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Les mauvaises nouvelles se sont multipliées dernièrement sur les chantiers EPR, à Flamanville et en Angleterre, compliquant la donne pour EDF mais aussi pour le gouvernement français, en pleine réflexion sur une réorganisation de l'entreprise et sur l'opportunité de lancer de nouveaux projets.
L'électricien a annoncé cette semaine qu'il comptait utiliser des robots pour réparer des soudures du réacteur nucléaire EPR en construction à Flamanville (Manche), une opération qui alourdira encore la facture de 1,5 milliard d'euros, évaluée désormais à 12,4 milliards. Une hausse des coûts était attendue, mais ils "sont légèrement plus élevés" que ce qui avait été anticipé, ont réagi les analystes de RBC Capital Markets dans une note.
Dans le meilleur des cas, le combustible nucléaire sera chargé fin 2022, avec trois ans de retard sur le dernier calendrier en vigueur. Le réacteur devait initialement être mis en service en 2012. La solution avancée par EDF doit toutefois être validée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l'an prochain, avant un début des travaux. Si EDF devait avoir recours à son "plan B" - avec une extraction des tuyaux concernés pour les réparer - cela devrait encore prendre un an de plus et coûter 400 millions d'euros supplémentaires.
Le gouvernement, qui multiplie les signes d'impatience depuis quelques mois, a encore déclaré cette semaine qu'il ne peut "pas se satisfaire de cette situation et attend des explications". Un audit, confié à l'ancien patron de PSA Jean-Martin Folz, doit lui être remis d'ici fin octobre.
Le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, n'a pas attendu les conclusions de cet audit pour promettre des "décisions concrètes" sur la filière, dont il admet qu'elle traverse des "moments difficiles". Il vient aussi de nommer un nouveau directeur au projet de l'EPR de Flamanville, Alain Morvan. "Ce n'est pas la première fois que l'on change la tête mais après, est-ce que ce n'est vraiment que la tête qui est défaillante ? Le problème est plus profond que ça", juge Thierry Raymond, secrétaire syndical central CGT de EDF SA. "Pour faire ce genre de chantiers, on est en déficit de compétences" et face à "un problème de sous-traitance exacerbée", juge-t-il.
« Risques »
Mais les soucis ne s'arrêtent pas là pour EDF, dont la filiale Framatome n'a pas respecté les règles sur des soudures lors de la fabrication de certains générateurs de vapeur, de gros composants des centrales. Certaines de ces pièces équipent des réacteurs en fonctionnement, tandis que d'autres sont justement destinées à l'EPR. EDF estime ne pas avoir à arrêter de réacteur, mais l'ASN doit encore se prononcer très prochainement.
À l'étranger, le groupe connaît également des difficultés en Angleterre, où son énorme chantier de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point C devrait coûter jusqu'à 3,3 milliards d'euros de plus que prévu. La multiplication de ces déboires menace un peu plus l'équilibre financier de l'entreprise, déjà très lourdement endettée.
L'agence de notation S&P Global Ratings a ainsi abaissé jeudi soir à "négative" la perspective de la note "A-" qui évalue sa solvabilité. Cette révision reflète les "risques opérationnels accrus liés à une mauvaise gestion de nouveaux projets nucléaires complexes et la réduction potentielle de la marge de manoeuvre financière si d'autres risques se matérialisent", a-t-elle justifié.
C'est en partie pour résoudre l'impossible équation financière d'EDF - qui doit investir massivement dans le nucléaire mais aussi se diversifier dans les renouvelables - que le gouvernement envisage une réorganisation de l'entreprise, contrôlée à 83,5% par l'État. Mais le dossier, qui suppose des discussions avec la nouvelle Commission européenne, a pris plusieurs mois de retard : Jean-Bernard Lévy a prévu qu'il ne pourrait pas rendre ses conclusions à la fin de l'année comme prévu.
Au-delà, les déboires de l'EPR représentent un sérieux casse-tête pour la France, qui veut avoir les cartes en main à la mi-2021 pour lancer la construction éventuelle de nouveaux EPR afin d'anticiper le remplacement de réacteurs vieillissants. Or le gouvernement ne veut pas se prononcer avant que Flamanville ait fait ses preuves. Un conflit de calendrier qui risque de se traduire par "un énième recul" pour le lancement de nouveaux chantiers, craint Thierry Raymond.