Une fiscalité « élastique » pour faire face aux variations des prix du pétrole ?

parue le
Une fiscalité « élastique » sur les carburants

©Unsplash

« Il est possible de mieux protéger les consommateurs des variations de prix en modifiant l’architecture de la fiscalité sur les carburants », assure l'économiste du climat Quentin Perrier dans une note publiée par Terra Nova ce 9 octobre (accessible en bas de cet article). Comment ? Avec une fiscalité « élastique » évoluant au gré des variations du pétrole brut...

Une fiscalité sur les carburants jugée inadaptée

Face aux fortes variations des prix des carburants en France et aux protestations des automobilistes subissant les hausses, Quentin Perrier s'interroge sur la fiscalité en place : si celle-ci « fournit un signal-prix utile à long terme, elle répond mal aux enjeux liés à la volatilité des prix à court et moyen terme ».

Le rejet de la hausse de la taxe carbone par les Gilets jaunes est l'une des illustrations des limites du dispositif fiscal actuel, indique l'économiste, pointant également l'alignement à venir de la fiscalité sur le gazole non routier de l’agriculture et du BTP avec le gazole routier (qui doit se faire de façon progressive entre 2024 et 2030, sans prendre en compte l'évolution des cours du brut).

Les réflexions sur la fiscalité pesant sur les carburants sont jusqu'ici « restées dans une logique de compensation, consistant à taxer puis à redistribuer aux publics les plus précaires ». Une logique rejetée à ce jour par des citoyens méfiants, indique la note.

Le retour d'une « TIPP flottante » corrigée ?

La note de Terra Nova préconise ainsi une modulation de la fiscalité en fonction des prix internationaux du baril de brut : « en cas d’envolée des prix internationaux du baril, le taux de taxe pourrait diminuer afin d’atténuer l’impact sur les prix à la pompe. Inversement, le taux de taxe augmenterait lorsque les prix baissent, afin de préserver l’incitation à décarboner ». 

Pour la mise en œuvre de cette fiscalité dite « élastique », l'auteur préconise la mise en place d'un barème (voté annuellement dans le cadre des lois de finances) qui pourrait être modifié par le Parlement « en fonction de ses objectifs en termes de décarbonation, d’efforts demandés aux automobilistes et de recettes fiscales pour l’année à venir ». Le barème serait automatiquement « ajusté de façon hebdomadaire » dans les stations-service suivant l'évolution des cours du pétrole brut.

Cette suggestion pourrait s'apparenter à la « TIPP flottante » mise en place par le gouvernement Jospin entre 2000 et 2002 « mais elle en corrige les principaux défauts » (en particulier le délai de réaction liée à la nécessité de devoir voter chaque hausse de taxe), assure Quentin Perrier.

Quel impact sur les finances publiques ?

Deux questions majeures se posent alors: 

  • le niveau d'élasticité de la fiscalité : « plus la taxe est élastique, plus le consommateur sera protégé de la volatilité des prix, en contrepartie d’une plus grande incertitude sur les recettes fiscales de l’État ». La note de Terra Nova envisage deux scénarios : une taxe très élastique couvrant la moitié des variations du prix du brut (à chaque augmentation du prix du pétrole, la taxe sur les carburants baisse pour amortir la moitié de cette augmentation et inversement en cas de baisse du prix) et une taxe légèrement élastique (couvrant 17 % des variations du prix du brut). Dans le cas d'une taxe très élastique, le prix du gazole à la pompe n'aurait par exemple pas dépassé 1,73 euro par litre en 2022 (alors qu'il a largement dépassé 2 €/l avec la taxe « rigide » actuelle) ;
     

  • l'impact sur les finances publiques alors que les recettes de TICPE se sont élevées à près de 32 milliards d'euros en 2022. Il est recommandé à ce titre d' « estimer le barème nécessaire pour maintenir un certain niveau de recettes pour les finances publiques, à l’instar de ce qui est pratiqué pour le bonus-malus automobile ». Même sans pilotage, la note de Terra Nova estime qu'un tel dispositif, s'il avait été mis en place en 2010, aurait réduit de 2% les recettes publiques avec une taxe légèrement élastique (près de 500 millions d'euros de baisse par an) et de 6% avec une taxe très élastique (près de 1,5 milliard d'euros de baisse par an). Quentin Perrier met en parallèle le coût d'autres mesures « actées à cause de la rigidité de la taxe actuelle : la ristourne à la pompe mise en place en 2022 sur neuf mois a coûté près de 8 milliards d’euros, soit autant que la mise en place d'une taxe légèrement élastique depuis 2010 ».

Quentin Perrier appelle in fine à « changer de focale : on ne regarde plus le taux de taxe mais le prix final pour le consommateur ». Ce qui profiterait selon lui également aux politiques climatiques qui seraient « mieux acceptées, plus efficaces et plus pérennes ».

Sur le même sujet