
Réhabilitation d'une ligne électrique 400 kV (©OC Fims)
Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE a présenté ce 9 décembre son Bilan prévisionnel 2025 (accessible en bas de cet article), dans lequel il actualise différentes trajectoires possibles d'évolution du système électrique d'ici à 2035.
Offre et demande : des « rythmes » bien différents
La nouvelle publication de RTE « s'inscrit dans un cycle de réactualisations », rappelle RTE en préambule. Elle intègre des modifications significatives par rapport à la précédente version du Bilan prévisionnel publiée en 2023 (les Futurs énergétiques 2050 de RTE - qui étudient les stratégies permettant d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 - seront par ailleurs révisés « pour la fin de l’année 2026 »).
Et pour cause, les « rythmes d’évolution de la consommation et de la production » ont livré des conclusions bien différentes au cours des deux dernières années : la consommation d’électricité est « demeurée atone », restant toujours près de 6% inférieure au niveau de la demande pré-Covid (ce qui correspond au scénario « mondialisation contrariée » du Bilan prévisionnel 2023) tandis que la production d’électricité « s’est rétablie suite aux crises sanitaire et énergétique ». La production nucléaire s'est redressée, notamment après la crise des phénomènes de corrosion sous contrainte, tout comme la production hydroélectrique (qui avait chuté en 2022 à son plus bas niveau depuis 1976 en raison d'une sécheresse). Et RTE fait état d’un rythme de développement moyen de nouvelles productions renouvelables hors hydroélectricité de + 9 TWh/an sur la période 2021-2025 (contre + 3 TWh/an sur 2011- 2015).
Très prosaïquement, « nous produisons plus d’électricité que nous n’en consommons », souligne Thomas Veyrenc, directeur en charge de l’économie et de la stratégie au sein de RTE. La France est entrée dans une période de « surcapacité transitoire » et cette constatation devrait rester « avérée pour 2 à 3 ans », compte tenu de l’inertie du système électrique, souligne le gestionnaire de réseau.
Mais pour le gestionnaire, cette abondance est à ce stade plus une chance qu'un handicap. La France a de fait, avec une production électrique à plus de 95% bas carbone, « réussi un des deux aspects de la transition électrique », constate Nicolas Goldberg, associé énergie chez Colombus Consulting. Et le solde net des exportations françaises d'électricité a atteint un record de + 89 TWh en 2024 (+ 82 TWh en 2025 à fin novembre).

Deux nouvelles trajectoires de décarbonation : une seule acceptable
Et maintenant ? Dans la stratégie de décarbonation française figurent entre autres l'accroissement de la production électrique bas carbone, le développement des réseaux, la poursuite des efforts d'efficacité, de sobriété et de flexibilité mais aussi une « électrification rapide des usages, complétée d’une bascule vers d’autres vecteurs énergétiques ». C'est là où le bât blesse encore.
Le gestionnaire de réseau rappelle qu'une décarbonation rapide du pays reposant sur l'électricité doit permettre de porter la part de l'électricité dans la consommation finale autour de 40 à 45% à cet horizon (contre 26% en 2024) et de réduire in fine la part des énergies fossiles dans la consommation totale d'énergie en France autour de 30 à 35% en 2035 (contre 60% aujourd'hui).
D'ici à 2035, RTE présente deux trajectoires de consommation : une dite de « décarbonation lente » (non compatible avec les objectifs climatiques, avec une consommation nationale avoisinant 470 TWh en 2030 et 505 TWh en 2035, contre environ 440 TWh en 2024) et une de « décarbonation rapide » (permettant d'atteindre les différents objectifs publics, avec une consommation de 510 TWh dès 2030 et de 580 TWh à l'horizon 2035).

Interrogé sur le scénario le plus probable parmi les deux trajectoires, Thomas Veyrenc indique que le choix « se jouera dans les prochains trimestres ».
