Cigéo doit être financé par les producteurs de déchets radioactifs. (©Andra)
Cigéo (Centre Industriel de stockage GÉOlogique) est un projet de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, principalement issus de l’industrie électronucléaire, qui doit être mis en œuvre à Bure, à la frontière de la Meuse et de la Haute-Marne.
Présentation
En 2006, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaire) a été chargée(1) de prévoir le stockage des déchets radioactifs de haute activité (HA) et de moyenne activité (MA) à vie longue(2) qu’il est aujourd’hui compliqué de conserver en surface pour des raisons de sûreté.
Il vise à stocker des déchets très radioactifs à une profondeur de près de 500 mètres. Ces déchets seraient conditionnés dans des structures spécifiques elles-mêmes confinées dans une couche de roche argileuse étanche et très dense, le temps que leur forte radioactivité baisse par décroissance naturelle (ces déchets seront hautement radioactifs pendant « plusieurs centaines de milliers d’années »).
Leur stockage vise à être réversible durant plus de 100 ans afin de pouvoir opter pour une autre solution, notamment si la technologie évolue, durée minimum durant laquelle le centre Cigéo doit être exploité.
Quels déchets ?
Parmi les différents déchets radioactifs, dont deux tiers sont issus de l’industrie électronucléaire (les autres provenant des hôpitaux, des laboratoires, des centres de recherche ou encore des autres industries), ceux dits de « haute activité » (HA) et de « moyenne activité à vie longue » (MA-VL) requièrent une attention particulière.
Il est prévu que Cigéo accueille 83 000 m3 de déchets dans ses galeries souterraines : 10 000 m3 de déchets hautement radioactifs, dits de haute activité (HA) et 73 000 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL)(3).
Ces deux catégories de déchets ne représentent que 3% du volume total des déchets radioactifs produits en France mais concentrent plus de 99% de la radioactivité totale.
Cigéo est conçu pour stocker l’ensemble des déchets radioactifs HA et MA-VL générés par le parc nucléaire français (en incluant les déchets de l’EPR de Flamanville et de l’installation ITER). Ils sont donc principalement issus du traitement des combustibles usés dans les réacteurs nucléaires, des activités de recherche associées et de la défense.
Concept de stockage
Les déchets seront vitrifiés, afin d'enfermer la matière radioactive dans du verre, puis insérés dans de gros cylindres métalliques à La Hague, où ils devront passer 40 à 50 ans afin de refroidir suffisamment pour être entreposés en sous-sol.
Ils seront ensuite transportés en train jusqu'à Bure, où ils passeront par une « descenderie » (tunnel en pente de 5 km à 12%), qui les mènera à 490 m sous terre. Là, chaque colis, pesant 500 à 600 kg, sera entreposé dans des tunnels.
Les ouvrages souterrains seront ensuite progressivement refermés. La couche géologique d’argile (de plus de 130 m d’épaisseur, située entre 420 m et 555 m sous la surface) devra alors permettre de confiner les radionucléides durant une durée supérieure à 100 000 ans durant laquelle leur radioactivité diminuera. L’Andra effectue déjà depuis des années des tests en profondeur dans son laboratoire souterrain, à proximité du futur site de stockage.
Schéma du principe de stockage des déchets radioactifs de haute activité dans des alvéoles (©Andra)
Barrières de confinement
Le confinement de la radioactivité de ces déchets sera assuré par trois barrières :
- le colis contenant les déchets (en béton ou en métal sous forme de galettes dans le cas des déchets MA-VL, en inox coulés avec du verre dans le cas des déchets HA) ;
- l’ouvrage dans lequel il sera placé ;
- la couche géologique.
Réversibilité
Si Cigéo vise à confiner la radioactivité des déchets pendant un million d’années grâce à plusieurs barrières dont l’épaisse couche argileuse du site sélectionné, le stockage doit être « réversible » durant sa phase de remplissage (au moins un siècle) afin qu’une autre solution puisse être envisagée par les générations futures, par exemple en cas de rupture technologique.
Pendant au moins 100 ans après le début de la phase de remplissage, les déchets stockés doivent ainsi pouvoir être récupérés sans risque.
La loi du 25 juillet 2016 définissant les modalités de création de Cigéo précise la définition de la réversibilité du stockage, comme « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ».
Il est prévu que la mise en œuvre du principe de réversibilité soit revue « au moins tous les cinq ans ».
Dates clés
Après le vote en 1991 de la Loi Bataille, qui définit un calendrier pour gérer à long terme les déchets radioactifs, plusieurs options et sites sont étudiées (dans la Vienne, le Gard, en Meuse et Haute-Marne).
