Principes de fonctionnement d'un réacteur nucléaire

piscine de réacteur nucléaire à l'intérieur d'une centrale

Chargement d'un réacteur de la centrale chinoise de Ling Ao (©EDF-Gabriel Liesse)

Définition et constitution

Un réacteur nucléaire permet de produire une réaction de fission en chaîne et d’en contrôler l’intensité, pour produire de l'énergie sous forme de chaleur, utilisée principalement pour générer de l'électricité.

Quatre constituants principaux sont nécessaires pour concevoir un réacteur nucléaire :

  • un combustible dans lequel se produit la fission ;
  • un fluide caloporteur, liquide ou gazeux, qui transporte la chaleur hors du cœur du réacteur pour ensuite actionner un turbine (turboalternateur) permettant la production d’électricité ;
  • un modérateur (sauf pour les réacteurs à neutrons rapides) qui permet de ralentir les neutrons afin de favoriser la réaction en chaîne ;
  • un moyen de contrôle de la réaction en chaîne. Il en existe deux types :
    • des barres de commande constituées de matériaux absorbant les neutrons que l’on fait plus ou moins rentrer dans le cœur du réacteur ;
    • des corps dissous dans l’eau dont on peut faire varier la concentration au cours du temps (par exemple du bore sous forme d’acide borique).

Le cœur du réacteur est la partie du réacteur nucléaire où se déroulent les réactions de fission nucléaire, contenant le combustible nucléaire (comme l'uranium ou le plutonium), les barres de contrôle, et le modérateur qui ralentit les neutrons pour maintenir la réaction en chaîne.

La cuve du réacteur est un grand récipient en acier épais et robuste qui contient le cœur du réacteur nucléaire, le fluide caloporteur (souvent de l'eau sous pression), ainsi que les barres de contrôle. Elle joue un rôle crucial en assurant l'intégrité structurelle du réacteur, en conférant un confinement physique pour le combustible nucléaire et en facilitant le transfert de chaleur depuis le cœur vers le générateur de vapeur tout en protégeant contre les radiations.

La réaction en chaîne est maintenue si le nombre de neutrons produits par les fissions des atomes lourds est égal au nombre de neutrons qui disparaissent.

Fission

La fission nucléaire consiste à casser des noyaux lourds, comme ceux de l’uranium 235 ou du plutonium 239. Sous l’effet de l’impact d’un neutron, les noyaux lourds se divisent en deux atomes plus petits, libèrent de l’énergie et des neutrons. C’est cette énergie qui est utilisée dans les réacteurs nucléaires. Les neutrons libérés peuvent alors aller percuter un autre atome lourd qui va se diviser en deux à son tour, etc. C’est la réaction en chaîne.

Les neutrons émis par la fission d’un atome d’uranium 235 ont une vitesse de 20 000 km/s. Pour entretenir la réaction en chaîne, ces neutrons sont ralentis par le modérateur jusqu’à une vitesse de 2 km/s.

Réaction en chaîne

La réaction en chaîne est maintenue dans le cœur du réacteur si le nombre de neutrons produits par les fissions des atomes lourds est égal au nombre de neutrons qui disparaissent (par exemple absorbés par l’uranium 238). Le rapport de ces deux nombres (production divisée par disparition) est appelé coefficient de multiplication (ou « criticité ») et doit être égal à 1.

Une réaction de fission est donc stable lorsque le rythme des fissions d’atomes est constant : il n’y a pas de multiplication des fissions. Ce rythme dépend des quantités de neutrons disponibles provoquant chaque nouvelle fission. En fonctionnement normal, les neutrons issus de la première fission d’un atome sont partiellement capturés par les barres de contrôle du réacteur, de manière à ce qu’un seul neutron soit disponible pour provoquer une deuxième fission à son tour. Le rapport du nombre de neutrons entre les deux générations successives de neutrons est ainsi égal à 1.

Ce rapport est représenté par une variable appelée « facteur de criticité Keff (k) » Lorsque le réacteur est en état critique, k=1. Cela signifie que le nombre de fissions secondaires est égal au nombre de fissions primaires : la réaction de fission est donc stable.

Si k>1, le réacteur est en état surcritique : la quantité de fissions augmente exponentiellement et la réaction en chaîne s’emballe et le nombre de neutrons présents dans le cœur va augmenter très rapidement, ce qui entraînera une augmentation du nombre de fissions et de l’énergie dégagée. Par exemple, si k=1,05, les 100 fissions initiales se multiplieraient à 13 150 fissions à la 100e génération (100 x 1,05100).  

