La vision de…
Marie-Claude Dupuis

Directrice de la stratégie, de l’innovation et du développement du groupe RATP

En 2050, notre planète devrait compter presque 10 milliards d’habitants, soit une augmentation de 30% par rapport à aujourd’hui selon les chiffres avancés par les Nations unies. Cette population continuera de vivre majoritairement dans les villes, à 66% contre 54% aujourd’hui. Les villes sont responsables de près de deux tiers des consommations d’énergie et de 70% des émissions de gaz à effet de serre. La question des énergies dans le monde en 2050 est donc indissociable de celle des villes en 2050.

En novembre dernier, à l’occasion de la COP23 et deux ans après la signature de l’accord de Paris, 25 villes ont pris l’engagement de devenir « neutres en carbone » dès 2050. Parmi elles : Paris, Barcelone, Londres, Copenhague, Stockholm, Vancouver, Boston, Los Angeles, Rio de Janeiro et Caracas. Ces villes montrent la voie à suivre mais, compte tenu des enjeux, cet élan doit être plus largement partagé. Elles ne représentent que 150 millions d’habitants.

Il est essentiel que chacun, États, collectivités territoriales, entreprises, citoyens s’interrogent sur les transformations à engager et la trajectoire désirée pour atteindre l’objectif de neutralité carbone. C’est dans la perspective de tenir cet engagement de neutralité carbone que je place ma vision des énergies dans le monde en 2050.

La neutralité carbone nous impose de questionner nos politiques, nos organisations et nos modes de vie. Je la perçois comme une véritable opportunité de repenser, réinventer et construire un monde viable, équitable et vivable. Les termes, ici empruntés à la définition du développement durable, rappellent que les questionnements ont commencé dans les années 1980 mais le temps est maintenant à l’action et à la transformation des villes, vers des villes intelligentes et durables.  

Certaines propositions de smart city me font penser au célèbre film de science-fiction Matrix. Presque 20 ans déjà. Un univers très technique où les hommes et les femmes disparaissent derrière les machines, les robots et les data. Ce n’est pas ma vision.

La révolution technologique est là, certes, mais il faut la considérer comme une opportunité pour répondre aux besoins premiers des habitants des villes : le bien-être, le « bien vivre ensemble ». Je pense que nous sommes nombreux à aspirer à une transformation qui ne soit pas uniquement technologique.

Si j’essaie de décrire cette ville intelligente de 2050, évidemment, elle est connectée, mais elle est surtout plus saine. Elle est sobre, elle est fluide, elle s’organise autour de modèles centrés sur l’usage et c’est également une ville solidaire.

Une ville intelligente, c’est notamment une ville économe en énergie. Autrement dit, pas de smart city sans smart grid. Le digital ouvre des perspectives nouvelles pour la production d’énergie décentralisée et le développement des énergies renouvelables.

Prenons l’exemple de la mobilité. Le secteur des transports est à la fois très consommateur d’énergie et très émetteur de gaz à effet de serre. En France, il compte à lui seul pour 35 % des émissions de CO2 et 32% de la consommation d’énergie finale (dont deux tiers uniquement pour les voitures particulières). Les transports routiers sont également responsables d’une part importante des émissions de polluants atmosphériques dont la réduction est un enjeu majeur de santé publique.

A l’échelle mondiale, la demande de mobilité des voyageurs devrait tripler d’ici à 2050. Il nous faut donc imaginer et mettre en œuvre dès aujourd’hui les solutions de mobilité compatibles avec la transition énergétique et un objectif de neutralité carbone d’ici 30 ans.

Le scénario que j’imagine pour 2050 est celui de la désindividualisation des transports et de la mutualisation des infrastructures. Il nous faut passer pour cela d’un modèle de la consommation et de la propriété du véhicule (avec le symbole de la voiture individuelle comme liberté et accès à l’ascension sociale) à un modèle centré sur l’usage dans lequel les individus combinent différentes formes de mobilité en fonction de leur déplacement (covoiturage, véhicules autonomes, transports collectifs, vélos, trottinettes, etc.).

Concernant les choix technologiques, les réponses seront nécessairement multiples et variables en fonction des territoires. Le véhicule électrique fait évidemment partie des solutions. Au sein du groupe RATP, nous imaginons aujourd’hui la multimodalité électrique, du métro au bus électrique et au vélo électrique. Nous portons une vision intégrée de la mobilité électrique dans les villes (et des infrastructures associées) qui facilite l’accès aux transports partagés, par exemple en localisant les points de recharge électrique près des stations de métro, en implantant des points de location de vélos électriques conjointement à la mise en place d’infrastructures pour les autobus électriques. 

Il faut s’orienter vers une nouvelle approche de l’énergie avec, au cœur des systèmes, les batteries qui permettront de stocker l’énergie, véritables traits d’union entre les véhicules et les bâtiments de plus en plus sobres et intelligents.

Le développement des énergies renouvelables et des énergies de récupération doit s’accompagner de nouveaux modèles de décentralisation de la production d’énergie. Le système énergétique de 2050 sera davantage un écosystème dans lequel il sera recherché une optimisation de la production et de la consommation entre moyens de transport (véhicules, bus, navettes etc.), infrastructures de transport, logements, commerces ou encore immeubles de bureau.

Par exemple, sur le prolongement d’une ligne de métro actuellement en cours de construction sur Paris, nous profitons de la construction du métro pour mettre en place un dispositif de géothermie dans les parois de la future station. Ces parois descendent jusqu’à 45 mètres de profondeur (par comparaison, les espaces voyageurs seront eux à 20 mètres). L’énergie récupérée permettra d’alimenter la station mais également de couvrir 40 % des besoins en chauffage d’un immeuble de 80 logements situé en surface. Ce type d’action participe à la frugalité énergétique des villes mais il démontre aussi que notre métier de transporteur change.

La trajectoire pour 2050 doit être celle de l’économie du partage, qui se construit autour d’un véritable changement de paradigme : vers une logique d’usage et de fonctionnalité, donnant la priorité à l’économie des ressources et au bien-être des habitants.   

parue le
13 février 2018