En librairie : « L'énergie nucléaire en 100 questions », de Maxence Cordiez et Stéphane Sarrade

  • Source : Jean-Louis Caffier

La critique de Jean-Louis Caffier - « Quand un livre éclaire l’énergie »

Pourquoi se priver d’écrire ici que ce livre est formidable. Il l’est d’autant plus que le pari des auteurs était très loin d’être gagné d’avance. Ils précisent dans l’intro : « notre ambition est que cet ouvrage permette au lecteur de trouver les réponses aux questions qu’il peut se poser et, par là même, qu’il puisse se forger un avis éclairé quant au rôle et à l’avenir potentiel de l’énergie nucléaire ». C’était évidemment un énorme défi sachant que « les débats entourant l’énergie nucléaire, en France et dans certains autres pays, sont traditionnellement clivés entre défenseurs et opposants ». 

Pour relever ce défi, Maxence Cordiez et Stéphane Sarrade n’ont pas lésiné sur les moyens : trois ans de travail et pour les seconder, une douzaine de scientifiques et ingénieurs pour relire, relire et relire afin de revendiquer un zéro défaut intégral. Il y a quelques années, on aurait pu qualifier les auteurs de pro-nucléaires. Cette expression n’a plus de sens. Leur ouvrage le montre clairement : ils sont aujourd’hui pro-décarbonation et le nucléaire n’est qu’une (petite) partie de la réponse aux énergies fossiles avec les renouvelables, les économies d’énergie, entre autres. Pour rappel, le nucléaire, c’est aujourd’hui 4% de l’énergie consommée dans le monde (et environ 9% de la production mondiale d'électricité). 

Le grand talent de ce livre est de traiter simplement la grande complexité du sujet. Le travail de vulgarisation est impressionnant. Chacun peut en tirer bénéfice quel que soit son niveau de connaissance sur le sujet. Les cent questions posées apportent des réponses qui tiennent sur quelques pages et qui suffisent à faire de chacun un éclaireur du nucléaire. Chacun pourra devant le barbecue de l’été expliquer à sa famille ébahie que l’avenir de l’énergie est plus au thorium ou aux neutrons rapides qu’au charbon de bois

Cet ouvrage est enfin une épopée dans le monde de l’atome et de l’énergie en général. En fonction des questions posées, on visite la recherche, l’histoire, la géopolitique, l’industrie, l’avenir, les réacteurs, l’environnement, et c’est évidemment passionnant. 

En conclusion, les auteurs préviennent que « ne pas voir les qualités du nucléaire reviendrait à se passer d’un outil particulièrement performant face à l'enjeu existentiel que constitue la lutte contre le réchauffement climatique ». Les auteurs invitent la société à débattre des questions énergétiques de manière renseignée, réfléchie et dépassionnée. Il n’est pas impossible compte tenu de l’avancement du réchauffement climatique en particulier que ce rêve devienne réalité. Voici un bien bel outil pour nous préparer !

Les auteurs

  • Maxence Cordiez est responsable du cycle de combustible nucléaire chez HEXANA et expert associé à l’Institut Montaigne. Il a été en charge des affaires publiques européennes au CEA et est l’auteur d’Énergies (2022).
  • Stéphane Sarrade est directeur de recherche et directeur des Programmes Énergies du CEA. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation et essais dont Homo Energiticus : pour la transition bas carbone (2023).

Trois questions à Maxence Cordiez

Maxence Cordiez

Maxence Cordiez (crédit : Éditions Tallandier)

Le traumatisme lié à Fukushima est aujourd’hui dépassé. Comment peut-on l’expliquer ?

C’était il y a 14 ans. Forcément, le temps a passé. Mais il y a d’autres explications. D’abord, la prise de conscience des enjeux climatiques. L’Union européenne a pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est très ambitieux et la Chine annonce le même objectif pour 2060 et a probablement d’ores et déjà atteint son pic d’émissions. 

