Détroit d'Ormuz: déséquilibre des forces et guérilla navale

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Le futur déploiement d'un millier de soldats américains supplémentaires au Moyen-Orient renforce le déséquilibre des forces dans la région, face à une armée iranienne rompue aux tactiques de la guérilla en mer et qui refuserait une confrontation frontale perdue d'avance, estiment des experts.

Le Pentagone, qui a annoncé lundi ce futur déploiement, n'a pour l'instant pas précisé où et quand ce nouveau contingent serait envoyé dans la région. Il s'ajoute aux 1 500 soldats américains supplémentaires dont l'envoi a été annoncé fin mai, avec des appareils de reconnaissance et de surveillance et un escadron de douze avions de chasse.

L'administration américaine de Donald Trump, farouchement hostile à l'Iran, a justifié Les renforts par ce qu'elle a qualifié de "menaces persistantes" contre ses forces émanant du "plus haut niveau" du gouvernement iranien.

Une éventuelle guerre ouverte entre l'Iran et les Etats-Unis opposerait donc l'hyperpuissance américaine, avec la Ve flotte basée à Bahreïn, des bases dans plusieurs pays de la région, des portes-avions, des alliés saoudiens et israéliens à un Iran isolé, à l'économie affaiblie par des années de sanctions et aux moyens militaires limités -vedettes rapides, mouilleurs de mines, missiles terre-mer -, dont le fer de lance est constitué des Gardiens de la Révolution.

Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, de l'institut franco-belge Thomas More, "les doctrines et moyens iraniens s'inscrivent dans la logique d'une guérilla navale, du faible au fort. L'objectif serait d'infliger des dommages hors de proportion (...) En misant sur le refus (des États-Unis) d'une escalade". Dans des eaux qu'ils connaissent par coeur, les Iraniens peuvent poser des problèmes à la flotte américaine, même s'ils ne pourront jamais rivaliser en termes de puissante brute, soulignent les experts.

« Essentiellement psychologique »

"Les États-Unis doivent également prendre en compte les conséquences d'une possible confrontation directe avec l'Iran sur le rapport global des forces avec la Chine populaire et la Russie", confie Jean-Sylvestre Mongrenier à l'AFP.

"Depuis la révolution de 1979 et la guerre Iran-Irak, les autorités iraniennes ont testé et développé de nouvelles stratégies qui visent à leur assurer une victoire partielle, voire incertaine, mais essentiellement psychologique", relève le Centre d'études supérieures de la marine française.

Ce Centre consacre un document à "la stratégie navale asymétrique iranienne", similaire au courant doctrinaire français de la "Jeune école" au XIXe siècle qui prônait la multiplication de petits navires rapides plutôt que de puissants cuirassés dont disposaient les Anglais.

"Les modes d'action iraniens comprennent la pose de mines dans le détroit d'Ormuz (mines de fabrication russe, chinoise et nord-coréenne, mais aussi iranienne), le harcèlement des unités navales américaines par des vedettes rapides (armées de lance-roquettes et de missiles à courte portée) ainsi que l'usage de missiles antinavires sol-mer", explique M. Mongrenier.

L'environnement particulier du détroit d'Ormuz, étroit et peu profond, jouerait aussi un rôle prépondérant. Les forces iraniennes "concentreront leur puissance de feu asymétrique et leurs efforts au point le plus étroit du détroit, où le passage de l'ennemi est connu à l'avance, le ciblage facile, et la fuite difficile", écrit James Holmes du Naval war college américain, dans la revue National Interest.

Ce ne pourrait pas être "une guerre navale au sens strict du terme. Il n'y aurait pas de confrontation en pleine mer de forces équivalentes", ajoute-t-il.

Opération « Mante religieuse »

"Donc ne faites pas l'erreur de comparer les forces et conclure que l'US Navy écraserait les forces iraniennes sous le nombre de ses bâtiments, avions et armements. Seule une partie des forces navales américaines feront face aux forces iraniennes, pas seulement maritimes, mais aussi de l'appui feu depuis les côtes", selon M. Holmes.

En 1988, l'opération "Praying Mantis" ("Mante Religieuse") lancée par l'US Navy contre des plateformes pétrolières et des bâtiments iraniens illustre ce déséquilibre des forces. En pleine guerre Iran-Irak, Téhéran avait miné des zones de passage dans le détroit d'Ormuz, que les États-Unis s'étaient, comme aujourd'hui, engagés à maintenir ouvert. Le 14 avril 1988, la frégate USS Samuel B. Roberts heurte une mine et manque de couler. Il n'y a pas eu de victimes.

En représailles, l'armée américaine a lancé une vaste offensive avec des opérations de commando, le lancement de missiles et des bombardements aériens, contre deux plateformes pétrolières qui servaient selon le Pentagone de point de départ pour les vedettes rapides iraniennes et contre des patrouilleurs et frégates iraniennes, qui ont été coulés.

Dans cette bataille navale, près de 90 soldats iraniens ont été tués et quelque 300 blessés, contre deux pilotes américains tués dans la perte de leur hélicoptère.

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