Si k<1, le réacteur est sous-critique : le nombre de fission décline. Si k=0,95, les 100 fissions initiales seraient réduites à 1 fission à la 90e génération (100 x 0,95). Dans ces conditions, les neutrons disparaissent plus vite qu’ils ne sont produits et le réacteur finirait par s’éteindre. Le pilotage des réacteurs consiste donc à les maintenir à une criticité précise k=1.

Chaîne énergétique

La chaîne énergétique d'une centrale nucléaire fonctionne de la manière suivante :

  1. Fission nucléaire : Dans le cœur du réacteur, des atomes de combustible nucléaire (comme l'uranium-235 ou le plutonium-239) subissent des fissions lorsque des neutrons les percutent. Cette réaction libère une grande quantité de chaleur.
  2. Production de chaleur : La chaleur générée par les fissions nucléaires est transférée au fluide caloporteur (souvent de l'eau sous pression) qui circule dans le cœur du réacteur.
  3. Génération de vapeur : Le fluide caloporteur chauffé passe par un générateur de vapeur où il transfère sa chaleur à de l'eau secondaire, produisant de la vapeur.
  4. Turbine à vapeur : La vapeur produite est dirigée vers une turbine à vapeur, où elle fait tourner les pales de la turbine.
  5. Génération d'électricité : La rotation de la turbine entraîne un générateur qui convertit l'énergie mécanique en énergie électrique.
  6. Condensation de la vapeur : Après avoir traversé la turbine, la vapeur est refroidie et condensée en eau dans un condenseur, souvent en utilisant de l'eau de refroidissement provenant d'une source externe (comme une rivière ou un système de refroidissement à eau).
  7. Recyclage : L'eau condensée est renvoyée dans le générateur de vapeur pour être réchauffée et le cycle recommence.
  8. Distribution de l'électricité : L'électricité produite est ensuite acheminée via des lignes de transmission vers le réseau électrique pour être distribuée aux consommateurs.

Ce processus permet de convertir l'énergie nucléaire en électricité de manière efficace et continue.

Les différentes filières

Plusieurs technologies permettent de transformer l’énergie issue de la réaction de fission en électricité. On les caractérise par famille en fonction des composants principaux : combustible, modérateur (ou absence de modérateur) et caloporteur.

Plus de 80% du parc nucléaire en fonctionnement dans le monde est constitué de REP et de REB.

À l’heure actuelle, trois principales filières sont développées dans le monde.

La filière à eau « ordinaire » ou « légère » et à uranium enrichi en U235

Dans cette filière, il existe deux types de réacteurs : les Réacteurs à Eau Pressurisée ou sous pression (REP ou PWR) et les Réacteurs à Eau Bouillante (REB ou BWR). Plus de 80% du parc nucléaire en fonctionnement dans le monde est constitué de réacteurs exploitant cette filière. Les réacteurs REP sont les plus utilisés dans le monde (73% des réacteurs dans le monde à fin septembre 2023 selon l'AIEA(1)) et équipent tout le parc électronucléaire français (56 réacteurs en fonctionnement). Dans les REP et REB, l’eau joue le rôle de fluide caloporteur et de modérateur.

La confusion entre REP (Réacteur à Eau Pressurisée) et EPR (European Pressurized Reactor ou Evolutionary Power Reactor) provient de la proximité de ces acronymes : « REP » est parfois considéré à tort comme une traduction française d’« EPR ». Or, un REP est appelé « PWR » en anglais (Pressurized Water Reactor). Il n’existe pas de traduction française de l’acronyme EPR. En toute rigueur, il pourrait être traduit « REPE » (REP européen).

La filière à eau lourde et à uranium naturel

Avec de nombreuses variantes, ces filières utilisent un combustible peu ou pas enrichi et un modérateur qui est l’eau « lourde » (oxyde de deutérium). Les grands pays utilisant cette filière sont le Canada et l’Inde. La France a exploité une centrale de ce type à Brennilis, en Bretagne. Elle est maintenant déclassée et en cours de démantèlement.

La filière à neutrons rapides et à combustible plutonium et uranium naturel

Dans cette filière, le combustible utilisé est l’uranium 238 (99,28% de l’uranium naturel), transformé en plutonium 239 par absorption de neutrons rapides. Le plutonium généré est lui-même fissionné par une partie des neutrons.

