Interview : « Investir dans l’oil and gas : un puits ou une manne? »

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Florent Maisonneuve

Florent Maisonneuve est consultant dans le domaine de l'oil and gas chez AlixPartners. (©photo)

Comment réagissent les investissements pétroliers face aux baisses des cours du brut comme celle des derniers mois (actuellement autour de 56$ le baril de Brent) ? Nous avons interrogé sur ce sujet Florent Maisonneuve, Managing Director au sein de la société de conseil AlixPartners.

1) Le secteur oil and gas impose des investissements colossaux de long terme alors qu’il est confronté à un marché instable et imprévisible de court terme. N’est-ce pas un paradoxe ?

Au contraire, l’instabilité vient de ce phénomène : lorsque des investissements très importants sont effectués en production, l’offre peut devenir trop abondante par rapport à la demande et les cours du pétrole chutent. On arrête alors de creuser des forages dans certains champs qui deviennent moins rentables. L’offre va donc progressivement se contracter et atteindre le niveau de la demande, ce qui va faire remonter le prix du pétrole.

Le domaine du pétrole a toujours été marqué par une grande volatilité : les chutes et les hausses de cours ne sont jamais très prévisibles. Elles sont liées au fait qu’il y a beaucoup d’acteurs, que le marché est très fragmenté et que les investissements sont potentiellement très rentables (y compris dans certains champs aujourd’hui avec un baril à 60$). Cela attire forcément du capital et des investisseurs, ce qui perturbe l’équilibre offre/demande.

2) Comment réagissent les investisseurs face à la baisse des cours du pétrole ?

Globalement, les Majors ont très bien résisté. Les investisseurs savent qu’elles peuvent passer l’orage. Elles ont en général effacé deux ans de croissance de capitalisation boursière : BP ou Exxon sont revenues à leur valorisation d’il y a 2 ans. Cela signifie que les analystes ont confiance dans le fait qu’il y a peu de risque sur le long terme, sinon leur cours auraient baissé plus fortement.

En revanche, certaines capitalisations boursières de sociétés de services, étroitement liées à l’exploration offshore, ont été divisées par 2 ou 3. Les analystes savent que ces sociétés vont servir d’amortisseurs lors des arbitrages des dépenses des Majors. Le risque est donc beaucoup plus grand dans leur cas et les investisseurs doutent d’un rebond rapide pour ces entreprises.

3) Dans quelle mesure les pays influencent-t-ils le cycle des investissements et les cours du brut ?

Chaque pays peut bloquer, ralentir ou favoriser des investissements mais pèse peu à l’échelle mondiale. A la fin des années 1990, l’Arabie saoudite avait réussi à faire remonter les cours en fermant la vanne de manière brutale. Aujourd’hui, le pays ne peut plus opérer de la sorte. Il peut avoir un impact psychologique sur les cours mais ce n’est plus évident de dire qu’il peut avoir un impact durable sur ceux-ci.

Aucune organisation n’est aujourd’hui capable à elle seule de faire bouger les cours du pétrole brut. Si l’OPEP baisse par exemple sa production, les autres producteurs risquent d’augmenter leur production et de gagner des parts de marché. Le vrai défi de l’OPEP est donc de s’adapter à un marché qu’elle contrôle peu. On se trouve dans une situation d’équilibre de Nash. (ndlr : aucun acteur ne peut modifier seul sa stratégie sans affaiblir sa position).

4) Comment vont, selon vous, évoluer les investissements dans le domaine ?

L’année 2015 sera marquée par une décroissance d’environ 10% des investissements (en 2014, ils atteignaient environ 1 040 milliards de dollars, dont 754 milliards pour l’exploration/production). De grandes disparités géographiques sont à prévoir, par exemple une baisse de 30% des investissements en Amérique du Nord et une quasi-stabilité au Moyen-Orient.

On pourra voir des investissements s’arrêter par exemple dans des champs de sables bitumineux au Canada qui deviennent moins rentables. Un forage dans le désert en Arabie saoudite reste en revanche très rentable, même à 60 $ le baril. On peut même avoir intérêt à stimuler son investissement pour gagner des parts de marché par rapport aux autres. Il y aura donc une grande inégalité des investissements entre les bassins mais aussi entre les secteurs : le deep offshore va souffrir beaucoup plus que l’extraction terrestre.

L’année 2016 sera une année de transition : les investissements seront au pire stabilisés avant de remonter. D’ici un an et demi à deux ans, la demande va progresser avec la croissance économique et la plus grande consommation de l’industrie face au prix bas des produits pétroliers. Le prix remontera alors et de nombreux champs redeviendront rentables. Mais le marché restera fragmenté et tout pourra à nouveau bouger dans un sens ou dans l’autre avec une brutalité que personne ne pourra anticiper. Les acteurs du pétrole ont toujours connu cela, les dernières années nous l’avaient un peu fait oublier… 

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