La politique énergétique allemande et le gaz russe : 50 ans de liaisons dangereuses

  • AFP
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Dans sa guerre contre l'Ukraine, Vladimir Poutine exploite les failles de la politique énergétique allemande qui, en quelques décennies, a mis la première puissance économique de l'UE entre les mains de la Russie.

Chronique d'un piège en cinq actes.

« Tuyaux contre gaz »

En pleine guerre froide, l'URSS veut exploiter ses immenses ressources pétrolières et gazières. L'Allemagne fabrique les tuyaux de grand diamètre dont a besoin Moscou mais Washington voit d'un mauvais œil se développer le secteur des hydrocarbures russes. L'administration américaine parvient à imposer un embargo sur les exportations de tuyaux allemands.

Après la levée de cet embargo en 1966, un accord historique "tuyaux contre gaz" est signé en 1970 : en 1973, l'Allemagne de l'Ouest reçoit ses premières livraisons de brut sibérien. Au moment de la chute du mur de Berlin en 1989, l'Union soviétique représente environ la moitié des importation de gaz de Allemagne de l'Ouest.

Prix imbattables

Ces bonnes relations permettent à l'Allemagne d'acheter le gaz russe à des prix très favorables, donnant un avantage compétitif majeur à l'industrie allemande.

Dans un secteur de l'énergie libéralisé dans les années 2000, "les énergéticiens ont cherché les offres les moins chères. C'était le gaz russe", a expliqué récemment Sigmar Gabriel, ancien ministre de l'Économie d'Angela Merkel. Cette figure du Parti social-démocrate fait partie des nombreux responsables politiques qui encouragent le développement des liens commerciaux avec la Russie, à l'instar de l'ancien chancelier Gerhard Schröder.

Celle qui lui succède, la conservatrice Angela Merkel, garde la même ligne. Le maintien de relations commerciales étroites avec Moscou était "dans l'intérêt" de l'Allemagne, a-t-elle reconnu l'an dernier.

Le réseau des connections s'étoffe : la construction du gazoduc Yamal, via la Biélorussie et la Pologne, débute en 1994. Le gazoduc Nord Stream 1, qui passe sous la mer Baltique, est mis en service en 2011.

Le tournant nucléaire

En 2011, la décision brutale d'engager l'Allemagne dans la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima, suivie par la décision d'éliminer progressivement le charbon, ne laisse guère le choix au pays. En attendant que les énergies renouvelables se développent, le gaz doit assurer la transition.

C'est dans ce contexte que le gouvernement d'Angela Merkel décide en 2015 de lancer avec la Russie le projet de gazoduc Nord Stream 2, jumeau de Nord Stream 1, pour doubler la capacité des flux de gaz russe vers l'Allemagne. Ce projet pharaonique vaut à Berlin des années de tensions avec Washington qui reproche à son allié d'accroître l'emprise énergétique de Vladimir Poutine. L'Allemagne a fini par renoncer à la mise en service de gazoduc, quelques jours avant l'invasion de l'Ukraine.

Les tensions montent

Annexion de la Crimée en 2014, conflit dans le Donbass ukrainien, tentative d'empoisonnement de l'opposant russe Alexei Navalny : les tensions politiques se multiplient mais le gaz coule toujours.

"Un pari a été fait, à savoir qu'en achetant beaucoup d'énergie russe, nous pourrions contrôler la Russie et que la Russie a tellement à perdre en contrariant l'Allemagne qu'elle ne le fera pas. C'était le pari et il était faux", analyse pour l'AFP Ben Mcwilliams, spécialiste de l'énergie au think tank Bruegel.

Berlin accroît même sa dépendance en laissant une filiale du russe Gazprom acheter, en 2015, près d'un quart des capacités de stockage de gaz du pays. Le groupe russe est soupçonné d'avoir délibérément maintenu vide le plus grand réservoir du pays pendant l'été précédant l'invasion de l'Ukraine pour faire pression sur l'Allemagne.

Mea culpa

Aveuglement, naïveté, intérêts économiques: les critiques fusent désormais sur le piège énergétique dans lequel s'est enfermé le pays.

"La dépendance énergétique à l'égard de la Russie était rationnelle, tout le monde en profitait", a observé dans l'hebdomadaire Spiegel Rolf Martin Schmitz, ancien PDG de la société énergétique allemande RWE. "Mais le plan ne prévoyait pas un despote comme Poutine".

Surtout, il ne faut jamais "mettre tous vos  œufs dans le même panier. Parce que si le panier tombe, alors vous serez laissé sur le carreau", a récemment fustigé le ministre de l'Économie, l'écologiste Robert Habeck.

L'Allemagne s'est donnée jusqu'à mi-2024 pour s'émanciper du gaz russe qui représente encore 35% de ses importations.

Commentaires

Serge Rochain

Nous sommes partie prenante dans cette liaison dangereuse....à raison de 5 GW en permanence. Ce serait d'ailleurs beaucoup plus su nous avions une puissance installée en gaz à la heuteur de notre besoin réel, il faut bien compenser les 25 GW de nucléaire manquant pour répondre au besoin.

Jean BLIN

Comme quoi la recherche frénétique du profit maximum déguisé en "était dans l'intérêt de l'Allemagne" , pour le capitalisme allemand soit disant tempéré par le "capitalisme rhénan" combinée à l'idéologie anti nucléaire des Bündnis 90/Die Grünen faisant bon ménage a mis l'Allemagne et ses industries dans la main de la Russie.

Jean FLUCHERE

Schroder + Merkel = Gross Katastroph

Jean BLIN

Fukushima n'est pas un accident nucléaire mais un tsunami. Ce tsunami surmonte en effet les digues protégeant la centrale. Fukushima n'étant pas un accident nucléaire (ni Tchernobyl ni Three Miles island) et sans pertes humaines, prendre le prétexte de Fukushima pour fermer les centrales nucléaires allemandes, décision purement politique pour se rapprocher des Grünen enragés de l'anti-nucléaire, cette rage provient de leur imaginaire issu de leur anti-atome des années 70 contre les missiles Pershing que les USA voulaient installer en Allemagne. Question : Quand, faute de gaz, il faudra couper l'électricité, qui sera choisi ? le résidentiel et ses habitants ou l'industrie et ses profits et exportations ?

Francois Marfaing

Vous avez raison ! Fukushima, c’est 0 mort du fait de l’accident, les 15.000 morts sont dus au Tsunami.
MAIS, les estimations du gouvernement japonais en 2021 pour les coûts liés à la catastrophe de Fukushima couvrant le démantèlement, la décontamination et les compensations, sont passées de 74,3 milliards de US$ en 2012, à 223,1 milliards de US$ en 2021. D’autres estimations crédibles sont beaucoup, beaucoup plus pessimistes que cela ! Il suffit donc d’une fois !

Que couvre l’assurance d’EDF en cas d’accident. 2,5 milliards d’Euros au maximum !

Certes, toute industrie présente des risques mais aucune de cette ampleur impliquant en dernier ressort l’Etat. Ne serait-il pas judicieux dans ses conditions d’interroger les citoyens payeurs d’impôts sur l’acceptation ou non d’un tel risque ?

Vlady

Berlin a cru manipuler Moscou , c ' est Moscou qui a manipulé Berlin !! "Les capitalistes sont tellement stupides qu ' ils vendront la corde pour les pendre" dixit Lénine !! "La mémoire c ' est la faculté d ' oublier" dixit les scientifiques => certains dirigeants ont une mémoire d ' éléphant !!

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