs pétroliers consécutifs provoqués par l'OPEP, le prix du pétrole était tombé si bas qu'aujourd'hui encore, tout nouveau contre-choc pétrolier constitue un épouvantail pour l'Arabie saoudite. Qu'est-ce qui avait permis cette contre-révolution et mis en échec la stratégie de l'OPEP ? Tout d'abord, l'abandon de la consommation de produits pétroliers dans les centrales électriques (à l'époque, le prix du brut était si bas que l'on pouvait se permettre le luxe de l’utiliser pour produire de l'électricité). La maturation de la technologie nucléaire et le développement de technologies modernes de combustion de charbon ont changé la donne. Ensuite, la mise en œuvre de technologies plus efficientes, notamment dans le secteur de l'automobile, avait donné lieu à des économies d'énergie qui ont permis de réduire la consommation de pétrole. Cela se résumait à l'époque par un slogan lancé par la Commission européenne : COCONUC pour « COal, COnservation and NUClear ». Les résultats ont été au rendez-vous et ont suscité un retour à la sérénité énergétique.

Ce bref flash-back a pour but de souligner que ce sont avant tout les solutions technologiques qui nous ont permis de sortir des crises énergétiques. Il en sera de même à l'avenir : ce seront les technologies qui continueront à formater la scène énergétique. L'énergie est souvent abordée à travers une approche politique, économique ou géopolitique. Bien que pertinente, elle se révèle toutefois insuffisante, voire secondaire. L'énergie est avant tout une question de technologie, de physique et de chimie. Dans le domaine de l'énergie, l’entrée en scène de la diplomatie (ou de la politique) est toujours précédée d’une évolution ou révolution technologique. Ce sont ces percées technologiques qui nous ont conduits dans l'ère de l'abondance énergétique, tant et si bien que notre nouveau souci n'est plus de disposer de l'énergie mais de ne pas trop en consommer pour éviter la pollution. Ces innovations successives expliquent le nouveau paradigme de l'abondance en matière de pétrole et de gaz, abondance qui a abouti à la rupture géopolitique que nous connaissons aujourd’hui.

Le secteur énergétique doit investir davantage dans la R&D et améliorer sans cesse les technologies de production des énergies primaires, tout en limitant leur consommation. Il doit aussi viser à accroître l'efficacité de la consommation des énergies finales, tout en réduisant leur impact environnemental, tout particulièrement en matière de pollution atmosphérique dans les villes.

La première observation qui vient à l’esprit pour 2050 est que la demande mondiale en énergie est destinée à croître. L'Union européenne fera sans doute montre de modération dans sa demande tandis que le reste du monde fera l'inverse, d'une part parce que la population mondiale augmente et d’autre part, parce que 1,3 milliard de personnes dans le monde n’ont pas encore accès à l'électricité et 2,7 milliards utilisent du bois et des excréments(1) pour la cuisson de leurs aliments. La soif de ces populations pour l’énergie ne saurait être réprimée et ce ne sont pas nos économies d'énergie qui vont l'étancher. Le monde est donc appelé à consommer de plus en plus chacune des énergies primaires…

Les entreprises gazières et pétrolières continueront à perfectionner leurs technologies de prospection, de forage et d'exploration afin de produire du gaz naturel et du pétrole bon marché. Les scénarios de l'Agence internationale de l'énergie(2) indiquent qu'il n'y aura pas encore de pic pétrolier à l’horizon 2040 et d'autres études prédisent qu’il n'y en aura pas, même en 2050.  D'une part, le parc automobile passera d’un milliard aujourd'hui à deux milliards en 2040 – fort heureusement les véhicules seront de moins en moins gourmands en énergie, ce qui compensera le plus grand nombre de kilomètres parcourus. D’autre part, la demande pour la pétrochimie et la chimie sera plus forte, ce qui amènera une stagnation de la consommation de pétrole brut. La géopolitique du pétrole étant à présent « pacifiée »(3), il n’y aura plus lieu de redouter des crises pétrolières malgré cette croissance.

