COP 21 : 4 mois après, base de départ ou fin du rêve ?

Jean-Louis Caffier, journaliste développement durable

Journaliste spécialisé dans les questions liées au développement durable
Co-fondateur de l'association Climat Energie Humanité Médias et des Entretiens de Combloux.

L’accord sur le climat de Paris est une sorte de coquille vide mais tout le monde était content au sortir de deux semaines de négociations. Tout le monde c'est-à-dire, et d’abord, 195 pays aux intérêts très contradictoires, voire parfaitement incompatibles, mais aussi les négociateurs, les instances de l’ONU, le pays hôte, les entreprises, les journalistes présents ou même la plupart des ONG. Une telle unanimité est rare mais elle peut paraître étrange. Elle est surtout artificielle. Quel est donc le problème ? 

Un de mes amis, ingénieur spécialiste de l’économie et de l’énergie, m’a proposé cet avis éclairé sur l’accord « historique » : « On est soulagé car on se dit que ça aurait pu être pire ! ». Vu sous cet angle... Et mon ami de préciser sa pensée : « avant la COP, j’étais sur une menace de 5 à 6 degrés(1). Aujourd’hui, nous sommes sur 3 à 4 ». Si l’on en croit cet avis hautement autorisé, cela signifie que le premier objectif de cette COP, qui figure dans le texte de l’accord, ne pourra pas être atteint. Et d’ailleurs, les engagements pris, pays par pays, s’ils sont respectés, nous placent sur une hausse de 3 degrés pour la fin du siècle.

Or, le « succès de Paris » repose essentiellement sur l’adoption de cette limite des 2 degrés à ne pas dépasser à l’horizon 2100. Le problème, c’est que cette limite avait déjà été fixée ! C’était lors de la COP de Copenhague en 2009. Elle avait été confirmée à Cancun l’année suivante. À Durban en 2011, il avait été décidé que les outils destinés à atteindre cet objectif devaient absolument être définis en 2015, lors de la COP21, pour une mise en route en 2020.

Tout ce qui gêne, on l’enlève. On ne décide rien mais on ne fâche personne.

Dans la boite à outils censée découler du Bourget, le prix du carbone devait prendre presque toute la place. Nicolas Hulot rappelait en juillet, lors d’une conférence à laquelle j’assistais, que ce prix du carbone était LA condition d’un succès ou d’un échec à Paris. Une initiative sur ce prix du carbone était fermement réclamée par l’OCDE, le FMI, la Banque Mondiale, le Medef, des syndicats, de nombreux think-tanks et ONG. Par exemple, le Medef expliquait dans son manifeste pour la COP « qu’un prix du carbone était le meilleur moyen si ce n’est le seul pour favoriser la transition ». Mais l’outil en forme de couteau suisse a complètement disparu au fil des négociations. Il n’est d’ailleurs même pas fait allusion aux énergies fossiles dans le texte final. Ajoutons que, décidément, pour ne froisser personne dans le monde du CO2, ne figurent pas non plus dans l’accord le transport maritime et le transport aérien, un secteur qui pourrait multiplier par trois ses émissions d’ici à 2050(2). Le processus onusien est toujours le même depuis le début des Conférences Climat, il y a presque un quart de siècle : tout ce qui gêne, on l’enlève. On ne décide rien mais on ne fâche personne.

Toujours côté objectif, il était prévu de fixer des dates pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Là, on monte encore un peu dans l’univers merveilleux du processus onusien et de la recherche permanente de compromis sans aucun sens. L’expression retenue est la suivante : « arrêter la hausse des émissions dès que possible », sans plus de précisions. N’importe qui peut évidemment adhérer, puisque cela n’engage strictement à rien. Les pays qui sont et continueront à être les premiers à souffrir du réchauffement avaient sans doute un sentiment différent. Mais pour eux, il y avait la botte secrète, pointure un degré 5.

Laurent Fabius et François Hollande avaient utilisé ce chiffre dès l’ouverture de la COP. Cela avait beaucoup surpris les spécialistes. Ce degré 5 a été confirmé lors de la dernière séance par le président de la conférence sur un ton triomphant et il figure dans le texte final. Il s’agit là, soyons clair, de la plus grande arnaque de l’histoire des négociations sur le climat. Ce chiffre est clairement inatteignable selon l’avis unanime des scientifiques, à moins évidemment de stopper net demain matin, toute émission supplémentaire de gaz à effet de serre. Mais ce chiffre a atteint son but, pas du tout climatique mais politico-diplomatique : il ne s’agissait que de satisfaire les ONG et les Éétats les plus menacés, africains et insulaires, qui peuvent ainsi rentrer fièrement au pays en se gargarisant d’avoir obtenu un engagement inespéré. Bref, mission accomplie ! Ce degré 5, c’est comme la verroterie, ça brille mais cela n’a strictement aucune valeur.

Le GIEC a fait le calcul : pour ne pas dépasser + 1,5°C, il faudrait entièrement sortir des énergies fossiles en 2024 !

