Bay du Nord : le Canada face au dilemme d'un grand projet pétrolier offshore

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Ce sera leur premier véritable test environnemental : six mois après sa réélection, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et son nouveau ministre de l'Environnement, l'ex-activiste pour le climat Steven Guilbeault, doivent statuer sur le sort d'un important projet pétrolier offshore controversé.

Le dilemme est tel que la décision a déjà été reportée deux fois ces derniers mois. Et le nouveau contexte international, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, pourrait encore compliquer la donne. Quatrième producteur mondial de pétrole, le Canada est assis sur des réserves énormes. Mais Justin Trudeau, qui a pris des engagements climatiques forts pendant la campagne électorale, affirmait en octobre dernier qu'il fallait "s'assurer que l'industrie pétrolière et gazière arrête d'augmenter ses émissions et commence à les réduire".

Ce projet, nommé Bay du Nord et porté depuis des années par le géant norvégien Equinor, permettrait d'exploiter un gisement pétrolier à plus d'un kilomètre de profondeur dans l'océan Atlantique, à 500 kilomètres au large de la province de Terre-Neuve. Il s'agirait de la cinquième du genre au Canada et cela permettrait d'extraire environ 300 millions de barils de pétrole sur 30 ans, selon l'entreprise.

Ottawa fait face à un "très gros dilemme", estime Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste du secteur de l'énergie. Entre secourir une province pétro-dépendante plongée dans un gouffre financier et passer de la parole aux actes en renonçant à ce projet. "Si je devais parier, je pense qu'il y a une chance légèrement supérieure qu'il refuse" de poursuivre le projet, affirme-t-il à l'AFP.

Justin Trudeau a souvent été critiqué ces dernières années par les écologistes pour ses décisions liées au secteur pétrolier, notamment pour avoir nationalisé en 2018 un oléoduc, puis avoir versé une aide de 320 millions de dollars aux travailleurs du pétrole de Terre-Neuve, en 2020.

Pour Équiterre, l'une des plus grandes organisations écologiques du Québec, le gouvernement Trudeau doit sans hésiter rejeter Bay du Nord. "Le Canada est vraiment très loin d'atteindre ses cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES)", estime Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques pour l'association. Son organisme a été cofondé par celui qui est devenu ministre de l'Environnement l'automne dernier.

Steven Guilbeault devra rendre la décision du gouvernement d'ici mi-avril. Mardi, un consortium scientifique britannique a estimé que les pays producteurs de pétrole et de gaz les plus riches devraient cesser d'ici 2034 toute production pour espérer contenir le réchauffement climatique à 1,5°C.

« Semaines décisives »

L'an dernier, le gouvernement Trudeau avait annoncé vouloir réduire les émissions de GES de 40 à 45% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Il n'a cependant pas expliqué comment il parviendrait à atteindre cette cible, qui est inférieure à celle de l'Union européenne et des États-Unis, premier producteur de pétrole de la planète.

"Ce n'est pas en misant sur une industrie moribonde qu'on va régler le problème", renchérit M. Boisseau-Bouvier. Selon lui, "les prochaines semaines vont être décisives" pour le Canada, puisqu'Ottawa doit aussi dévoiler sous peu son plan de réduction des GES.

Mais à Terre-Neuve, province très endettée au taux de chômage record, ils sont nombreux à rêver des milliers d'emplois et des milliards de dollars en redevances promis par le projet. "Bay du Nord sera de loin la meilleure plateforme extra-côtière sur le plan des émissions", a défendu le Premier ministre provincial Andrew Furey.

Le projet a été examiné par l'Agence d'évaluation d'impact du Canada, organisme qui relève du ministre fédéral de l'Environnement. Elle a conclu en août que Bay du Nord "n'est pas susceptible d'entraîner d'effets environnementaux négatifs importants".

Mais "le Canada ne peut pas respecter ses engagements climatiques et accroître sa production de pétrole et de gaz", estime Angela Carter, professeure à l'Université de Waterloo, affirmant qu'"on ne peut pas vouloir le beurre et l'argent du beurre".

Le Canada, quatrième producteur mondial de pétrole, a annoncé jeudi une augmentation d'environ 5% de ses exportations de pétrole pour répondre "aux demandes d'aide" de ses "alliés, aux prises avec des pénuries" en raison du conflit en Ukraine.

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