La vision de…
Kirsty Gogan

Cofondatrice et directrice de l’ONG Energy for Humanity

Ma fille aura 42 ans en 2050, l'âge que j'ai aujourd'hui. Comment le monde aura-t-il évolué d'ici là ? Quel regard portera-t-elle sur les efforts et les erreurs qu'ont pu faire les générations de ses parents et grands-parents ? Quels seront les défis auxquels elle devra faire face et de quelles ruptures scientifiques et technologiques sera-t-elle témoin ? Le progrès est possible mais il n'est pas certain.

Faisons tout d’abord l'inventaire de l'héritage que nous ont légué nos parents et grands-parents. De stupéfiants progrès ont été réalisés à tous les niveaux. Aujourd'hui, nous vivons plus en sécurité, avec plus de confort, plus longtemps et en meilleure santé qu'auparavant. Depuis 1990, le nombre de personnes dans le monde vivant dans la pauvreté a diminué de moitié. Il y a 6 millions de morts infantiles en moins chaque année, le taux d'alphabétisation a grimpé et la condition des femmes et des enfants s'améliore. D’ici 2050, la population mondiale pourrait passer de 7 milliards à 10 milliards de personnes (bien que la taille des familles diminue) et l'économie mondiale pourrait tripler de volume.

Mais le progrès a un prix. Les températures moyennes mondiales ont déjà augmenté d'un degré depuis la révolution industrielle. D'ici 2050, le monde devra réduire de moitié ses émissions de CO2 par rapport à aujourd'hui pour que la température mondiale ne s'élève pas de plus de 2°C. Au-delà de cette limite, les scientifiques prédisent que des changements irréversibles se produiront probablement. À cause des combustibles fossiles, la Terre se prépare à traverser une série d'extinctions de masse catastrophiques d'ici la fin de ce siècle.

La vie moderne repose sur des consommations massives d'électricité. Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale n'a pourtant toujours pas accès à l'électricité ou utilise des combustibles produisant de la fumée pour cuisiner et s'éclairer, ce qui provoque chaque année des millions de morts, en particulier de femmes et d'enfants. En dehors des foyers, certaines villes ne disposent pas des infrastructures alimentées à l'électricité nécessaires pour vivre longtemps, en sécurité et en bonne santé, autant de choses que les personnes qui vivent dans les pays développés prennent pour acquises.

Répondre aux besoins de développement humain tout en protégeant l'environnement est l'un des grands défis de notre siècle. Permettre à la population mondiale grandissante d'atteindre un niveau de vie plus élevé pourrait doubler, voire tripler la demande en électricité d'ici 2050. De grandes quantités de nouvelles sources d'énergie hautement efficaces sont nécessaires pour remplacer les combustibles fossiles et répondre à cette demande.

Selon moi, il est matériellement possible d'atteindre nos objectifs climatiques et d'assurer un bon niveau de vie aux 10 milliards de personnes qui peupleront la Terre en 2050. Pour cela, nous devons transformer les technologies et les combustibles que nous utilisons avec une rapidité difficilement imaginable. Les émissions de CO2 par kWh doivent par exemple baisser d'au moins 90% d'ici 2050. Nous devons également faire un usage plus intelligent de nos terres limitées, en particulier en protégeant et en étendant nos forêts.

Face à cette réalité, les gens commencent à parler des compromis qu'ils sont prêts à faire. L'énergie nucléaire – en complément des énergies éolienne et solaire – peut constituer une source d'électricité fiable et à grande échelle sans émissions. Selon James Hansen, un des plus grands spécialistes mondiaux du climat, il faudrait, en complément des énergies renouvelables, construire 115 nouveaux réacteurs nucléaires par an d'ici 2050 pour remplacer la production actuelle d'électricité basée sur les combustibles fossiles, tout en répondant à une demande mondiale accrue en électricité.

Cela revient à multiplier par dix le nombre de réacteurs nucléaires dans le monde, pour passer d'environ 460 aujourd'hui à 4 000. Cela peut sembler beaucoup mais nous savons que ce rythme de construction est envisageable. La Suède l'a fait par exemple. En fait, aucune autre source d'électricité neutre en carbone ne s'est développée aussi rapidement que le nucléaire, et de loin.

C'est donc possible, mais est-ce pour autant acceptable ? Afin que tout le monde se sente en sécurité dans un monde avec 4 000 réacteurs nucléaires, cette énergie devra regagner le soutien du public, des politiques et la confiance des investisseurs en démontrant ses avantages. Ma fille verra-t-elle ainsi la peur et l'aversion souvent associées à l'énergie nucléaire au XXe siècle comme une illusion propre à l'ère des combustibles fossiles ?

Toutes les sources d'énergie propre sont indispensables pour parvenir à une vraie « décarbonation » : pas seulement dans le domaine de l'électricité mais dans tous les secteurs de la société, notamment le chauffage et les transports. Les avantages socio-économiques de la lutte contre la pollution liée au trafic routier auront d’énormes impacts sur la santé publique comme pour la régénération des petites et grandes villes du monde entier. Pour ma fille, le bruit et la pollution provoqués par les moteurs à combustion seront une antiquité en 2050, un lointain souvenir d'enfance. Elle me demandera à quoi nous pouvions bien penser pour respirer ces fumées de pots d'échappement.

En 2050, même si nous parvenons à endiguer les pires effets climatiques, ma fille fera partie d'une population mondiale plus nombreuse, plus exposée aux catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes. Nous aurons besoin d'infrastructures solides et résistantes. Même les centrales nucléaires de la génération de mes parents résistent mieux aux catastrophes naturelles que la plupart des autres infrastructures. Les technologies de la génération de ma fille seront bien plus polyvalentes, évolutives, flexibles et compétitives.

Pour ma fille, le charbon sera du passé. Comme lors des précédentes transitions énergétiques – du bois au charbon puis au gaz – la tendance est d'aller vers une densité énergétique plus élevée. L'uranium est un million de fois plus dense que le charbon, ce qui signifie moins d'extraction minière, moins de déchets, une empreinte écologique réduite, un air pur, plus d'énergie et plus de place pour la nature. En 2050, les nouveaux réacteurs seront plus efficaces et recycleront les combustibles usagés. Aujourd'hui, nous disposons déjà d'anciennes ogives nucléaires, conçues pour détruire nos villes, que nous pouvons transformer en électricité pour éclairer ces mêmes villes.

J'imagine que le monde de ma fille en 2050 sera plus propre, tranquille, prospère et connecté. Cependant, même si le progrès est possible, il n'est pas certain. Nous sommes à un tournant décisif pour protéger le climat de notre planète. Les réponses que nous apportons aujourd'hui au changement climatique auront des conséquences à long terme sur nos enfants et nous devons choisir la voie à suivre avec sagesse. Nous devons arrêter de nous bercer d'illusions et faire soigneusement nos calculs si nous voulons réussir une transition mondiale rapide et constructive pour nous libérer des combustibles fossiles. Il est tout aussi important de se fier aux chiffres et à de solides analyses que de suivre son cœur.

parue le
10 février 2017