Pierre Daurès – Ancien Directeur Général d’EDF

Consultant depuis 2006

Ancien Directeur Général d’EDF

Carrière à EDF et Gaz de France de 1966 à 1999

Directeur Général Adjoint du Groupe Bouygues de 1999 à 2005.

Pour quelle raison arrêterait-on de façon anticipée les deux tranches de Fessenheim ? Certes, l’autorité publique peut décider cet arrêt selon des procédures légales mais elle ne l’a pas encore fait. On peut donc en discuter.

Disons le, aucune raison de sûreté, économique ou stratégique ne justifie, aujourd’hui, une décision de ce type.

La sûreté d’abord. Les deux tranches ont été complètement révisées et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), indépendante et souveraine en la matière, s’est prononcée. Après vérification des opérations sur la tranche 1, elle a, le 4 juillet 2011, autorisé son exploitation pendant 10 ans. Puis, le 3 juillet 2012, examinant les dispositions prises pour tirer les leçons de Fukushima, elle a indiqué que « les installations examinées présentent un niveau de sûreté suffisant pour qu’elle (ASN) ne demande l’arrêt immédiat d’aucune d’entre elles ».

Si, comme on peut le penser, l’avis sur la tranche 2 est également positif, cela signifiera que l’exploitation des 2 tranches est sûre et que rien, sur ce plan, ne justifie leur arrêt avant dix ans.

L’économie ensuite. EDF a dépensé entre 700 et 800 millions d’euros par tranche pour les mettre au meilleur état de sûreté possible et améliorer leurs performances. Si on anticipe leur arrêt, en 2016, EDF devra trouver de l’énergie de remplacement d’origine thermique et forcément plus chère. 

Le surcoût serait de l’ordre de 400 millions d’euros la première année (outre les dépenses de rénovation inutiles) ou de 1 milliard d’euros / an en moyenne actualisée pendant dix ans. En période de crise, est-il raisonnable d’imposer cette surcharge aux consommateurs et à l’économie ? De le faire sans nécessité et en augmentant les émissions de CO2 ?

La stratégique énergétique enfin. La « transition » mise en débat vise à réduire les émissions de CO2, à développer les renouvelables et à réduire les consommations par une meilleure efficacité énergétique. Pour varier le mix énergétique, on demanderait au nucléaire de s’effacer au profit des renouvelables et l’arrêt de Fessenheim serait le symbole de cette stratégie.

Avant d’en décider, un certain nombre de questions sont posées. Pour décarboner l’énergie, est-il prioritaire de remplacer le nucléaire qui en est exempt par des renouvelables plus chères ? Si oui, est-on sûr que ce remplacement pourra se faire à temps et de façon économique ? En cas de difficulté dans la mise en œuvre admet-on de réémettre du CO2 et/ou de charger l’économie de coûts plus élevés ? Aura-t-on l’argent nécessaire pour, à la fois, investir massivement dans les renouvelables, démanteler le nucléaire et améliorer l’efficacité énergétique de nos bureaux, nos logements et nos processus industriels… sans grever l’économie ?

Aujourd’hui, personne ne peut dire si la réduction du nucléaire est supportable, quel programme serait optimal pour le faire ni, a fortiori, quand il faut commencer ! Arrêter Fessenheim avant d’avoir établi une stratégie énergétique pesée et robuste, consiste à brûler nos vaisseaux sans raison à grands frais et à grands risques !

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