Il faudra utiliser tous les outils à disposition dont le nucléaire qui présente les avantages que l’on connaît. Enfin, ce qui a accéléré le retour du nucléaire, c’est surtout le portefeuille. En 2021-22, quand la Russie a diminué les livraisons de gaz, l’UE a découvert sa fragilité face à sa dépendance énergétique et les coûts que cela génère. Les États se sont interrogés sur leur bouquet énergétique. Le regain d’intérêt pour le nucléaire s’est rapidement manifesté dans des pays comme l’Italie qui avaient quitté cette voie ou comme la Pologne qui souhaitaient du nucléaire mais sans agir. Aujourd’hui, nombreux sont les pays qui accélèrent leur programme nucléaire.

Justement, face à l’urgence climatique, ne pourrait-on pas aller plus vite en France ?   

Je pense qu’effectivement, on pourrait aller plus vite. Il faudrait d’abord préciser ce qu’on attend du nucléaire dans le cadre de la décarbonation. Historiquement, on a demandé au nucléaire de produire de l’électricité massivement et efficacement. D’où les grands réacteurs dont nous aurons encore besoin. Mais la contribution du nucléaire à la décarbonation ne se limite pas à ça. Le nucléaire peut aussi produire de la chaleur pour les réseaux urbains, de la chaleur à haute température pour l’industrie, cette chaleur à haute température pouvant par ailleurs être stockée. 

Cela permettrait de produire de l’électricité de façon flexible pour mieux intégrer les renouvelables, en particulier le solaire photovoltaïque. Ou encore de produire de l’hydrogène, dessaler l’eau de mer. Il va falloir se poser la question de toutes ces nouvelles applications, l’enjeu étant de se passer des combustibles fossiles qui représentent en France 60% de l’énergie finale que nous consommons.

Si on veut accélérer, il faut revoir les réglementations et les procédures qui sont extrêmement lourdes. Elles partent d’une bonne intention, protéger les écosystèmes locaux, améliorer la participation des citoyens, etc. mais elles ralentissent aussi les nouveaux projets, qu’ils soient d’origine renouvelable ou nucléaire. Sur le plan environnemental, il y a un arbitrage à faire entre enjeux environnementaux locaux et globaux, lesquels ne sont pas déconnectés. La prise en compte des enjeux locaux ne doit pas obérer celle des enjeux mondiaux comme le climat. Autrement dit, il ne faut pas pousser les curseurs au maximum sans tenir compte des conséquences sur les autres curseurs. Dans le cas contraire, il y a un risque de figer le système.

Pour ce qui concerne l’énergie nucléaire en particulier, il faudrait enfin aujourd’hui stabiliser les exigences de sûreté au lieu de les augmenter en permanence.  

La France a-t-elle encore un rôle à jouer au niveau mondial ?

La France a perdu des opportunités significatives, notamment quand on a décidé d’arrêter Superphénix. À cette époque, la France était en pôle position, et de loin, sur l’industrialisation des réacteurs à neutrons rapides. Ce fut une erreur stratégique majeure. 

Mais on ne doit pas s’apitoyer sur notre sort. La France conserve des compétences extrêmement rares, au-delà de la conception et de la construction des réacteurs. La France a des compétences dans le cycle du combustible. On sait retraiter et refaire du combustible. Et cela sera encore plus précieux demain avec le déploiement du nucléaire dans le monde et le développement de réacteurs à neutrons rapides. 

L’enjeu majeur va être de pérenniser cet atout avec un renouvellement des installations du cycle qui devra être ambitieux en termes de cahier des charges, de dimensionnement et de vision internationale pour favoriser les exportations.  

« L’énergie nucléaire - Pour un monde en transition en 100 questions » éditions Tallandier (390 pages, 20,90).

Lire des extraits de l'ouvrage :
Ouvrage sur l'énergie nucléaire

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