Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ?

Serge Pelissier

Chercheur sur le stockage de l’énergie dans les transports, Université Gustave Eiffel

Les capacités cumulées de toutes les batteries lithium-ion fabriquées dans le monde ont été multipliées par 80 entre 2000 et 2018. En 2018, 66% de ces capacités(1) étaient utilisés dans des véhicules électriques. Le développement programmé de la mobilité électrique va accroître le besoin en batteries et l’Agence internationale de l’énergie estime que ce besoin va être multiplié par 17 entre 2019 et 2030(2).

Cette situation soulève de nombreuses questions en lien avec les matériaux utilisés dans leur fabrication : quelles sont les ressources ? Quels sont les impacts environnementaux de leur extraction ? Peut-on les recycler ?

Lorsque l’on s’intéresse aux matériaux des batteries lithium-ion utilisées aujourd’hui dans l’immense majorité des véhicules électriques, il faut en premier lieu souligner qu’il existe plusieurs technologies de batteries. Si toutes contiennent du lithium, les autres constituants varient : les batteries présentes dans les téléphones où les ordinateurs contiennent du cobalt, celles qui alimentent les véhicules peuvent contenir soit du cobalt avec du nickel ou du manganèse, soit ne pas en contenir du tout dans le cas des technologies au fer-phosphate.

La composition chimique exacte de ces composants de stockage est difficile à identifier car elle relève du secret industriel. De plus, des améliorations sont régulièrement apportées aux batteries pour augmenter leurs performances : la composition chimique des batteries évolue donc avec le temps. Quoi qu’il en soit, les principaux matériaux impliqués dans la fabrication des batteries lithium-ion sont le lithium, le cobalt, le nickel, le manganèse et le graphite. Tous sont repérés comme des matériaux présentant des risques de disponibilité et des risques environnementaux(3).

La question de la disponibilité de ces matériaux est complexe à appréhender : d’une part, la valeur des réserves est soumise à des considérations géopolitiques et aux évolutions des techniques d’extraction ; d’autre part, les besoins en matériaux sont très sensibles aux hypothèses de prospectives (nombre de véhicules électriques et taille de leur batterie).

Quels impacts environnementaux ?

La question des impacts environnementaux de la fabrication des batteries est peut-être encore plus importante. Même s’il existe suffisamment de matériaux, les impacts de leur exploitation doivent être sérieusement pris en compte.

Les études montrent que la fabrication des batteries peut avoir des impacts élevés en matière de toxicité humaine ou de pollution des écosystèmes(4). Se rajoute à cela le besoin de surveiller les conditions de travail dans certains pays(5).

De plus, l’analyse des impacts environnementaux nécessite de connaître parfaitement la composition et les procédés de fabrication des batteries, alors que ces informations sont difficiles à obtenir(6) pour d’évidentes raisons de propriété industrielle.

Le recyclage des matériaux peut-il apporter des solutions pour limiter ces risques et ces impacts ?

Il existe principalement deux familles de procédés de recyclage de batteries(7) utilisées séparément ou en combinaison.

Le premier est la pyrométallurgie, qui détruit les constituants organiques et plastiques en les portant à haute température et ne conserve que les composés métalliques (nickel, cobalt, cuivre…) qui sont ensuite séparés par voie chimique.

Le second est l’hydrométallurgie qui ne comprend pas d’étape à haute température, mais qui sépare les constituants uniquement par différents bains de compositions adaptées chimiquement aux matériaux que l’on souhaite récupérer.

Dans tous les cas, les batteries doivent tout d’abord être broyées pour obtenir des poudres. Les deux procédés sont actuellement exploités industriellement dans le recyclage des batteries lithium-ion des téléphones et des ordinateurs portables pour récupérer le cobalt qu’elles contiennent. Ce dernier matériau est tellement précieux que sa récupération assure la rentabilité économique de la filière actuelle du recyclage de batteries lithium-ion.

Mais comme les technologies de batteries lithium-ion utilisées du côté des véhicules électriques ne contiennent pas toutes du cobalt, la question du modèle économique de leur recyclage se pose toujours et il n’existe pas encore de réelle filière industrielle de recyclage pour ces batteries. La raison principale est l’absence de volume suffisant de batteries à traiter : le déploiement massif de voitures électriques est relativement récent et leurs batteries ne sont pas encore en « fin de vie ».

