Sanctions américaines: en Iran, « c'est le peuple qui souffre »

  • AFP
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Déjà durement frappés par les sanctions économiques américaines contre leur pays, les Iraniens se préparent à des jours plus durs encore après le renforcement annoncé de ces mesures punitives dans le domaine pétrolier.

"Au bout du compte, c'est le peuple qui souffre de la pression qu'exercent" les États-Unis, dit à l'AFP un enseignant de 28 ans rencontré au bazar de Tajrich, dans le nord de Téhéran. Depuis le retour des sanctions américaines en 2018, "il y a des gens qui s'effondrent, et ceux qui restent encore debout cesseront probablement de se battre lorsque les choses empireront", ajoute le jeune homme, qui refuse d'être nommé.

En 2015, la signature de l'accord international sur le nucléaire iranien avait suscité en Iran l'espoir de voir bientôt la fin de l'isolement économique auquel était condamnée la République islamique depuis des années.

Rapidement désabusés, les Iraniens ont cédé à la désillusion totale lorsque le président américain Donald Trump a décidé en mai 2018 de retirer unilatéralement son pays de ce pacte, jugeant qu'il n'offrait aucune garantie solide empêchant l'Iran de se doter de la bombe atomique.

La conséquence de cette décision a été le rétablissement des sanctions américaines qui avaient été levées en vertu de l'accord, et l'officialisation d'une campagne de "pression maximale" des États-Unis contre l'Iran.

Cette politique a franchi un palier supplémentaire lundi avec l'annonce de la fin, dès le 2 mai, des dérogations qui permettaient encore à huit pays d'importer du brut iranien sans contrevenir à la loi extraterritoriale américaine. Après cela, "les recettes du pays vont baisser, naturellement, et le rial va chuter davantage", prédit l'enseignant alors que Washington affirme vouloir "réduire à zéro" les exportations de pétrole de Téhéran pour tarir la source principale de financement de l'État iranien.

« Salaire limité »

L'Iran est entré en récession en 2018. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB du pays a chuté de 3,9% en 2018 et devrait reculer encore de 6% cette année. La chute du rial iranien sur le marché des changes s'est accompagnée d'une forte hausse des prix à la consommation. Le taux officiel d'inflation atteint désormais 51,4% en glissement annuel.

Pour plusieurs spécialistes, le secteur productif et marchand iranien souffre de maux chroniques (secteur bancaire mal en point, bulle immobilière, secteur public hypertrophié) datant d'avant le rétablissement des sanctions américaines, mais la politique de M. Trump contribue largement à la crise économique que traverse le pays.

Au bazar de Tajrich, la foule continue de se bousculer au carré aux fruits et légumes. Mais dans les boutiques vendant des biens non essentiels (parfums, vêtements, objets de décoration...), l'affluence est nettement moindre

"Est-ce que les sanctions me touchent ? Sur quelle planète étiez-vous ces dernières années ?" renvoie avec irritation un marchand à la question d'un journaliste. Une femme au foyer de 55 ans opine. "C'est que nous avons un salaire limité", dit-elle. Quand les sanctions sont revenues, "nous avons été contraints de réduire les dépenses allouées à la nourriture et à la viande pour faire face à la hausse du loyer".

Dans les allées du bazar, la plupart des gens interrogés par l'AFP refusent de voir leur nom cité. Tous se plaignent d'une inflation qui se fait particulièrement sentir sur les prix de l'alimentation et du logement.

« L'écart se creuse »

À cause des sanctions, "l'écart entre les classes sociales se creuse violemment", dit la ménagère : "Maintenant, il n'y a plus que des riches et des pauvres, il ne reste plus rien entre les deux." Les ménages iraniens ont déjà dû couper drastiquement leur budget consacré aux voyages, une tradition à l'époque de Norouz, le Nouvel An iranien (21 mars).

Cité récemment par l'agence de presse officielle Irna, le président de l'Association iranienne des agences de voyages, Amir Pouyane Rafichad, jugeait la situation "terrible", expliquant que "la demande de voyages, que ce soit pour l'étranger ou pour l'Iran a considérablement chuté".

Les autorités iraniennes qualifient de "terrorisme économique" les sanctions américaines contre la République islamique, qu'elles jugent par ailleurs "illégales". Selon l'agence Isna, le ministre du Pétrole iranien, Bijan Namdar Zanganeh, a estimé devant les députés que "le rêve américain de réduire à zéro les exportations de pétrole de l'Iran ne se [réaliserait] pas".

Selon les dernières estimations disponibles, l'Iran a exporté pour 1,9 million de barils de brut par jour en mars. "Compte tenu de la situation du marché", a prédit M. Zanganeh, la décision des États-Unis "va se retourner contre" eux. La ménagère du marché de Tajrich ne se fait, elle, guère d'illusions. La situation "va empirer", assure-t-elle, "les prix vont continuer de monter".

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