Précarité énergétique : un chantier qui ne fait que commencer

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Précarité énergétique

En 2016, le programme « Habiter Mieux » de l’Anah a permis de rénover 41 000 logements en France(1). (©photo)

Le think tank Terra Nova a présenté ce matin cinq grandes propositions(2) pour lutter contre la précarité énergétique en France et « en finir avec les demi-mesures ». Rappels sur l’étendue de ce phénomène et les dispositifs actuellement en place.

Un ménage sur cinq en situation de « précarité énergétique » en France

En France, il existe différents indicateurs pour identifier les ménages en situation de « précarité énergétique ». Selon le plus connu de ces indicateurs, les ménages « précaires » consacrent plus de 10% de leurs revenus aux dépenses d'énergie dans leurs logements (chauffage, éclairage, etc.). La notion plus subjective d’inconfort thermique complète les indicateurs mesurant les difficultés des ménages à s’acquitter de leurs factures énergétiques.

Selon la dernière étude de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) publiée en novembre 2016, près de 5,6 millions de ménages en France seraient en situation de précarité énergétique selon au moins un critère de ressources ou de ressenti thermique. Cette population constitue, selon les termes de l’ONPE, « l’enveloppe de la précarité énergétique » en France qui comprend près d’un cinquième des ménages dans l'hexagone(3).

Dans une note publiée ce matin, Terra Nova rappelle les politiques publiques actuellement mises en œuvre pour lutter contre la précarité énergétique. Ces politiques sont principalement « curatives » : elles prennent la forme d’aides aux ménages pour permettre à ceux-ci de payer leurs factures d’énergie (tarifs sociaux de l’énergie, qui seront remplacés à partir de 2018 par le « chèque énergie ») mais « ne permettent pas d’apporter une réponse structurelle à la précarité énergétique », met en garde Terra Nova.

Les politiques « préventives » s’attaquent pour leur part à la rénovation énergétique, avec différentes aides à l'appui (éco-prêt à taux zéro, crédit d’impôt transition énergétique, etc.). En 2013, le gouvernement a fixé un objectif de rénovation de 500 000 logements par an à partir de 2017 (dont 380 000 logements par an dans le parc privé et 120 000 par an dans le parc social). Les moyens mis en œuvre restent toutefois « dispersés sur plusieurs dispositifs, trop souvent complexes, méconnus et insuffisamment ciblés », estime Terra Nova.

L’instauration d’un standard minimum de performance énergétique

Parmi ses 5 grandes propositions pour lutter contre la précarité énergétique, Terra Nova plaide pour l’introduction dans les logements d’un « standard minimum de performance énergétique » dont le non-respect interdirait la location des logements concernés. Ce standard doit permettre de disposer d’un parc de logements ayant « un niveau équivalent ou supérieur à la classe E du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) »(4). La mise en place de ce standard minimum de performance énergétique devrait s’accompagner, selon le think tank, d’un campagne de communication nationale et d’une refonte de la fiscalité immobilière (tenant compte de la performance énergétique des logements dans le calcul des différents prélèvements).

Outre le standard minimum, Terra Nova appelle à augmenter les financements des politiques préventives et curatives de lutte contre la précarité énergétique en créant un compte d’affectation spécial dans le budget de l’État. Ce compte « Précarité énergétique » pourrait être financé par les financements déjà alloués aux dispositifs en place ainsi que par « une partie substantielle des augmentations programmées de la contribution climat énergie. Terra Nova signale que la hausse en 2017 de cette « composante carbone » (incluse dans les taxes sur les énergies fossiles, elle s’élève à 30,5 €/t CO2 contre 22€/t CO2 en 2016) va rapporter 1,5 milliard d’euros à l’État, soit plus du double du budget d’intervention actuel de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

Terra Nova appelle enfin à « massifier » le programme « Habiter Mieux » de l’Anah, en augmentant les taux des subventions allouées (ces subventions peuvent actuellement s’élever jusqu’à 50% des travaux de rénovation). Les aides actuellement disponibles pour rénover les logements restent insuffisantes pour les ménages modestes qui ne peuvent pas supporter les « reste-à-charge », indique Terra Nova. Le think tank recommande à ce titre de créer un dispositif de microcrédit ou d’avance remboursable géré par l’Anah (les remboursements étant couverts par la suite par les économies d’énergie réalisées).

Deux propositions pour lutter contre la précarité énergétique dans les transports

Deux propositions de l’étude de Terra Nova portent par ailleurs sur la précarité énergétique associée aux déplacements. Celle-ci est amenée à augmenter selon le think tank, compte tenu de la volatilité possible des prix des carburants et de l’augmentation programmée de la composante carbone (100 €/t CO2 en 2030).

Terra Nova recommande de rétablir et de pérenniser « deux strates supplémentaires de bonus à l’achat d’un véhicule automobile faiblement consommateur » (pour des véhicules hors diesel émettant moins de 95 g CO2/km et tous les véhicules émettant moins de 85 g CO2/km). Le think tank recommande enfin de mener une réflexion sur la « démobilité », c’est-à-dire la baisse des déplacements, notamment par le biais du télétravail, du covoiturage ou encore de l’autopartage.

La lutte contre la précarité énergétique est, à l’heure actuelle, essentiellement orientée sur les difficultés financières des Français dans leurs logements. Le 23 février dernier, Ségolène Royal a annoncé le lancement d’une nouvelle prime pour aider les ménages (sous conditions de ressources) à financer leurs travaux d’économies d’énergie(5).

Sources / Notes
  1. L’objectif affiché de l’Anah était de 70 000 rénovations cette année-là.
  2. Étude «Lutte contre la précarité énergétique : en finir avec les demi-mesures », par Maria Jalu et Antoine Guillou,Terra Nova, 1er mars 2017
  3. L’Insee considère pour sa part qu’un seuil de « vulnérabilité énergétique » est atteint dès que les ménages consacrent plus de 8% de leurs revenus à leurs dépenses d’énergie dans leurs logements et plus de 4,5% de leurs revenus pour leurs dépenses d'énergie liées aux déplacements. Selon ces critères, près de 3,9 millions de ménages (soit 14,6% des ménages français) seraient en situation de « vulnérabilité énergétique » au regard de leurs dépenses dans leurs logements et 2,7 millions de ménages (soit 10,2% des ménages français) au regard de celles consacrées aux transports selon la dernière étude de l’Insee publiée en 2015.
  4. En ciblant en priorité les logements les plus dégradés de classe « G » à court-terme, puis l’ensemble des logements à moyen terme.
  5. La prime, versée dans le cadre des certificats d’économies d’énergie (CEE) et mise en place jusqu’au 31 mars 2018, peut notamment atteindre 100 € pour l’installation d’un programmateur centralisé pour radiateurs électriques, 800 € pour le remplacement d’une chaudière individuelle par une chaudière neuve au gaz ou au fioul à haute performance énergétique et jusqu’à 1300 € pour « le remplacement d’une chaudière individuelle par une chaudière neuve au bois de classe 5 ».

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