Nucléaire : l'État veut réorganiser les experts de la sûreté, craintes concernant l'indépendance

  • AFP
  • parue le

Le gouvernement veut transférer les compétences de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) vers d'autres institutions, visant des "synergies", mais les syndicats craignent pour l'indépendance de ces experts de l'atome, au moment où l'Etat veut lancer un nouveau programme nucléaire.

Le ministère de la Transition énergétique a annoncé mercredi vouloir réunir "les compétences techniques" de l'IRSN, vigie scientifique du risque radiologique, avec celles de l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire), gendarme du nucléaire civil.

Il veut être en outre "vigilant à prendre en compte les synergies" avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND).

Cette mesure a été décidée lors du "Conseil de politique nucléaire" réuni le 3 février par Emmanuel Macron et qui a "pointé l'importance de conforter l'indépendance et les moyens de l'ASN", ajoute le ministère dans son communiqué.

La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a demandé aux responsables de l'IRSN, de l'ASN et du CEA de lui proposer d'ici le 20 février de "premières mesures et une méthode de travail pour mettre en œuvre ces orientations".

Une "feuille de route plus détaillée" sera ensuite produite "en vue de la loi de finances 2024", indique son ministère.

Établissement public créé en 2001 et héritier d'une lignée d'instituts, l'IRSN revendique les valeurs d'"indépendance, connaissance, proximité". Doté de 1 700 salariés (chercheurs, chimistes, ingénieurs...), il compte parmi ses missions le suivi quotidien du niveau de la radioactivité en France, mais aussi à l'étranger, et apporte son expertise à l'ASN dans les dossiers concernant notamment le parc nucléaire de l'hexagone.

Principale crainte des syndicats : la remise en question de la structure "duale" du système français, qui prévoit qu'aujourd'hui l'ASN, gendarme du nucléaire, tranche en se fondant sur les travaux menés par l'IRSN.

Ce système "où la décision et l'expertise sont portées par deux organismes", c'est ce qui fait "qu'il y a deux cultures de métier différentes et un dialogue entre les deux", estime François Jeffroy, délégué syndical central CFDT. Pour lui, "fondre l'expertise dans le lieu de la décision, oui, ce sera une perte d'indépendance". Il s'inquiète aussi du transfert prévu des activités de recherche de l'IRSN vers le CEA.

Même son de cloche à la CGT, syndicat majoritaire à l'IRSN : "l'ASN est une autorité indépendante" mais ses décisions doivent aussi "prendre en compte des enjeux politiques, financiers, d'intérêt stratégique de la nation, etc", dit Philippe Bourachot, son délégué.

Prise de contrôle

Le représentant syndical craint que les experts de l'IRSN n'aient ainsi, à terme, à prendre en compte d'autres enjeux que ceux de la sûreté au sens strict: "il faut laisser un expert technique qui ne travaille que sur la technique, et après, les autorités jugent avec les enjeux qu'elles ont à prendre en compte".

Le ministère assure que "cette évolution conduira à renforcer l'indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire, au sein d'un pôle unique et indépendant", et à "renforcer les compétences et fluidifier les processus d'examen technique et de prise de décision de l'ASN pour répondre au volume croissant d'activités lié à la relance de la filière nucléaire souhaitée par le gouvernement".

Or ce contexte accentue la nécessité de garantir l'indépendance des experts, dit la CFDT, qui redoute une "prise de contrôle de l'ASN sur la partie expertise" visant à "contrôler ces voix qui pourraient être dissonantes": car "des discussions à très fort enjeu vont s'engager", souligne M. Jeffroy, sur la construction de nouveaux réacteurs EPR 2 ou encore sur la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales" existantes.

Son collègue de la CGT craint en outre une "perte de compétences techniques", alors que l'IRSN est déjà confronté à des difficultés de recrutement en raison de la concurrence d'autres acteurs de la filière, qui proposent des salaires supérieurs.

Interrogé par l'AFP, l'IRSN n'a pas fait de commentaire.

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.