Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
À une semaine du démarrage de la COP28 à Dubaï, l’Agence internationale de l’énergie, (AIE) met les points sur les « i ». Il n’y a pas de marche possible vers un réchauffement limité à 1,5°C sans opérer dès maintenant le désinvestissement de ce que j’ai appelé dans mon dernier livre le « carbone fossile ». Cela concerne le charbon pour lequel ce désinvestissement a démarré. Mais aussi le pétrole et le gaz qui continuent de faire l’objet d’investissements massifs, bien au-delà des pays du Proche-Orient.
La démonstration de l’AIE repose sur les travaux de l’ensemble de ses experts qui ont fait l’objet d’une synthèse plus générale dans l’édition annuelle du World Energy Outlook. Concentrés sur le pétrole et le gaz, leurs résultats sont synthétisés par deux graphiques montrant l’ampleur du désinvestissement à réaliser par le complexe pétro-gazier.
Pétrole : les transports et la pétrochimie
Sur dix barils de pétrole produits dans le monde, un peu plus de 5 sont aujourd’hui brûlés pour les besoins des transports terrestres (engins de travaux publics et agricoles inclus) et 2,5 servent de matière première à la pétrochimie qui fabrique en particulier la grande majorité des plastiques utilisés dans le monde et une partie de ses engrais.
La mise à l’arrêt d’une grande partie de ces engins pendant les confinements imposés par le COVID-19 a pu laisser croire aux plus optimistes que la crise sanitaire allait marquer le point d’inflexion à partir duquel la demande pétrolière allait s’inverser. Avec la reprise des trafics en 2022 et 2023, la hausse du prix du baril sur les marchés internationaux, la reprise des investissements d’exploration production des compagnies pétrolières, on n’y est pas du tout.
Dans le scénario de poursuite des politiques actuelles (« STEPS » sur la graphique ci-après), aucun pic pétrolier n’apparaît. La demande de pétrole touche bien son maximum en 2030. Mais l’arête descendante du pic n’apparaît pas : production et consommation de pétrole se maintiennent sur un plateau, proche du niveau de production jusqu’en 2050. Cela rappelle fâcheusement les scénarios intermédiaires du GIEC conduisant à un réchauffement compris entre 2,5 et 3 °C à la fin du siècle.
Pour viser 1,5°C (scénario « NZE » sur le graphique), il faut opérer des changements drastiques qui réduisent massivement l’usage du pétrole pour les transports de personnes et de marchandises, et réduisent, dans des proportions moindres ceux de la pétrochimie. Si on se situe dans ce scénario, il faut dès aujourd’hui cesser les investissements de capacités. Comme l’écrit le rapport : « No room for new fields ».
Plus de place pour les investissements dans le gaz d’origine fossile
Au cours des deux dernières décennies, le gaz a fait l’objet d’investissements massifs. Les progrès techniques en matière de forage ont fortement élargi les capacités de son extraction dans le sous-sol (gaz de schiste). Les investissements dans les infrastructures et les moyens de transports maritimes ont accru celles de son transport et de son stockage. La plupart des compagnies pétro-gazières n’imaginent pas que cette époque soit révolu. Elles se sont appropriées la formule de gaz « énergie de transition », en particulier en produisant des scénarios montrant qu’on aura besoin de beaucoup de gaz d’origine fossile pour faire la transition.
Les travaux des experts de l’AIE s’inscrivent en faux contre cette représentation. Pour viser le « net zéro », il faut également réduire massivement l’usage d’origine fossile. Il doit pratiquement disparaître totalement de la génération d’électricité en 2050 (un tiers de son usage dans le monde en 2022) et du chauffage des bâtiments (un cinquième des usages). Ses applications traditionnelles dans l’industrie sont plus difficiles à réduire et certains nouveaux usages pourraient apparaître (production d’hydrogène).
Qu’est-ce que cela implique pour les investissements ? D’aller à contresens de ce qui s’effectue depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ce conflit a en effet provoqué une recrudescence des investissements dans les infrastructures gazières qui vont accroître la capacité globale d’extraction et de consommation de gaz. Le diagnostic de l’AIE est pourtant imparable : « little to no room for gas to act as a transition fuel ».
Sources / Notes
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