Responsable du Pôle Énergie, Carbone 4
La liquéfaction du gaz naturel (Gaz Naturel Liquéfié - GNL) permet de s’affranchir des frontières dans le transport du gaz, à l’image du transport mondialisé du pétrole. En effet, la construction d’un gazoduc international peut s’avérer infaisable pour des raisons économiques et/ou géopolitiques. Il serait ainsi compliqué de construire un gazoduc entre les États-Unis, le Nigéria ou le Qatar avec l’Europe.
Le GNL nécessite beaucoup plus d’énergie pour son acheminement que le gaz transitant par gazoduc...
Liquéfier le gaz pour le transporter par méthanier, et le regazéifier dans les terminaux méthaniers consomment en moyenne deux fois plus d’énergie pour une même quantité de gaz transporté sur un km qu’un gazoduc(1).
À cela, il faut ajouter la distance parcourue. Elle est généralement beaucoup plus importante pour le GNL pour les raisons précitées : de 8 000 à 11 000 km pour le Nigéria, le Qatar et les États-Unis, contre 500 à 2 500 km pour les gazoducs provenant des Pays-Bas, de Norvège et d’Algérie.
En combinant ces deux effets, il faut consommer environ 0,1 kWh d’énergie par m3 de gaz norvégien transporté par gazoduc alors qu’il en faut environ 1 kWh pour liquéfier et transporter un m3 de GNL en provenance des États-Unis, soit 10 fois plus.
Le GNL américain, c’est avant tout du gaz de schiste très carboné
En 2021, 79% du gaz naturel produit aux États-Unis était du gaz de schiste(2). L’extraction de ce dernier est loin d’être indolore pour l’environnement. En effet, ce gaz est réparti de manière diffuse dans la roche mère, contrairement au gaz conventionnel. Il faut ainsi dépenser beaucoup plus d’énergie pour fracturer la roche et le récupérer. En procédant ainsi, de nombreuses fuites de méthane sont également générées.
Au total, l’extraction du gaz de schiste génère entre 1,5 et 4 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’extraction du gaz conventionnel(3).
Verdict : un GNL américain, pas loin d’être aussi émissif que le charbon
Certes, la zone d’incertitude reste importante sur l’impact climatique néfaste du gaz de schiste mais les conclusions se dégagent clairement :
- l’extraction et le transport par GNL du gaz américain émet 9 à 14 fois plus que le gaz norvégien acheminé par gazoduc ;
- en intégrant les émissions de combustion, la fourchette haute de l’empreinte carbone du GNL américain équivaut à 85% des émissions du charbon pour une même quantité d’énergie consommée.
Un petit mot sur les émissions amont du charbon : elles sont principalement dues à l’énergie consommée par les foreuses dans les mines. Contrairement au GNL, les navires transportent une marchandise sèche en vrac et consomment peu d’énergie au km pour une tonne transportée, grâce à la poussée d’Archimède. Ainsi, la distance parcourue par le charbon a un faible impact sur son empreinte carbone, que ce soit de Russie ou d’Australie (représentant 60% des importations françaises en 2020)(4).
Le GNL américain n’est même pas une solution réalisable immédiatement
S’affranchir du gaz russe grâce au GNL américain est l’une des mesures phares annoncées par l’Europe. Et pourtant, elle est loin de pouvoir être mise en place rapidement. Il faut au moins 2 ans pour construire des terminaux méthaniers pour accueillir le GNL sur notre sol comme en témoignent les projets en Allemagne et au Havre. Pour rappel, la construction de l’usine de regazéification de Dunkerque a duré 6 ans(5).
Faut-il encore lancer le projet, quelques milliards d’euros doivent être trouvés et mis sur la table rapidement à l’échelle européenne. En matière d’émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas tant la construction des terminaux méthaniers qui serait dommageable (moins de 5% de l’empreinte carbone totale du gaz consommé) mais le fait de verrouiller des émissions, liées à la consommation de GNL, pour les décennies à venir dans ces infrastructures fossiles que les financeurs voudront, coûte que coûte, rentabiliser.
Consommer moins d’énergie, la meilleure arme pour se passer du gaz russe en un temps record
Les mesures de sobriété, comme la réduction des températures de chauffage, et d’efficacité énergétique, comme l’isolation des bâtiments et l’installation de pompes à chaleur, permettent de réduire bien plus vite notre dépendance au gaz russe(6). Et ce pour de bon, sans se rendre encore plus dépendant des Américains.
Étonnant paradoxe, l’exploration de gaz de schiste est interdite en France mais nous en achetons déjà aux Américains. Alors soyons cohérents pour ne pas augmenter nos émissions de gaz à effet de serre, tout en profitant de cette crise énergétique pour nous mettre sur le chemin du respect de l’Accord de Paris.
Sources / Notes
- Importations de gaz naturel : tous les crus ne se valent pas, Carbone 4, octobre 2021.
- How much shale gas is produced in the United States?, EIA.
- Yu Gan et al. (2020), Carbon footprint of global natural gas supplies to China, Nature communications 11, 824 ; Ramón A.Alvarez et al. (2018), Assessment of methane emissions from the U.S. oil and gas supply chain, Science, Vol. 361, Issue 6398, pp. 186-188 ; Howarth, R. W. (2019), Ideas and perspectives: is shale gas a major driver of recent increase in global atmospheric methane?, Biogeosciences, 16, 3033–3046.
- Importations de charbon par pays d'origine, Ministère de la Transition écologique.
- Guerre en Ukraine : « Les systèmes énergétiques les plus rapides et les moins chers à construire dans l’urgence sont l’éolien terrestre et le solaire », Robert Bell, Le Monde, 10 avril 2022.
- Consommer moins d’énergie : la meilleure arme pour se passer du pétrole et du gaz russe en un temps record, Carbone 4, 17 mars 2022.