En Chine, l'exploitation des terres rares s'accompagne d'une pollution massive

Olivier Pourret

Enseignant-chercheur en géochimie et responsable intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle

Il n’est pas une semaine sans que la presse, qu’elle soit nationale ou internationale, ne relate un fait relatif aux risques de pénurie en métaux stratégiques, utiles dans la transition énergétique. Le mois dernier, un rapport faisant part du besoin croissant en terres rares d’ici 2050 a largement été relayé.

En effet, les terres rares sont utilisées dans toutes les nouvelles technologies. Cependant, le grand public ne sait pas toujours d’où elles viennent, ni quel est l’impact environnemental de leur production.

Que sont les terres rares ?

Les terres rares ont des propriétés magnétiques, électroniques, optiques et catalytiques exceptionnelles, particulièrement utiles pour les technologies qui accompagnent la transition énergétique.

Aujourd’hui, leur consommation est principalement soutenue par le secteur des aimants permanents, composés pour partie de terres rares (notamment du néodyme et du praséodyme et en moindre mesure du dysprosium et du terbium pour les applications de haute performance).

Les secteurs d’usages de ces aimants sont multiples : ils permettent en effet la miniaturisation (électronique, robotique) et l’allègement des équipements (générateurs d’éoliennes offshore, moteurs des véhicules électriques…).

Cette demande croît de 10% par an. En 2021, la production mondiale est ainsi estimée à 280 000 tonnes de terres rares. Selon les estimations(1), la Chine y participerait à hauteur de 60%, mais ne se préoccupe que très peu des pollutions engendrées par leur exploitation.

Le drainage minier acide, potentiel désastre environnemental

La Chine exploite notamment des gisements d’argile dans le sud du pays. Les terres rares y sont principalement exploitées selon une technique appelée « lixiviation en tas »(2).

Malheureusement, cette technologie produit une grande pollution(3), due au drainage minier acide. Ce phénomène spontané est généré par l’oxydation des sulfures (par exemple, la pyrite) contenus dans les roches ou résidus. En effet, lors des travaux miniers (excavations et pompages), l’équilibre chimique de ces affleurements et dépôts profonds est perturbé par une oxydation au contact de l’atmosphère.

Les produits résultant de ce drainage minier acide peuvent ensuite migrer dans les environnements souterrains, ce qui entraîne une grave contamination par les terres rares des sols(4), des eaux(5) et des cultures(6).

S’y rajoutent des problèmes sanitaires, incluant la contamination des eaux de surface et souterraines par des métaux (comme les terres rares), l’exposition à de fortes concentrations de dioxyde de soufre, aux particules… L’augmentation des concentrations en terres rares dans l’environnement proche des exploitations minières a ainsi suscité des inquiétudes dans le monde entier, par exemple, en Chine, au Vietnam, en Australie, en Inde ou en Espagne.

Pour limiter les impacts environnementaux résultant du drainage minier acide, des technologies d’atténuation naturelle passive(7) comme l’activité microbienne (par exemple nitrification/dénitrification), ou des technologies actives (comme la coagulation/floculation) pourraient être utilisées. Cependant, ces deux grands types de technologies présentent des inconvénients(8), tels que des problèmes de biocolmatage et d’entartrage résultant des précipitations minérales pour la première, et des traitements coûteux et longs pour la seconde.

Nos travaux récents(9) menés dans le sud de la Chine autour d’une mine dans la province de Jiangxi ont montré que ce drainage minier acide pouvait être pris en compte dans un processus de traitement des eaux de drainage par simple neutralisation du pH (séparation de plusieurs kilogrammes de terres rares par jour). Ce simple traitement permet de produire des terres rares tout en réduisant la pollution engendrée… mais n’est pas rentable économiquement.

Les terres rares, une ressource stratégique

La production et l’exploitation des terres rares (depuis la mine jusqu’aux aimants permanents) sont un avantage compétitif majeur de la Chine, qui souligne l’importante vulnérabilité de l’approvisionnement pour l’industrie européenne.

Afin d’atténuer ce déséquilibre industriel, l’Union européenne encourage les États membres à développer et à diversifier leurs sources d’approvisionnement, qu’elles soient primaires (minières) ou secondaires (réutilisation, recyclage et réduction des déchets).