D’ailleurs, la définition de cette fin de vie est elle-même soumise à discussion. Les batteries « de traction » (qui permettent aux véhicules électriques de rouler) sont par exemple considérées comme inaptes au service lorsqu’elles ont perdu 20 ou 30% de leur capacité – ce qui correspond à une perte équivalente de l’autonomie du véhicule.

Peut-on envisager une seconde vie pour les batteries des véhicules électriques ?

Un débat existe alors sur une possible « seconde vie » de ces batteries qui permettrait de prolonger leur utilisation et ainsi de diminuer leurs impacts environnementaux. Cette potentielle seconde vie soulève tout d’abord des défis liés à la reconfiguration nécessaire des batteries et de leur dispositif électronique de surveillance. Il faut ensuite identifier des applications pour ces batteries aux performances « amoindries ». Une utilisation comme stockage d’énergie connecté au réseau électrique est envisagée et de nombreuses expérimentations existent(8).

Cependant, un acteur majeur comme RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, estime que cette utilisation n’est pas pertinente(9), fonctionnellement et économiquement, et préconise plutôt de recycler les batteries de véhicules électriques en fin de première vie.

Mettre en place une filière de recyclage adaptable aux technologies en évolution

La mise en place d’une filière de recyclage devra également trouver un modèle économique capable de s’adapter à la diversité des technologies de batteries sans avoir à multiplier les procédés de recyclage.

Enfin, il faut noter que ces problématiques d’impacts environnementaux et de recyclage ne sont pas simples à traiter pour des technologies qui n’ont pas toujours atteint leur maturité et dont la pérennité n’est pas assurée dans le long terme. Les batteries lithium-ion évoluent très rapidement – les technologies de batteries au lithium-métal par exemple – et on voit même apparaître des technologies concurrentes sans lithium – comme le sodium-ion par exemple.

Pour toutes ces raisons, les impacts environnementaux, économiques et sociaux de la fabrication et du recyclage des batteries de véhicules électriques et de leurs matériaux doivent continuer à être étudiés. La pression législative et citoyenne doit continuer pour obtenir une transparence sur les procédés de fabrication afin de permettre la quantification des impacts et d’identifier les moyens pour les limiter. Les prochains programmes de recherche européens se positionnent d’ailleurs dans cette direction en incluant la dimension environnementale dans le développement des nouvelles batteries(10).

Il ne faut cependant pas tout attendre d’une potentielle technologie miraculeuse de batterie propre, performante et pas chère – qui relève probablement de la chimère. Il est important de freiner la course à l’augmentation des tailles des batteries de véhicules électriques – et donc limiter la puissance, la masse et l’autonomie des véhicules eux-mêmes.

Cela demande de repenser l’organisation de notre mobilité – sortir du « tout voiture » – plutôt que de chercher à remplacer une technologie (le moteur thermique) par une autre (le moteur électrique).

Commentaire

Etienne

Merci pour cet article très intéressant. En effet il apparait essentiel de limiter la taille des batteries. Cela dit sur mon vélo électrique qui a 5 ans je vais devoir racheter une batterie car je n'ai plus assez d'autonomie pour faire mon trajet quotidien. Si j'avais su cela, j'aurais opté au départ pour une batterie plus importante à l'achat, et je n'aurais pas eu besoin de la remplacer aujourd'hui.

bernard

heureusement que le mot "impact" existe

alex

Pourquoi n'avons nous toujours pas trouvé de batteries utilisant des matériaux moins rares ou lourds ? Je suis certain qu'il existe d'autres techniques peut être moins compactes mais avec d'autres avantages...

