Défense, énergie, Russie : le modèle allemand chamboulé par la guerre

  • AFP
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Il n'a fallu que quelques jours à Olaf Scholz pour proclamer, il y a un an, un virage stratégique de l'Allemagne après l'invasion russe de l'Ukraine. Mais ce tournant reste difficile à mettre en œuvre.

Une déclaration du chancelier allemand, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich qui se tient ce week-end, permet de mesurer le changement de cap. En livrant des armes à l'Ukraine, "nous assumons la responsabilité qu'un pays de la taille, de la situation et de la puissance économique de l'Allemagne doit assumer dans des temps comme ceux-ci", a asséné le dirigeant devant d'autres responsables occidentaux.

Marquée par les horreurs commises sous les nazis, l'Allemagne s'est longtemps voulue pacifiste, se résolvant seulement à envoyer des soldats sur le sol européen lors de l'intervention de l'Otan au Kosovo en 1999.

Bercée par le rêve d'une harmonie germano-russe après la guerre froide et la réunification, le pays avait laissé ses capacités militaires se déliter, se contentant d'être la première économie européenne sans endosser davantage de responsabilités pour la sécurité du monde. "Nous avons cru qu'il ne pouvait y avoir de sécurité qu'avec la Russie et non contre elle. C'était une erreur", constate Rolf Nikel, vice-président du think-tank DGAP à Berlin, dans un entretien à l'AFP.

« Pas de plan B »

Avec l'offensive russe du 24 février 2022, toutes ces certitudes sont tombées. Trois jours après, le chancelier Olaf Scholz avait annoncé au Bundestag "une ère nouvelle", et débloqué une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards d'euros pour moderniser l'armée. Ayant rechigné pendant des années à se conformer aux objectifs de financement de l'Otan, Berlin a promis de consacrer tous les ans plus de 2% de son Produit intérieur brut (PIB) à sa défense.

Bouleversé aussi le modèle énergétique allemand, crucial pour l'économie : avant la guerre, les industriels s'approvisionnaient en Russie qui fournissait 55% du gaz et 35% du pétrole. Bon marché, ce gaz promettait d'assurer la transition, le temps de développer les renouvelables - éoliennes et panneaux solaires -, après la décision de Berlin de sortir du nucléaire, suite à la catastrophe de Fukushima en 2011.

"Nous pensions qu'il s'agissait d'une double dépendance : certes, nous étions tributaires des livraisons de la Russie mais nous supposions qu'elle l'était aussi en tant que vendeur. Nous n'avions pas de plan B", résume M. Nikel. Pour remplacer les pipelines russes, Berlin a dû prolonger de quelques mois ses centrales nucléaires, rallumer temporairement des centrales à charbon et ouvrir des terminaux méthaniers pour importer du gaz liquéfié (GNL).

« Manifeste pour la paix »

Un an après le début de l'offensive russe, l'Allemagne est "indépendante du gaz russe" comme l'a proclamé Olaf Scholz. Le pays n'a en fait pas eu le choix puisque la Russie a progressivement réduit les livraisons via les gazoducs sous-marins Nord Stream. Puis l'explosion d'origine inconnue qui les a endommagés en septembre a définitivement coupé les flux.

Sans gaz russe, l'Allemagne achète désormais du GNL à des tarifs beaucoup plus élevés qui risquent d'affaiblir durablement la compétitivité de certains secteurs industriels.

Quant au tournant stratégique et militaire, il s'accomplit dans la douleur. La forte impression faite par le discours d'Olaf Scholz le 27 février "a été relativisée au fil des mois" car "il a fallu trop longtemps pour que l'Allemagne commence à soutenir réellement l'Ukraine, y compris avec du matériel militaire et des armes", estime auprès de l'AFP Marie-Agnès Strack-Zimmermann, député du parti libéral FDP, membre de la coalition gouvernementale.

"Combien de temps Scholz veut-il se cacher derrière Biden ?", assenait encore récemment l'hebdomadaire der Spiegel, agacé par un chancelier qui n'envisage la sécurité que sous le parapluie américain.

De l'artillerie aux chars de combat, Olaf Scholz s'est vu reprocher d'aller trop lentement. Il doit tenir compte des réticences d'une partie de la société. En témoigne le "manifeste pour la paix" lancé par la figure politique d'extrême gauche Sahra Wagenknecht et la féministe Alice Schwarzer, qui revendique 500 000 signataires favorables à des "compromis" de Kiev et Moscou, et appelle à manifester samedi prochain.

Quant au leadership que l'Allemagne entend désormais assumer, il a "besoin de communication", observe le député d'opposition Jürgen Hardt, du parti conservateur CDU, qui reproche au successeur d'Angela Merkel une parole inaudible et confuse qui ferait "perdre la confiance et l'adhésion".