Cependant, l’Union européenne (et plus largement de nombreux pays) est contrainte par des législations environnementales qui imposent de nombreux aménagements, comme en France(10) avec la gestion du drainage minier acide.

Tant qu’il n’y aura pas de prise en compte à l’échelle mondiale de ces risques de pollution, les industries vont continuer de produire ailleurs (comme en Chine), là où les contraintes environnementales sont moins strictes.

Sources / Notes

  1. Mineral commodity summaries 2022, USGS.
  2. Description de la lixiviation en tas, Wikipedia.
  3. Geochemical signatures of rare earth elements and yttrium exploited by acid solution mining around an ion-adsorption type deposit: Role of source control and potential for recovery, Science of The Total Environment, janvier 2022.
  4. Assessment of soil contamination around an abandoned mine in a semi-arid environment using geochemistry and geostatistics: Pre-work of geochemical process modeling with numerical models, Journal of Geochemical Exploration, février 2013.
  5. Seasonal water quality variations in a river affected by acid mine drainage: the Odiel River (South West Spain), Science of The Total Environment, octobre 2004.
  6. Effect of Cadmium, Copper and Lead on the Growth of Rice in the Coal Mining Region of Quang Ninh, Cam-Pha (Vietnam), mai 2018.
  7. Acid mine drainage remediation options: a review, Science of The Total Environment, février 2005.
  8. Mine waters as a secondary source of rare earth elements worldwide: The case of the Iberian Pyrite Belt, Journal of Geochemical Exploration, mai 2021.
  9. Geochemical signatures of rare earth elements and yttrium exploited by acid solution mining around an ion-adsorption type deposit: Role of source control and potential for recovery, Science of The Total Environment, janvier 2022.
  10. Gestion des déblais de chantiers de grandes infrastructures en Île-de- France contenant de la pyrite, DREAL Normandie, décembre 2021.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Commentaire

