
La centrale nucléaire de Bruce, située à Tiverton dans l’Ontario (Canada), est composée de 8 réacteurs à eau lourde pressurisée. (©Bruce Power)
L’eau « lourde » désigne l’oxyde de deutérium (D2O), molécule composée d’un atome d’oxygène et de deux atomes de deutérium. Elle se distingue de l'eau « ordinaire » (H2O) dont les atomes d'hydrogène sont remplacés par du deutérium, un isotope plus lourd de l'hydrogène.
Utilisée principalement dans certains types de réacteurs nucléaires, elle sert à modérer les neutrons et à favoriser les réactions de fission.
Modérateur dans un réacteur nucléaire
Dans la plupart des réacteurs nucléaires actuellement en service (à l’exception des réacteurs à neutrons rapides), un « modérateur » est nécessaire pour ralentir les neutrons issus des fissions nucléaires. Les ralentir permet d’augmenter la probabilité que ceux-ci provoquent de nouvelles fissions et entretiennent ainsi une « réaction en chaîne ».
Il existe principalement trois modérateurs : l’eau « ordinaire » (aussi qualifiée d’eau « légère »), l’eau « lourde » et le graphite.
Composition chimique
Le deutérium est un isotope de l’hydrogène : son noyau possède un proton comme l’hydrogène mais aussi un neutron (alors que l’hydrogène n’en a pas).
L’eau lourde possède ainsi les mêmes propriétés chimiques que l’eau ordinaire (H2O) mais elle est plus dense que cette dernière (densité d’environ 1,1 à 20 °C) car elle a une masse atomique plus élevée (20 contre 18), d’où son appellation.
Combien y a-t-il de réacteurs nucléaires à « eau lourde » et où sont-ils situés ?
Sur les 416 réacteurs nucléaires « opérationnels » dans le monde au 12 novembre 2025, 46 sont modérés par de l’eau lourde selon l’AIEA(1). La majorité d’entre eux sont situés en Inde (19 réacteurs) et au Canada (17 réacteurs de type « CANDU », soit l'intégralité du parc nucléaire canadien). Les autres réacteurs à eau lourde en service sont situés en Corée du Sud (3 PHWR), en Argentine (3), en Chine (2) et en Roumanie (2).
La France a exploité dans le passé une centrale nucléaire à eau lourde en Bretagne (Brennilis). Elle a été arrêtée en 1985.
Précisons que les réacteurs nucléaires utilisant l’eau lourde sont aujourd’hui tous refroidis par le modérateur lui-même (l’eau lourde) : ces réacteurs sont dits « PHWR » pour Pressurized Heavy Water moderated and cooled Reactor) alors que certains étaient refroidis par un caloporteur distinct dans le passé (par exemple le CO2 dans les réacteurs dits « HWGCR » pour Heavy Water Gas Cooled Reactor).
Avantages et inconvénients
Dans les réacteurs dits à « eau lourde », le combustible peut être peu ou pas enrichi (en uranium 235) car l’eau lourde « modère » la réaction en chaîne efficacement et surtout capture beaucoup moins de neutrons de façon stérile que l’eau ordinaire : elle augmente donc la probabilité des fissions d’atomes d’uranium 235 par unité de volume. L’eau lourde ne nécessite ainsi pas d’installation d’enrichissement.
Précisons également que l’eau lourde maintenue sous pression, comme dans un réacteur à eau pressurisé « classique » (REP), peut atteindre des températures très élevées sans bouillir.
Toutefois, elle est plus chère que l’eau ordinaire et les réacteurs dans lesquels elle est utilisée comme modérateur sont moins compacts que les réacteurs à eau légère (les barres de combustible devant être plus espacées).
Procédé de fabrication
Sur Terre, de l'eau « semi-lourde » (HDO) est naturellement présente dans l’eau à une proportion d’environ 1 molécule pour 3 200(2). La molécule HDO peut ainsi être séparée de l’eau « légère » pour produire de l'eau lourde, les deux principaux procédés industriels étant le procédé de Girdler et l'électrolyse.
Ces procédés sont techniquement complexes et énergétiquement coûteux, mais ils permettent de produire l'eau lourde nécessaire pour diverses applications industrielles, scientifiques et nucléaires.
Procédé de Girdler
Ce procédé le plus courant a été mis au point indépendamment par Karl-Hermann Geib and Jerome S. Spevack au début des années 1940.
- Absorption du deutérium : de l'eau ordinaire (H2O) est mise en contact avec du sulfure d'hydrogène (H2S) dans deux colonnes. Le deutérium contenu dans l'eau a une affinité plus élevée pour le sulfure d'hydrogène que l'hydrogène léger.
- Échange isotopique : les deux colonnes sont soumises à différentes températures (l'une « chaude » autour de 130°C et l'autre « froide » autour de 30°C), un échange isotopique se produit où le deutérium du sulfure d'hydrogène passe dans l'eau et l'hydrogène léger passe dans le sulfure d'hydrogène. Ce processus est facilité par la différence de solubilité du deutérium et de l'hydrogène à différentes températures.
- Concentration progressive : ce processus d'échange est répété à plusieurs reprises pour augmenter progressivement la concentration de deutérium dans l'eau. À chaque étape, la concentration de deutérium dans l'eau augmente jusqu'à atteindre le niveau souhaité d'environ 99,75% de D2O.
Électrolyse en cascade
L'électrolyse est une méthode alternative qui utilise l'électricité pour séparer l'eau en ses composants.
- Séparation initiale : l'eau est électrolysée pour séparer l'hydrogène et l'oxygène. L'eau légère (H2O) est plus facilement dissociée que l'eau lourde, ce qui conduit à une légère concentration de D2O dans le résidu d'eau.
- Concentration progressive : le résidu d'eau enrichi en D2O est ensuite électrolysé plusieurs fois dans une série d'étapes pour augmenter la concentration de D2O. À chaque étape, l'hydrogène léger est éliminé, augmentant ainsi la proportion de deutérium dans l'eau restante.
- Distillation finale : après plusieurs étapes d'électrolyse, une distillation peut être effectuée pour purifier et concentrer davantage l'eau lourde jusqu'à atteindre une pureté de 99,75% de D2O.