Commentaires

jean-luc sanchez

Les allemands ont tout fait pour saborder le nucléaire français (avec la complicité de nos décideurs politiques accrochés comme des huitres au mythe du couple franco-allemand) car le faible coût de l'électricité avantageait un peu trop les industries de notre pays au détriment de la leur, on ne va quand même pas les plaindre !!

Serge Rochain

Encore un qui rêve à 100 lieux des réalités ce Sanchez !
Le faible coût de notre électricité nucléaire ? C'est ce que le lobby nucléaire lui bourre le mou depuis 60 ans mais le coût de production de notre électricité nucléaire est un des plus cher d'Europe et en tous cas toujours plus cher que celui des allemands. Il suffit de balayer le prix spot du marché européen sur eco2mix (site français de RTE) pour s'en convaincre. Il est très exceptionnel que durant même 1 heure ou deux le prix allemand soit supérieur au prix français, mais l'inverse c'est 24/24 et 7/7 ! Et si ça ne vous suffit pas il y a les statisqiques produites par la comission européennen qui compare tout un tas de criteres entre les 27 pays membres de l'Union.Pour l'électricité vous avez la comparaison aux trois niveaux, électricité seule, avec transport (rendu compteur), et TTC sur la facture (toutes charges comprises). Dans les trois cas, nous sommes toujours dans la moitié la plus chere de tous les payx de l'Europe !
C'est là, page 9, figure 3 :
https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-pt-vue/…
Par ailleurs, cela fait presqu'un an que l'Allemagne en particulier aidée quelquefois par nos autres voisins nous tient la tête hord de l'eau et nous évite le black out dites leur plutôt merci, ainis qu'aux espagnols et quelques fois aux anglais !
Cessez de prendre votre info auprès du lobby nucl"aire qui vous bourre le mou depuis 60 ans et informez vous sur les sites officiels.

jean-luc sanchez

Oui je comprends vos arguments, moi aussi j'ai les miens dont celui-ci....et la Commission européenne est juge et partie, dont bien orientée dans ses objectifs qui ne sont pas ceux de la souveraineté énergétique française, j'utilise un mot qui peut en choquer certains, désolé !
Fabien Bouglé, expert en politique énergétique et auteur de l’ouvrage "Nucléaire, les vérités cachées" aux Éditions du Rocher
Et ici sur YT = https://www.youtube.com/watch?v=e4GWqyTTuCo

Daphné

27/02/2022 ,3 jours après le début de "l'Opération Spéciale" Olaf Sholz annonce une nouvelle ère: ce sera la fin de la collaboration germano-russe, le recourt aux approvisionnements alternatifs en hydrocarbures (> oui...mais pas tout de suite ...en décembre...on n'achetera plus votre gaz,c'est fini...> dès l'année prochaine, oui, on va vous sanctionner. méchante Russie qui baisse exprès ses approvisionnements, à cause de turbines "soi-disant" en panne ...> en réparation au Canada qui a tardé à les rendre...,et des explosions sur les gazoducs...c'est du chantage ... on n'achètera plus votre pétrole...>le pétrole monte c'est du chantage encore .Pendant ce temps avec 100 milliards d'euros, ( moins que la fortune perso de certains de nos oligarques) l'Allemagne redémarre l'industrie de l'armement, relance les centrales à charbon, prolonge le fonctionnement des réacteurs nucléaires restants , aménage vite fait de grands ports méthaniers
Le 20/02/2023 ça y est l'Allemagne est "indépendante du gaz russe" mais... "à un prix beaucoup plus élevé qui risque d'impacter la compétitivité". Quel gâchis que l'occupation de l'Europe par les 100000 Américains dans leurs 491 bases,( grâce à de Gaulle pas en France!) mais grâce à eux, bruit de bottes à nos portes avec des "conservateurs" allemands qui trouvent que l'industrie de l'armement est trop lente à réagir et qu'Olaf Scholz met trop de temps à servir l'Ukraine.
Ah! Qu'il est loin le bon temps des années 2018-19 où l'Allemagne projetait de devenir le premier producteur mondial d'hydrogène vert dès 2025 grâce à ses 31000 éoliennes et... la transition par le gaz russe...

Le

jean-luc sanchez

Excellent.....
Je rajoute cet article paru chez TELOS
"Rééquilibrer la gouvernance européenne de l’énergie" par Etienne Beeker en date du 15 février 2023
https://www.telos-eu.com/fr/economie/reequilibrer-la-gouvernance-europe…
"Où va la transition énergétique allemande?"
https://www.telos-eu.com/fr/economie/ou-va-la-transition-energetique-al…
Mais suite à ces expositions nous sommes en capacité à juger (et déjuger) nos responsables politiques de premier plan qui, parions-le, seront les fossoyeurs de nos intérêts au profit du mythique couple qui comme dans le cheval vert.....Tous derrière, et lui devant !

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