Marceau
L'auteur ne semble pas se préoccuper de l'utilisation d'acides ou de bases, selon la nature des terrains, pour l'extraction de l'uranium par lixiviation, en particulier au Kazakhstan.
APO
@Marceau, Le sujet de l'article était les Terres Rares, et seulement ce sujet ! Pourquoi en dévier !? Vous auriez pu mentionné que même le Nucléaire d'aujourd'hui a besoin de Terres rares par ailleurs (reste à voir en comparatif de proportion par kW.h produit par rapport à d'autres énergies...).
Roger Moreau
Je demande à l'auteur de ce article s'il a traité par ailleurs le sujet de la pénurie croissante des métaux en général. Une impasse généralisée est observée sur ce sujet. Or les énergies dites renouvelables exigent trois à quatre fois plus de métaux que les technologies classiques. où allons-nous. transition vers quoi? Quelles sont les prévisions en tenant compte des incertitudes et des limites technologiques et financières du recyclage et de l'efficacité. Qui prend en compte les aggravations des rivalités géopolitiques pour l´accès à des minéraux de plus en plus rares et chers, e les risques de conflits et d'accentuation des "géo-inégalités"... jusqu'à ce que de telles ruptures d'approvisionnement remettent en question la continuité de notre système technologique. Cordialement. Roger Moreau
Vincent
Le problème de flux des métaux (parce que c'est plus un problème de flux que de stock, en réalité) est effectivement un angle mort de cette transition énergétique, du moins tant qu'elle est envisagée dans une perspective de croissance. L'offre de métaux n'arrivera pas à suivre la demande. Si on reste dans une perspective de croissance, une transition énergétique plus lente induira une utilisation prolongée des énergies fossiles. Or les scientifiques du GIEC nous disent en parallèle que si on laisse les infrastructures fossiles actuellement en fonctionnement ou en construction aller au bout de leur contrat, on explosera le quota pour rester sous 1,5°C. Cette question des métaux rend donc incompatible le calendrier de cette transition avec le calendrier de décarbonation nécessaire pour tenir nos engagements. Sans sobriété (sur laquelle il est urgent de travailler massivement pour bien en définir les contours d'un point de vue économique -car physiquement, c'est un concept clair), nous n'y arriverons pas
Hervé
Le problème de la sobriété, c'est qu'il me semble que depuis 1973 ou l'on nous rabâche qu'il faut économiser l’énergie, et bien que beaucoup de progrès aient été effectués depuis, on est encore loin du but. Faire semblant d'être sobre est une chose, le faire vraiment en est une autre! Surtout que même ceux qui croient être sobres (et font des efforts pour cela) ne le sont pas beaucoup, touts comptes fait... Pour faire de la sobriété et de l’efficacité, il faut commencer par éliminer les dogmes foireux du discours des écologistes. Rien que cela aurait certainement été qualifié de "vaste programme" par un certain CDG!
Vincent
Rien n'a été fait depuis 1973 pour réduire la consommation d'énergie en réalité. Toute amélioration d'efficacité a été compensée par une augmentation de la consommation : c'est l'effet rebond, permettant d'assurer une croissance économique malgré le gain d'efficacité. Si on regarde l'apparition du mail électronique, qui est probablement l'invention avec le meilleur gain en efficacité énergétique (remplacer une transmission en plusieurs jours, par moyens motorisés, d'une feuille de papier par un envoie instantané pour même pas 1Wh), ça ne s'est pas accompagné d'une réduction de l'énergie consommée, car le flux d'information échangé a augmenté d'un facteur plus important que ce gain. Je ne sais pas de quels dogmes foireux vous voulez parler exactement, mais en tout cas aujourd'hui, aucune politique de réduction de la consommation énergétique n'a encore été menée.
Hervé
Bonjour. Concernant la politique de réduction de la conso, il y a eu des choses de réalisées progressivement dans le bâtiment avec certains résultats (moins bons qu'attendus, mais réels). Dans les process industriels il y a des avancées (l'initiative privée marche aussi) . Concernant la mobilité c'est moins visible, la performance des voitures c'est considérablement améliorée mais la conso au 100Km a peu diminué. Mais comme vous le dites, ces gains se sont transferrés sur d'autres usages. (Piscines, taille des logements, bien de conso, voyages....) Concernant les dogmes des écolos, c'est simple : à peu prés tout ce qui se raconte: circuit courts, bio, ENRi, ... Les écolos focalisent un sujet mais oublient souvent tout ce qui gravite autour conduisant le résultat global à un couteux désastre, au mieux inutile, parfois pire que la situation à n-1 ... .
Vincent
Bonjour, il y a bien eu des améliorations d'efficacité oui. Mais en aucun cas une baisse de la conso, puisque notre économie n'est pas câblée pour ça aujourd'hui et c'est bien le drame. Il est urgent d'inventer autre chose. Pour les dogmes dont vous parlez : * pour les ENRi : même dans le scénario le plus nucléarisé du dernier rapport RTE (avec 14 nouveaux EPR et des SMR, ce qui est un énorme challenge technologique), les renouvelables représenteront 50% du mix électrique, avec une part importante d'ENRi dans ces ENR. Donc que vous ne le vouliez ou non, on a besoin des ENRi pour sortir des fossiles, ça n'est en aucun cas un dogme foireux. C'est par ailleurs écrit dans le dernier volet du rapport du GIEC. * pour les circuits courts : on voit bien ce que ça donne, en ce moment, une économie mondialisée. Un gravier dans l'engrenage et tout est à l'arrêt. Redévelopper des circuits courts (pas forcément pour tout, mais au moins partiellement) est une condition pour avoir une économie et une société plus résiliente. D'autant qu'avec la crise de l'énergie, qui sera durable, le transport longue distance est de plus en plus compliqué. * enfin pour le bio, ça aussi un consensus scientifique que l'agriculture industrielle nous mène à notre perte : celle ci est basée sur les énergies fossiles (notamment pour les engrais) et minières (phosphates) qui sont amenées à disparaitre. Par ailleurs, elle détruit nos sols (vous pouvez écouter Marc André Selosse, ou lire ses bouquins, il vulgarise très bien ces questions là), qui deviendront stériles si on ne fait rien. Vos exemples ne sont donc en aucun cas des dogmes foireux. Encore faut il écouter les scientifiques :)

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