Cet engagement brandi à la tribune comme un trophée arraché au temps qui passe a un autre très gros défaut : il fait croire que lutter contre le réchauffement, c’est facile et c’est sans effort. Le GIEC a fait le calcul : pour ne pas dépasser ce degré 5, il faudrait entièrement sortir des énergies fossiles(3) en... 2024 ! Les diplomates du climat sont-ils incompétents ou manipulateurs ? En tous cas, ils nous prennent vraiment pour des imbéciles.

Ce degré 5 entrera bien dans l’Histoire, mais pas là où la COP 21 nous l’a vendu. Au rythme actuel, ce premier plafond sera atteint, sans beaucoup de doutes, aux alentours de 2050. On ressortira alors cette déclaration pour souligner la prétention, l’aveuglement et surtout le mensonge des dirigeants du monde en 2015. Historique, oui absolument, comme d’autres évènements qui ont marqué négativement l’évolution du monde. On peut aussi, compte tenu des chiffres et des engagements, que l’histoire retiendra que c’est en décembre 2015 à Paris que la communauté internationale a décidé qu’une hausse des températures d’au moins 3 degrés était possible et gérable.

COP21

La COP21 s'est tenue au Bourget du 30 novembre au 12 décembre 2015. (©flickR-COP Paris)

L’autre grand chiffre figurant au programme de la COP21, c’étaient les 100 milliards de dollars d’aide aux pays pauvres, promis à Copenhague, tout comme les 2 degrés. Il en est certes question dans l’article 9 de l’accord mais la formulation est tellement vague qu’elle ouvre à tout et à rien : pas de chiffrage, pas de dates mais une sorte de gros catalogue des possibilités. Personne n’est capable de dire aujourd’hui ce que sont ces 100 milliards ! Argent public ? « Non » a assuré Ségolène Royal. Alors argent privé ? Et sous quelle forme ? Dons, prêts, avances sur recettes, prises de participation, transferts de technologie ? De forts soupçons portent également sur le fait qu’une partie de cette somme puisse être constituée par un détournement de l’aide au développement. Les pays pauvres attendaient un engagement plus ferme et plus précis. Ils ont été amadoués par une autre vague promesse : ces 100 milliards de dollars par an ne sont qu’une base et le chiffre pourra être revu à la hausse. 

Au fait si les pays ne respectent pas leurs engagements, que se passe-t-il ? Eh bien, rien, là non plus. Laurent Fabius insistait sur l’aspect « juridiquement contraignant » de l’accord mais cette affirmation est parfaitement fausse. Il n’est prévu ni structure de surveillance des émissions, ni sanctions. En plus, une COP n’a pas le pouvoir de décider d’un cadre juridique et de sanctions, contrairement à l’OMC par exemple.

La plus mauvaise nouvelle de cette affaire, c’est que le processus onusien sort renforcé de cette COP21.

Certains pourront me trouver bien négatif. J’assume et j’en appelle au Secrétaire Général de l’ONU : en ouverture de la Conférence, Ban Ki-moon appelait à envoyer des signaux forts aux marchés. Chacun pourra remarquer que les marchés, ceux de l’énergie notamment, n’ont absolument pas réagi après l’accord de Paris. Calme plat pour un « Business as usual » !    

Enfin, la plus mauvaise nouvelle de cette affaire, c’est que le processus onusien sort renforcé de cette COP21. Est-on bien certain que c’est le meilleur cadre pour prendre des décisions de rupture ? Je ne le crois pas. À Copenhague, l’économiste Nicholas Stern m’avait dit lors d’une interview : « Rien ne bougera vraiment tant qu’on ne sera pas dans le mur ». Alors allons-y, en rappelant tout de même que le « mur », cela veut dire phénomènes météos extrêmes, rendement des cultures en baisse et accès à l’eau plus difficile dans de nombreuses régions, acidification des océans, perte de biodiversité, déplacements massifs de populations.  

Aujourd’hui, tous ceux qui défendent l’accord (détaillés en intro), nous le revendent comme étant une « base de départ ». On en attendait beaucoup plus mais les auteurs nous disent qu’on ne pouvait pas faire mieux. Alors faisons autrement. « Base de départ » ? J’y vois plutôt le début de la fin d’un rêve, celui de pouvoir contenir le réchauffement climatique dans des proportions gérables.

Sources / Notes
  1. De réchauffement d'ici à la fin du XXIe siècle par rapport aux températures de l'ère préindustrielle.
  2. En l'absence d'une régulation ambitieuse des émissions du secteur, selon notamment Réseau Action Climat.
  3. En 2013, les énergies fossiles comptent pour 81,4% de la consommation mondiale d'énergie primaire selon l'AIE.

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Commentaire

Simon Michel

Enfin, une analyse crue et objective des conclusions de la COP21. Comme il est étrange que les médias aient pratiquement tous manqué d'esprit critique lorsque nos dirigeants fanfaronnaient sur le "succès" de la COP21 : une baudruche!

Anne-Marie

Je ne vois qu'une solution : l'abolition de l'argent.
Les vivants survivront, par contre les personnes morales n'y survivront pas et comme ce sont elles qui orientent et obligent les marchés, ça fera flop !

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