Nicolas Goldberg appelle quant à lui à ne surtout pas prendre la trajectoire de décarbonation lente comme un scénario de référence. Si la consommation française d'électricité « ne se situe pas entre 540 TWh et 580 TWh en 2035, nous aurons totalement échoué », face à la nécessaire émancipation des énergies fossiles. « Donald Trump et Vladimir Poutine n'ont certainement pas envie » que la France et l'Europe prennent cette direction et apprécient de fait cette dépendance aux importations de combustibles fossiles (selon RTE, une décarbonation rapide du pays pourrait permettre de réduire de 500 TWh les importations d'énergies fossiles en 2035 par rapport à 2024).
Que change ce Bilan prévisionnel et que faut-il faire ?
Fait nouveau d'importance : les deux trajectoires présentées par RTE « ne relèvent plus de la prospective » comme les précédentes mais « s’appuient sur des projets existants qu’il convient désormais de concrétiser » : le gestionnaire de réseau indique que plus de 30 GW de capacités d'accès à son réseau de transport ont déjà été réservées pour les prochaines années (près de 14 GW pour le numérique et les data centers, environ 10 GW pour l'hydrogène et ses dérivés et près de 7 GW pour l'industrie manufacturière).
Dans ses deux trajectoires, le gestionnaire de réseau estime le taux de concrétisation de ces projets, en retenant un taux faible dans le scénario de décarbonation lente et plus élevé dans le scénario de décarbonation rapide (avec par exemple, 60% de concrétisation des projets de data centers, avec un facteur de charge de 20% desdits projets). « Ce qu’il faut, c’est que les pouvoirs publics prennent cette file d’attente de projets et voit comment sécuriser ceux qui nous émancipent des énergies fossiles : cela ne tient parfois pas à grand-chose», souligne Nicolas Goldberg.
Côté offre, RTE présente dans son Bilan prévisionnel 4 rythmes de développement des capacités renouvelables hors hydroélectricité (allant de R1 à R4 par vitesse). Sachant que le rythme R1 est jugé insuffisant pour satisfaire les besoins électriques du scénario - souhaitable - de transition rapide et que le rythme R4 pourrait conduire à des questions de « suréquipement ». Certains dans le champ politique préconisent un ajustement du rythme de développement des renouvelables. RTE souligne pour sa part que, si cette option « constitue un des leviers actionnables [...] cette régulation est moins efficace sur le plan économique que de réussir la transition vers une décarbonation rapide ».
Le gestionnaire souligne par ailleurs qu'« à moyen et long terme, la poursuite d’une tendance d’électrification modérée conduirait à remettre en question également des projets éoliens en mer (notamment flottants) et les nouveaux réacteurs nucléaires ».
Le caractère interconnecté du réseau électrique « conduit dans tous les cas à des évolutions majeures pour la gestion de l’équilibre offre-demande en France ». Les pays voisins affichent en outre l'ambition d'un développement extrêmement élevé de leurs consommations d'électricité : + 45,8% entre 2024 et 2035 au Royaume-Uni, +44% en Espagne et + 76,5% en Allemagne (pour passer d'une consommation annuelle de 510 TWh à près de 900 TWh dans une décennie).
Notons enfin que cette nouvelle publication de RTE doit naturellement permettre d'affiner également les objectifs de la PPE3 qui n'a toujours pas été publiée. Le ministère de l'Économie a confirmé que cette publication allait ouvrir une séquence politique avec des annonces du gouvernement sur une « stratégie d'électrification complémentaire » à la future PPE, sur laquelle des décisions seront « prises d'ici Noël ».
Consulter le Bilan prévisionnel de RTE (Édition 2025).
Les réactions
Syndicat des énergies renouvelables (SER)
« Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) salue les enseignements du rapport qui confirment que la situation actuelle d’abondance de la production d’électricité constitue une opportunité majeure pour accélérer la décarbonation et la réindustrialisation de notre pays. Utiliser cet atout pour décarboner rapidement notre consommation d’énergie constitue par ailleurs le scénario le plus efficace car présentant les « coûts systèmes » les plus bas. [...]
