
Professeur associé, Changement climatique & Transition énergétique, emlyon business school
Turnberry, Écosse. Juillet 2025. L'Union européenne et les États-Unis viennent de conclure un accord surprenant, conditionnant des droits de douane à des options d'achat d'énergie. L'intérêt et la faisabilité de ce partenariat inéquitable soulève un profond scepticisme. Il s'agit d'un premier acte dans une nouvelle forme de vassalisation de l’Europe que les entreprises doivent reconnaître et acter.
250 milliards de dollars d’achats de produits énergétiques par an
Sur le papier, les termes du partenariat semblent ainsi en défaveur de l'Union européenne : elle doit s’acquitter de 15% de droits de douane sur les produits exportés aux États-Unis, sans réciprocité. Surtout, elle s’engage à acheter 250 milliards de dollars de produits énergétiques par an sur les 3 prochaines années, et à investir 600 autres milliards sur le sol américain.
Dans les détails, nos volumes d'achat de combustibles fossiles (gaz, pétrole) et nucléaires auprès des entreprises américaines s’élèvent actuellement à 90 - 100 milliards de dollars par an. Pour respecter l'accord, nous devons remplacer les achats effectués auprès de la Russie, soit environ 22 milliards d'euros de combustibles fossiles et 700 millions d'euros de fournitures nucléaires par an. La différence (environ 130 milliards de dollars) serait réalisée grâce à l'acquisition de technologies énergétiques, notamment dans le nucléaire.
Il semble difficile de répondre à ces ambitions, et ce, pour plusieurs raisons.
Une bascule vers le GNL américain difficilement justifiable
Sur le plan logistique, la capacité d'exportation du GNL américain est actuellement de 123 Gm3 (milliards de mètres cubes) par an, avec un objectif de la tripler d'ici 2030. Côté demande, l'Europe a consommé 332 Gm3 de gaz en 2024 (en incluant les importations par gazoduc et sous forme liquéfiée), avec une capacité de regazéification de 215 Gm3/an pour le GNL. Sur ce dernier point, elle vise environ 300 Gm3/ an d'ici 5 ans avec la multiplication des hubs et des infrastructures dédiées.
À pleine capacité, les ordres de grandeur de l’offre et la demande pourraient donc concorder. Mais ils se heurtent à la réalité d'un marché mondial où les entreprises américaines ne fournissent pas que le marché européen et où celui-ci doit diversifier ses approvisionnements pour des raisons de sécurité. De plus le gaz américain pourrait être sollicité davantage pour répondre à une demande intérieure de la consommation électrique en forte hausse. Côté européen, au contraire, notre consommation de gaz devrait baisser de 7% d’ici à 2030.
Sur le plan économique, le GNL exporté des États-Unis en 2024 coûtait autour de 207 €/MWh, alors que le prix du gaz sur le marché européen se situait entre 35 et 50 €/MWh. La facture d’une bascule vers le GNL est difficilement justifiable. Sans même évoquer le coût climatique de ces importations. De plus, aucun détail n'est donné sur les 130 milliards de dollars de technologies énergétiques que nous devrions obtenir en sus ou sur les 600 milliards d'investissements sur le sol américain.
Sur le plan juridique, l'Union européenne n'a pas le pouvoir exécutif pour imposer ces achats auprès des États membres et des entreprises de la zone. Idem côté américain, le gouvernement ne vendant pas directement de combustible et de technologie. La seule option est de faciliter les transactions via notamment la plate-forme européenne d'achats communs de gaz pour le secteur privé (AggregateEU). Dans son communiqué de presse, la Commission européenne précise d'ailleurs que les volumes définitifs dépendront de différents facteurs comme les prix des matières premières, les taux de change, les décisions prises par les développeurs de projets, etc.
Sans engagement ferme, les concessions à court terme semblent donc être moins graves qu'il n'y parait. Et pourtant, l'ambiguïté apparente du partenariat cache certaines subtilités.
L’état de droit n’a pas sa place dans l’administration Trump
L'accord de Turnberry permet d’abord de fixer les priorités qui vont structurer la soumission européenne. L'énergie est le pivot central qui relie notre dépendance militaire et technologique aux États-Unis. Le partenariat stipule ainsi d’autres clauses comme l’achat « de quantités importantes d'équipements militaires », le fait de ne pas réguler les géants de la tech et de se voir imposer le savoir-faire nucléaire nord-américain.
L'achat de combustibles fossiles est alors un instrument à court terme pour forcer notre arrimage stratégique aux États-Unis et renoncer à notre indépendance politique sur le long terme. Car il s’agit bien d’une affaire de politique. Pas de marché économique, ni de juridiction souveraine. L’état de droit n’a pas sa place dans l’administration Trump.
Ensuite, l'imprécision de l'accord pourrait jouer en sa faveur. Le gouvernement américain aura tôt fait de revenir dessus pour imposer d’autres exigences dans l’intérêt de nous dévitaliser. Cela pourrait également donner une marge de manœuvre à l'Union européenne pour accélérer son intégration et ses projets structurants. Las, les droits de douanes intra-européens s’élèvent toujours à près de 45% selon le FMI, et la plupart des recommandations du rapport Draghi restent au stade théorique.
À noter que le montant des investissements demandés (600 milliards) fait un étrange écho à ceux cités dans ce dernier rapport (800 milliards par an). L’enjeu est ici de verrouiller le libre arbitre de nos investissements capables de construire une économie industrielle, souveraine et bas carbone. À ce titre, l’accord conclu en Écosse positionne le nucléaire (réacteurs conventionnels et petits réacteurs modulaires) comme un secteur stratégique pour le leadership américain. Nos politiques étant déjà démissionnaires sur le sujet, il est difficile d’envisager l’avenir souverain de cette filière.
Le triptyque à mettre en place pour les entreprises européennes
Dans l'attente d'un énième sursaut de l'Union européenne, les entreprises continentales se retrouvent prises en étau. Au milieu de ces pressions géopolitiques, les approvisionnements énergétiques risquent de devenir plus compliqués. Certains décideurs économiques vont choisir de délocaliser leurs activités sur le sol américain (c’est un des objectifs de Trump). D'autres vont devoir, à leur niveau déployer des mesures astucieuses pour réduire l'exposition à une hausse mécanique des prix de l'énergie.
Rappelons alors le triptyque nécessaire à mettre en place. D’abord, il faut accélérer l'électrification des procédés qui le permettent pour se désengager du gaz. Ensuite, cela permet de déployer des mesures d’efficacité énergétique pour réduire la consommation et augmenter la rentabilité économique de nombreuses industries. Enfin, à l’image des ménages, il faut favoriser le solaire en autoconsommation. Sur la production, c’est le seul investissement accessible pour la plupart des entreprises afin de stabiliser une partie de leurs factures énergétiques. En donnant la priorité à un usage local, cela ne déstabilise pas le réseau et permet de couvrir 30 à 40% (voire plus) de la consommation d’un site réduisant d’autant l’exposition aux prix du marché.
Ces mesures ne résolvent pas tout mais ce sont de premières étapes pour construire notre résilience pas à pas. La souveraineté du continent devra émerger du terrain.
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