En 1998, c'est le site de Meuse/Haute-Marne qui est choisi pour l'implantation d'un « laboratoire souterrain », dont la construction commence deux ans plus tard (à 490 m de profondeur et à proximité du futur site de stockage). Des tests y sont depuis effectués.
En 2006, il est inscrit dans la loi que le stockage géologique en profondeur constitue la meilleure solution pour gérer ces déchets « ultimes » pour lequel plus aucun usage industriel n’est possible (loi du 28 juin 2006). Cette loi est complétée par la loi du 25 juillet 2016.
Deux débats publics ont été organisés en 2005 et 2013 par la Commission nationale du débat public (CNDP).
Le projet d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse) a reçu en décembre 2021 un avis favorable de la commission d'enquête publique : celle-ci a estimé que le projet piloté par l'Andra était « à la fois opportun, pertinent et robuste » et son utilité publique « avérée » (rapport de cinq commissaires enquêteurs indépendants).
Le centre de stockage a été déclaré d'utilité publique en juillet 2022. Étape importante, cette déclaration d'utilité publique (DUP) permet la mise en conformité des documents d'urbanisme et l'acquisition par l'Andra des terrains nécessaires par expropriation. « Les expropriations de terrains nécessaires à (la) réalisation » du projet seront « réalisées avant le 31 décembre 2037 », précise un décret associé, et celles « ne concernant que les tréfonds (...) au plus tard le 31 décembre 2050 ». Le décret ajoute que l'Andra « devra, s'il y a lieu, remédier aux dommages causés aux exploitations agricoles ». Certaines communes proches de Bure avaient pourtant émis un avis défavorable.
La demande formelle d'autorisation de Cigeo a été déposée en janvier 2023, pour ce projet contesté qui ne pourra toutefois pas obtenir son feu vert avant encore plusieurs années. En juin 2023, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a jugé « recevable » la demande d'autorisation de création du centre Cigéo, ouvrant la voie à une instruction technique du projet qui pourrait durer 3 ans.
Durant ces trois années, trois grands champs techniques doivent être examinés : la vérification des hypothèses et des données d'entrée sur lesquelles se base le dossier (cette première étape a été validée), l'examen de la sûreté de l'installation prévue durant la période où elle sera exploitée, c'est-à-dire le moment où on descendrait les colis de déchets au fond (validation de l'ASNR, nouvelle structure assurant la sûreté nucléaire, attendue par l'Andra « au 1er trimestre 2025 »), et enfin l'examen de la maîtrise de la sûreté à long terme (avis attendu « à l'été 2025 »).
Examen du dossier de demande d’autorisation de création du projet Cigéo, ASN, 7 juin 2023.
L’exploitation du centre débutera par « une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation ». C’est au terme de cette phase pilote d’au moins 5 ans – si elle est concluante (avec une nouvelle consultation du Parlement) – que les premiers déchets radioactifs seront reçus sur le site de Cigéo.
Cigéo est censé recevoir les premiers déchets radioactifs vers 2035/2040(4), après un nécessaire feu vert du Parlement. Le centre de stockage pourra être scellé vers 2150, une fois la période de réversibilité de 100 ans écoulée.
Coût de Cigéo
En janvier 2016, le ministère en charge de l'énergie (avec Ségolène Roya comme ministre) a arrêté son évaluation sur le coût global du projet Cigéo à 25 milliards d'euros « aux conditions économiques du 31 décembre 2011, année de démarrage de l'évaluation des coûts »(5).
L'évaluation des coûts de Cigéo a été décidée sur la base d'une estimation fournie par l'Andra, de l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et des observations des opérateurs du futur projet, EDF, Areva (devenu depuis Orano) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). « Le coût arrêté constitue un objectif à atteindre par l'Andra, dans le respect des normes de sûreté fixées par l'ASN et en s'appuyant sur une coopération étroite avec les exploitants d'installations nucléaires ».
Il sera « mis à jour régulièrement et a minima aux étapes clés du développement du projet (autorisation de création, mise en service (fin de la « phase industrielle pilote », réexamens de sûreté) ». Ce coût est actuellement en cours d'actualisation et une nouvelle estimation devrait être retenue en 2026.
Le coût de Cigéo doit être provisionné par les producteurs de déchets. Dans un courrier commun au ministère de l'Écologie et de l'Énergie, ces opérateurs avaient contesté le chiffrage de 25 milliards d'euros, expliquant avoir proposé conjointement « de considérer pour ce projet un coût objectif (hors risques) de 20 milliards d'euros ».