Cette filière qui a connu un fort développement en France avant d’être arrêtée constitue une voie d’avenir parce qu’elle permet d’organiser une réaction en chaîne avec du plutonium issu du retraitement des combustibles usés de tous les types et de transformer l’uranium 238 en plutonium. Ces réacteurs génèrent donc plus de matière fissile qu’ils n’en consomment et permettent donc de beaucoup mieux utiliser le minerai naturel.

Les autres filières

Les filières dites « graphite-gaz » développées initialement en Europe (principalement au Royaume-Uni) et dont il existe de nombreux exemples dans le monde ne sont plus développées. Elles utilisent le graphite comme modérateur, l’uranium naturel ou faiblement enrichi comme combustible et le CO2 (voire l’hélium) comme caloporteur.

Quelle que soit la filière, les différents types de réacteurs, progressivement perfectionnés, ont été classés en catégories, appelées « générations ». Chaque génération apporte un progrès dans l’utilisation des combustibles, la sûreté nucléaire, la réduction des nuisances et des déchets (les centrales actuellement en construction sont de la 3e génération, la majorité des centrales en exploitation dans le monde appartient encore à la 2e génération).

Fonctionnement des centrales nucléaires

Le principe de fonctionnement des réacteurs dépend d'une filière à l'autre.

La filière à eau « ordinaire » ou « légère »

Les Réacteurs à Eau Pressurisée (REP)

schéma réacteur nucléaire eau pressurisée

 Schéma de fonctionnement d’un réacteur à eau pressurisée (©Connaissance des Énergies)

Dans les réacteurs REP, tout comme dans les REB, le cœur du réacteur avec le combustible nucléaire est placé dans une cuve elle-même en contact avec de l’eau. La réaction en chaîne échauffe les assemblages de combustible qui chauffent alors l’eau, appelée eau « primaire ». En exerçant une forte pression (155 atmosphères), le pressuriseur empêche cette eau de bouillir. L’eau « primaire » reste donc sous forme liquide.

Grâce aux pompes primaires, l’eau « primaire » circule en circuit fermé entre la cuve du réacteur et le Générateur de Vapeur (GV). Le GV est un échangeur qui va permettre la transmission de la chaleur de l’eau du circuit primaire à l’eau du circuit secondaire. L’eau secondaire — qui ne sera jamais en contact avec le combustible — étant soumise à une pression beaucoup plus faible (70 atmosphères), va entrer en ébullition. La vapeur alors produite est acheminée vers le turboalternateur. Une fois actionné par la vapeur, le turboalternateur produit de l’électricité.

À la sortie du turboalternateur, la vapeur est retransformée en eau dans un « condenseur » refroidi par de l’eau de mer ou de rivière ou encore par de l’air frais et humide qui s’engouffre dans les tours en béton appelées « aéroréfrigérantes ». Cette eau est donc un troisième circuit totalement indépendant de l’eau secondaire.

L’eau secondaire est ramenée vers le réacteur nucléaire pour être à nouveau transformée en vapeur refermant ainsi le cycle.

Les Réacteurs à Eau Bouillante (REB)

schéma réacteur nucléaire eau bouillante

Schéma de fonctionnement d’un réacteur à eau bouillante (©Connaissance des Énergies)

Dans un REB, à l’inverse d’un réacteur REP, il n’y a pas d’eau secondaire, l’eau chauffée par les assemblages de combustible nucléaire entre en ébullition à l’intérieur même de la cuve.

La vapeur produite est acheminée vers le turboalternateur à l’aide des tuyauteries « vapeur » (l’eau qui n’aurait pas été vaporisée est remise en circulation dans le cœur du réacteur au moyen des pompes de recirculation). Actionné par la vapeur, le turboalternateur produit de l’électricité. La vapeur suit alors le même cycle que dans un REP. Elle est recondensée dans le condenseur refroidi par un circuit indépendant et est ramenée vers le cœur du réacteur.

La filière à eau lourde

L’eau « lourde » (D2O) est une combinaison d’oxygène et de deutérium (atome d’hydrogène lourd). Elle est utilisée comme modérateur dans des réacteurs surtout développés au Canada. L’eau lourde absorbe moins les neutrons que l’eau classique. Ainsi de l’uranium naturel transformé en plutonium peut être directement utilisé comme combustible dans ces réacteurs.