Le bilan prévisionnel nous délivre un enseignement central : le scénario dit de « décarbonation rapide » consistant à accélérer la concrétisation des projets de décarbonation et d’électrification est bien plus efficace que celui visant à ralentir le développement des énergies renouvelables. Le coût complet du système énergétique serait en effet plus bas de 7€/MWh (que dans le cas d’un scénario de décarbonation lente), alors qu’il ne baisserait que de 2€/MWh dans un scénario de ralentissement des EnR. De la même manière, les gains pour le parc nucléaire (via une moindre modulation) seraient bien supérieurs dans le scénario de « décarbonation rapide » et bien moindres dans un scénario de baisse des ambitions sur les renouvelables. »
Réseau Action Climat France
« Ce bilan nous montre que la France n’est pas sur la trajectoire d’une transition énergétique sérieuse, et qu’un sursaut rapide de l’action publique doit avoir lieu. Contrairement à ce que prévoyaient les trajectoires de la planification énergétique, la consommation d’électricité n’a pas augmenté ces dernières années. Cette stagnation ne résulte pas, hélas, d’investissements massifs dans les économies d’énergie, mais d’un soutien à l’élimination des énergies fossiles désordonné et volontairement sous-financé. [...]
Par ailleurs, la situation actuelle sur la consommation d’électricité est récupérée par des discours opportunistes et défaitistes, qui soutiennent qu’il faudrait s’en satisfaire, et mettre à l’arrêt les filières d’électricité renouvelable. Or d’une part, les appels d'offres qui seront ouverts dans les prochains mois porteront sur des projets qui produiront autour de 2030. Arrêter le soutien aux énergies renouvelables aujourd’hui, c’est décréter que la production d’électricité n’augmentera pas dans 5 ans. Un tel choix obligerait à abandonner les objectifs d’électrification, donc de sortie des fossiles. »
Union française de l'électricité (UFE)
« L’UFE salue la qualité des analyses produites par RTE, qui apportent un éclairage essentiel aux acteurs du système énergétique et à la décision publique. Ces analyses font apparaitre la valeur des investissements déjà réalisés, au profit de la rupture majeure que doit constituer l’électrification des usages, du renforcement de notre sécurité énergétique, de la compétitivité de notre économie et du respect de nos engagements climatiques européens.
Les analyses de RTE interviennent dans un contexte où les prix de marché de l’électricité retrouvent des niveaux compétitifs et stables. Cette situation constitue aujourd’hui une véritable opportunité pour électrifier davantage notre économie, et ainsi renforcer durablement la souveraineté énergétique du pays.
Dans ce contexte, l’UFE formulera ses propositions au gouvernement en vue d’un « Plan d’électrification des usages » dans les prochaines semaines. »
France Renouvelables
« L’abondance actuelle d’électricité de notre pays constitue un atout stratégique. Au-delà des effets positifs sur notre balance commerciale (5 milliards d’euros de recettes en 2024), elle permet surtout à la France de déployer une réelle électrification tout en protégeant les consommateurs des risques de crise d’approvisionnement, qu’ils soient techniques ou géopolitiques.
RTE souligne qu’un scénario de sous-capacité entraînerait une hausse importante et durable des coûts (environ + 40 %), alors qu’une stratégie de puissance installée abondante limiterait l’impact tarifaire (+ 7 à + 10 %). Cette réalité éclaire directement les choix d’investissement et la trajectoire de la PPE.
L’analyse de RTE met clairement en évidence les bénéfices et le cercle vertueux d’une trajectoire d’électrification rapide, soutenue par un développement ambitieux des énergies renouvelables à l’horizon 2035. Les scénarios R4, pleinement alignés avec nos objectifs nationaux, et - dans une moindre mesure - R3, montrent que cette dynamique permettrait une baisse significative des coûts de production et des coûts liés au réseau. »
Bercy
Ce rapport « confirme la nécessité d'accélérer sur l'électrification des usages pour atteindre nos objectifs : transition écologique, des logements plus résilients, décarbonation de l'industrie et réindustrialisation, indépendance énergétique », a commenté Bercy.