Critiques des opposants
Un débat public en 2013 inutile ?
Les opposants dénoncent par ailleurs le calendrier du débat public de 2013 et le fait que celui-ci soit « tronqué d’avance ». En effet, le projet Cigéo résulte d’une procédure politique au long cours.
En 1991, la loi « Bataille » avait retenu trois grands axes de recherche pour contenir les déchets les plus radioactifs : la séparation /transmutation réduisant la quantité et la nocivité des déchets (sans les éliminer totalement), l’entreposage de longue durée (près de 300 ans) en surface ou à faible profondeur et le stockage profond.
Aux termes d’études réalisées par l’Andra et le CEA, c’est cette dernière solution qui a été retenue en 2005. L’avenir du stockage des déchets HA et MA-VL peut ainsi déjà sembler tranché au moment du débat public de 2013, bien que l’Andra répète que le projet n’est pas acté.
Protestation sur le terrain : « une sociologie plus qu'une géologie » ?
Au moment du débat public, un élu au conseil municipal de Bure estime que l'emplacement du site n'a pas été décidé au hasard. « En venant ici, l'État a choisi une sociologie plus qu'une géologie : la population est rare, vieillissante et rurale, c'est du billard pour l'Andra », analyse-t-il. « Jamais on n'aurait osé l'installer en Bretagne, dans le Pays basque ou en Corse". Il refuse néanmoins de baisser les bras et prévient, devant la perspective d'une expropriation : sur un projet comme celui-ci, tous les recours seront utilisés ».
Les opposants au projet Cigéo ont par ailleurs mis en doute la sûreté et la réversibilité du stockage géologique à Bure. Ils soulignent entre autres des réserves techniques émises par l’ASN dans un avis publié le 16 mai 2013. Une « Maison de la résistance » à Bure a notamment accueilli les différents opposants souhaitant ralentir le projet.
En juillet 2022, 6 députés de la Nupes ont annoncé la création d'un « front parlementaire » afin de « prendre toutes les mesures » contre Cigéo.
Risques d'incendies ?
L'Autorité de sûreté nucléaire a formulé une « réserve » en janvier 2018 concernant les déchets bitumineux. Ces boues radioactives, qui ont par le passé été conditionnées dans du bitume, représentent environ 18% de l'ensemble des déchets qui seront stockés par Cigéo, et elles sont très inflammables.
L'IRSN, bras technique de l'ASN, avait alors soulevé le problème en demandant à l'Andra d'étudier deux options pour y remédier : la possibilité d'un prétraitement de ces déchets pour neutraliser leur inflammabilité avant leur enfouissement, ou un changement dans la conception de leur stockage. L'ASN estimait que la première piste devait être privilégiée, alors que la deuxième était moins coûteuse(6).
À partir des années 1970, une partie des déchets finaux de moyenne activité ont été enfermés dans du bitume, le processus de vitrification ayant été mis au point plus tardivement. La réactivité des sels de bitume ayant conduit à des incidents notamment au Japon à la fin des années 1990, le bitumage a ensuite été interdit en France, à l'exception d'une installation encore en activité à La Hague. Quelque 40 000 fûts d'environ 200 litres sont concernés.
Des incertitudes sur le dimensionnement
Des incertitudes reflètent par ailleurs des questions restant à trancher sur le conditionnement de certains déchets ou encore les modes de stockage (avec ou sans conteneur).
L'IRSN se penche sur l'impact du vaste programme de relance du nucléaire annoncé en 2022 par Emmanuel Macron, qui prévoit la construction d'au moins six réacteurs de nouvelle génération avec une option pour huit supplémentaires. Pour les annonces déjà actées (allongement de la durée de fonctionnement du parc actuel à 60 ans et mise en service de six EPR2), l'IRSN ne formule pas d'objection à ce stade.
« L'emprise du stockage pourrait dépasser de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres les limites actuelles de la zone d'implantation des ouvrages souterrains (ZIOS), tout en restant dans la zone de transposition dans laquelle la faisabilité d'un stockage a été montrée en 2005 », note l'organisme. En revanche, d'autres questions se poseront si la relance du nucléaire va au-delà, avec la construction des huit EPR2 supplémentaires ou de petits réacteurs (SMR).
Dans cette hypothèse, « la capacité de l'installation à stocker davantage de déchets devra être évaluée sur la base de nouvelles études d'adaptabilité à des horizons temporels qui pourront être définis lorsque les décisions sur le futur parc auront été prises », note l'IRSN.