L’étape d’enrichissement de l’uranium n’a donc pas lieu dans le cycle du combustible utilisé dans ces réacteurs. L’eau lourde peut également être utilisée comme fluide caloporteur, car ses propriétés physiques sont proches de celles de l’eau classique.

La filière à neutrons rapides : Les réacteurs à neutrons rapides

Dans les réacteurs à neutrons rapides, il n’y a pas de modérateur. Les neutrons ne sont donc pas ralentis (d’où le nom des réacteurs) et gardent toute leur énergie. Ils ont ainsi la capacité de produire plus de matière fissile qu’ils n’en consomment. Ils utilisent presque toute l’énergie contenue dans l’uranium. De plus, les neutrons rapides ont la qualité de détruire au sein même du réacteur les déchets nucléaires en les transformant en noyaux plus légers par fission.

Le fluide caloporteur peut être un gaz inerte (hélium) ou un métal liquide (sodium). L’eau ne peut pas être utilisée car elle ralentirait les neutrons. Le combustible est constitué de plutonium et d’uranium 238, matière non fissible, qui se transforme en plutonium en absorbant un neutron.

Jusqu’à présent, les réacteurs à neutrons rapides ont uniquement fait l’objet d’expérimentations industrielles (en France, les réacteurs Phénix et Superphénix, puis le démonstrateur Astrid).

Types de réacteurs en France

Les 56 réacteurs REP du parc nucléaire français ne fournissent pas tous la même puissance :

  • 32 réacteurs délivrent une puissance de 900 MWe (mégawatts électriques) ;
  • 20 ont une puissance de 1 300 MWe ;
  • 4 ont une puissance avoisinant 1 500 MWe (Chooz 1 et 2 ; Civaux 1 et 2).

Un réacteur de 900 MW produit en moyenne chaque mois 500 GWh, soit 6 TWh par an, ce qui permet de couvrir la consommation électrique d'une ville d'environ 400 000 habitants.

Le réacteur EPR est un réacteur à eau pressurisée de Génération III+. Le combustible utilisé est de l’oxyde d’uranium modérément enrichi à 5% en uranium 235 ou bien du combustible MOX. La puissance électrique que l'EPR de Flamanville peut fournir est de l’ordre de 1 600 MWe.

Les avancées technologiques dont il bénéficie le rendent plus sûr et permettent de réduire l’impact sur l’environnement. Il produit ainsi plus d’électricité à partir d’une quantité de combustible donnée.

Les réacteurs nucléaires ne produisent pas tous de l’électricité

Un réacteur nucléaire produisant de l’électricité (électronucléaire) est une enceinte comprenant un cœur au sein duquel des réactions de fission nucléaire sont initiées et contrôlées(2). Ces fissions dégagent de la chaleur qui est utilisée pour générer de la vapeur. En actionnant une turbine, celle-ci permet de produire de l’électricité. Il existe toutefois d’autres réacteurs « nucléaires » dont les applications diffèrent.

Dans le domaine naval, des réacteurs nucléaires sont parfois utilisés pour propulser des navires et des sous-marins. L’énergie mécanique d’une turbine, actionnée par la vapeur produite, est utilisée pour faire tourner l’arbre d’hélice du navire par l’intermédiaire d’un réducteur.

Dans le domaine militaire, des réacteurs produisent du plutonium et de l’uranium très enrichi nécessaires pour constituer des armes nucléaires.

Dans le domaine de la « médecine nucléaire », des réacteurs nucléaires produisent des radio-isotopes qui sont ensuite utilisés à des fins de diagnostic (imagerie médicale) ou de thérapie (radiothérapie interne vectorisée ou métabolique). Pour produire ces radio-isotopes, des noyaux non radioactifs sont irradiés par des neutrons, notamment dans le cas du technétium 99m (99mTc), très utilisé en diagnostic.

Cette opération a lieu dans des réacteurs de recherche, comme Osiris dans le passé (arrêté en décembre 2015(3)) et Jules Horowitz(4) dans le futur (dont la mise en service n'est pas attendue avant 2021). Notons que des radio-isotopes peuvent également être produits par des cyclotrons (accélérateurs de particules dans lequel un champ magnétique est appliqué). En Europe, plus de 30 000 procédures médicales par jour(5) nécessitent l’usage de radio-isotopes, ce qui fait de leur sécurité d’approvisionnement un enjeu important dans le milieu médical.

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