La vision de…
Andris Piebalgs

Homme politique letton
Ancien commissaire européen en charge de l’énergie (2004-2009), puis du développement (2010-2014)

Le 15 novembre 2004, je me tenais face au Parlement européen pour convaincre les eurodéputés de ma capacité à assumer les fonctions de commissaire européen à l'énergie. J'ai présenté mon projet avec six champs d'action permettant entre autres de renforcer la sécurité de l'approvisionnement européen en énergie et d'être moins sensible aux tensions géopolitiques mondiales nées de la demande croissante en énergie. J'étais déjà totalement convaincu que nous devions sortir de l'ère des combustibles fossiles et j'avais pour priorité absolue d'associer l'énergie à la protection de l'environnement et à la recherche. J'ai reçu le soutien des membres du Parlement européen et je crois que j'ai respecté mon projet mais cela a engendré des « évolutions ». Ce dont le monde a besoin aujourd’hui, c'est d'une réelle « révolution » énergétique.

Les engagements pris lors des accords de Paris afin de limiter le réchauffement global à 2 °C impliquent que les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues du secteur de l'énergie soient quasiment nulles à l’horizon 2050. Le rôle de l'électricité pour répondre à la hausse de la demande en énergie va augmenter de manière considérable, en partie grâce à la forte percée des véhicules électriques dans le secteur des transports. Nos modes de production, de distribution, de stockage et de commercialisation de l'électricité changent et les implications ne se limitent pas aux fournisseurs d'énergie. Les compagnies faisant partie de cette industrie doivent clairement repenser leurs stratégies actuelles. Le système centralisé « top-down » évolue en un système beaucoup plus décentralisé et interactif. Cette souplesse est désormais également nécessaire au niveau de la demande. Les moteurs des secteurs de l'énergie seront la décarbonisation et la numérisation. Les systèmes énergétiques vont devenir plus intelligents et interactifs afin de répondre aux habitudes des clients qui changent rapidement.

La route vers une électricité décarbonée doit tenir compte du fait que plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'électricité aujourd'hui. Les Objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies en septembre 2015 prévoient en particulier un accès universel à une électricité fiable et abordable. Cela représente un vrai défi en Afrique où seul un tiers de la population a actuellement accès à l'électricité. Les fournisseurs manquent d'argent et de nombreux ménages sont financièrement incapables de se connecter au réseau électrique.  

Une étude de la Banque mondiale a par exemple démontré que les frais les plus bas pour avoir accès au réseau électrique en Éthiopie s’élèvent à 130 % du revenu mensuel moyen d'un ménage. Même si des améliorations au niveau de l'efficacité opérationnelle des fournisseurs, des changements au niveau des grille tarifaires et des aides aux ménages les plus défavorisés pourraient améliorer la situation actuelle, une aide importante est toujours nécessaire pour favoriser les investissements dans les énergies « propres » en Afrique. Et il ne faut pas oublier que plus de 60 % de la population est rurale. Cela signifie que l'accès universel à l’électricité est impossible par le biais de la seule expansion du réseau. Les systèmes décentralisés reposant sur l'utilisation de l'énergie solaire doivent être déployés à grande échelle. L'Afrique doit également bénéficier des avancées techniques dans le domaine de l'efficacité énergétique. Le niveau de la consommation d'électricité nécessaire à la « subsistance » des populations est déjà en chute permanente.

Ces dernières années, les innovations dans le secteur des énergies renouvelables ont été impressionnantes. Néanmoins, des avancées technologiques sont encore nécessaires et ne peuvent être obtenues qu'à travers une recherche intense et en exploitant pleinement la capacité humaine à innover. Les avancées nécessaires dans le secteur de l'énergie sont similaires à celles qu'a supposé l'introduction de l'ordinateur personnel et d'Internet. L'objectif principal est de fournir une énergie suffisante et abordable pour tous afin de répondre à la demande actuelle et future sans émettre de gaz à effet de serre. Une production efficace et décentralisée, un stockage propre de l'énergie, des bâtiments « zéro émission », des appareils énergétiquement efficaces ainsi que le captage et le stockage du carbone, sont quelques-unes des réussites aujourd'hui prêtes à être appliquées.

Même si les investissements en chimie et en science des matériaux ont récemment augmenté, l'industrie de l'énergie n'alloue que 0,23 % environ de ses revenus à la recherche et au développement. En comparaison, l'industrie des télécommunications dépense environ 15 % de ses revenus à cette fin. En outre, le déploiement d'une nouvelle technologie énergétique a toujours été très lent, certains experts tablant sur un cycle de 20 ans. Les gouvernements nationaux pourraient faciliter les choses en augmentant les dépenses dans la recherche fondamentale sur l'énergie. Un grand nombre de ces gouvernements se sont d'ailleurs rassemblés au sein de l'initiative « Mission Innovation » à travers laquelle ils se sont engagés à doubler leur soutien à la recherche et au développement dans le secteur de l'énergie. Cependant, il est important que le secteur privé démontre aussi un engagement actif afin de garantir la viabilité économique des nouvelles technologies. La meilleure manière d'y parvenir est de fixer un prix du carbone élevé. De même que les prix pétroliers élevés ont soutenu la « révolution des huiles de schiste », un prix du carbone élevé accélérerait fortement la décarbonisation de l'énergie et, potentiellement, d'autres secteurs. Le marché s'exécutera tant que les avantages seront au rendez-vous, avec un prix étant, dans la plupart des cas, probablement le principal moteur des nouveaux investissements.

Étant donné que le monde énergétique du futur reposera en grande partie sur l'électricité, deux autres problèmes sont à prendre en compte : la régulation et la participation active des consommateurs. La production d'électricité reposera dans la plupart des cas sur des sources d'énergie renouvelable, et le recours au « gaz propre » et au stockage de l'électricité sera encore coûteux. La demande doit être flexible : la capacité d'activer et de désactiver des systèmes à la maison, dans l'industrie et dans le commerce est importante afin d'équilibrer les différences entre offre et demande d'électricité. Des matériaux et des logiciels intelligents seront nécessaires, tout comme des incitations innovantes des régulateurs des marchés de l'électricité.

Il existe toujours des doutes sur les postures de certains pays signataires de l'accord de Paris quant au changement climatique. Je peux comprendre ces inquiétudes mais l'application des politiques européennes sur l'énergie et le climat représente selon moi une grande source d'optimisme. Un profond changement doit s'opérer mais c'est une transformation qui sera synonyme d'épanouissement, qui créera de nouveaux emplois, qui accélérera le développement technologique et qui offrira des bénéfices importants aux investisseurs.

parue le
16 février 2017