Les besoins en électricité dans le monde seront tels qu'on ne pourra pas se passer du charbon, ce qui nécessitera des meilleures technologies de combustion et d'abattement des émissions. Le gaz pénétrera sans doute encore plus le secteur de la production électrique. Dans les deux cas, grâce aux nouveaux aciers, le rendement des centrales sera de plus en plus performant.

Le nucléaire s’offrira une nouvelle jeunesse grâce au développement de petites centrales modulaires (SMR – Small Modular Reactors), dont la toute première installation devrait être opérationnelle dans l'État de l'Utah en 2025(4). Les recherches financées par le Department of Energy américain ont permis le développement de ces concepts de réacteurs plus petits et modulaires, ce qui réduit drastiquement le coût d'investissement, problème majeur de la filière nucléaire aujourd'hui. En Belgique, le nouveau réacteur de recherche Myrrha piloté par un accélérateur de particules linéaire semble très prometteur. Le machine, refroidie par un alliage de plomb et de bismuth et sous-critique, est sûre et peut être arrêtée instantanément. Elle devrait servir de prototype aux futurs réacteurs nucléaires de 4e génération.

Quid des énergies renouvelables ? Ce sera l'électrochimie qui sera à l’avant-scène. Grâce à la catalyse, on parviendra à produire de la photosynthèse artificielle. Comme les plantes, des molécules organiques se créeront à partir d'eau, de CO2 et de rayonnement solaire. Il conviendra de multiplier considérablement la vitesse de réaction pour y parvenir; c'est le but visé par exemple par l’équipe de recherche du Professeur Fontecave du Collège de France.

Dans le monde pétrolier et gazier, les techniques traditionnelles de prospection ont connu un véritable chamboulement depuis l'introduction de la technologie de l'information et notamment celle du « big data », appelée à connaître un développement massif dans le domaine de la demande d’énergie.  Le futur ne sera pas axé sur la chasse au gaspillage, ni sur la culpabilisation des consommateurs, ni sur la restriction du nombre de véhicules. La technologie de l'information envahira le monde de l'énergie en profondeur. La « Smart Energy » nous fournira des réseaux électriques intelligents, des villes intelligentes, des véhicules intelligents et surtout des maisons intelligentes, les bâtiments étant les lieux où l’énergie est la plus utilisée et la plus inefficacement.

Sans énergie, il n'y a tout simplement pas de vie. Puisque très rares sont ceux qui veulent vivre dans le genre de confort qu’a connu le Roi-Soleil, les chercheurs poursuivront leurs travaux afin de répondre à l'appel des pères fondateurs de l'Union européenne lors de la Conférence de Messine en 1955, qui affirmait alors qu’il n'y aurait « pas d'avenir (pour la Communauté) sans énergie abondante et bon marché ». En 2050, il n'y aura ainsi pas d'avenir pour le monde sans une énergie abondante, bon marché mais aussi « propre ». L'avenir de l'énergie est radieux.

parue le
23 mars 2017

Sources / Notes

  1. La vie sans énergie moderne : pauvre, misérable et brève, Samuele Furfari, Paris, L'Harmattan, décembre 2016.
  2. World Energy Outlook 2016, AIE, novembre 2016.
  3. « Après quarante années vécues dans la peur de la fin du pétrole et l’urgence de trouver des énergies alternatives, sous la menace d’embargos pétroliers et plus récem­ment gaziers, il est temps de communiquer au grand public la bonne nouvelle que la quarantaine a pris fin », principalement en raison de la révolution du gaz de roche-mère, indique Samuele Furfari. Vive les énergies fossiles, Samuele Furfari, Texquis, 2014.
  4. Thomas Mundy, NuScale Power, experience, vision and SMR concept, Séminaire Agoria, Bruxelles, 8 novembre 2016.