EtDF

Alex, cela fait déjà plus de 50 ans que la recherche travaille sur l'électrochimie des batteries... on connait le résultat à l'instant.. encore mitigé puisque l'auteur du bon article ci-dessus nous dit que
"Il ne faut cependant pas tout attendre d’une potentielle technologie miraculeuse de batterie propre, performante et pas chère – qui relève probablement de la chimère. Il est important de freiner la course à l’augmentation des tailles des batteries de véhicules électriques – et donc limiter la puissance, la masse et l’autonomie des véhicules eux-mêmes.
Cela demande de repenser l’organisation de notre mobilité – sortir du « tout voiture » – plutôt que de chercher à remplacer une technologie (le moteur thermique) par une autre (le moteur électrique)."
Bien mais Etienne voudrait une batterie plus grosse pour organiser sa mobilité sans voiture...Mais les Grands Décideurs ont décidé que dans moins de 15 ans et en Europe il n'y ait plus de voitures qu'électriques (enfin à batterie)... !!!!
"Les batteries « de traction » (qui permettent aux véhicules électriques de rouler) sont par exemple considérées comme inaptes au service lorsqu’elles ont perdu 20 ou 30% de leur capacité – ce qui correspond à une perte équivalente de l’autonomie du véhicule." et apparemment on ne sait pas bien recycler, chimiquement et économiquement... Grandiose le futur!
De plus une voiture "thermique" c'est 20 kg de cuivre, une "électrique" c'est 60 à 80 kg de cuivre à multiplier par quelques centaines de millions de voitures électriques.... sans parler de la connexion des réseaux éoliens et PV irrigants tous les pays
De même pour la production électrique selon l'AIE, les besoins en métaux de technologies (pas Fe, ni Al!) en kg/MW, vont de 15 000 (éolien off-shore), 10 000 (éolien on-shore), PV (7 000), nucléaire (5 000), charbon (2 500) à gaz nat ( 1 000).
1 - Faites votre marché et tenez vos stocks, 2 - Provisionnez votre compte en banque et pour impôts, 3 - Envoyez vos petits enfants dans les métiers du recyclage... 4 - Et si vous avez encore les fonds: investissez dans les industries de recyclage, ... et vous serez fiers d'avoir peut-être contribué à diminuer de ~ 2-3 % l'émission en CO2 du "continent européen" (~10 % du mondial)....
Recyclons! recyclons... il en restera bien quelque chose...!!!!

Belle pagaille et crise économique à venir.... !!!

Hervé

"On sait pas bien les recycler" oui, mais selon ce que j'ai lu, c'est surtout parce que ça n’intéresse personne pour le moment. La matiere premiere neuve est moins chere que celle issue du recyclage.
Mais lorsque la masse des batteries utilisées en première monte sur des VE, puis en seconde monte sur des station de charge arriveront sur le marché du recyclage, ça vaudra le coup d'automatiser les process et les choses vont changer.

La voiture thermique détruit lors de son fonctionnement 10 à 30 tonnes de pétrole qui ne seront pas récupérables.
Inversement, à l'issue de sa vie, l'ensemble des matériaux (cuivre...) de la voiture électrique seront récupérés.

De toute façon, qu'on le veuille ou non il faudra sortie des énergies fossiles. Ceux qui le souhaitent pourront rouler à vélo, pour les autres il y aura la voiture électrique!

Albéric BAUDCHON

L'impact carbone de la fabrication des batteries et de leur recyclage, ainsi que celui de la motorisation des véhicules électrique, devrait être comparé à des véhicules fonctionnant au méthane (transformation limitée des moteurs à explosion à essence (pour le diesel je ne sais pas). En attendant des véhicules de conception récente, légers à basse conso de méthane.
Ce méthane peut être bio (ça existe déjà pour des camions de livraison) mais peu venir de l'utilisation du CO2 capturé ou de l'extraction pétrolifère (les torchères!).
Car au bout du compte c'est la charge en CO2 qu'on envoie pour 1000 ans dans l'atmosphère, le méthane s'évacuant plus vite mais ayant un effet de serre plus important.

Hervé

Le souci des moteur thermique, c'est le rendement. Si vous devez synthétiser votre méthane, face à la solution batterie c'est mort.

En revanche, il y aurait peut être une piste avec du méthanol qui peut être converti en électricité avec une pile a combustible pour un rendement un peu meilleur . Mais surtout, utilisé conjointement à une batterie de traction plus petite, ça pourrait donner un hybride rechargeable intéressant pour répondre aux besoins mixtes (petits et long trajets).

Hervé

Vous écrivez:
"Cependant, un acteur majeur comme RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, estime que cette utilisation n’est pas pertinente(9), fonctionnellement et économiquement, et préconise plutôt de recycler les batteries de véhicules électriques en fin de première vie."

Attention, RTE parlent de stockage réseau et ils ont tout a fait raison. La batterie même en 2e usage resterait beaucoup trop chère pour un usage en stockage Réseau pur.

Par contre, pour les stations de recharges rapides de VE, qui font une grosse marge sur l’énergie vendue pourraient disposer d'un stockage local permet de lisser l'appel de courant des charges rapides . Un restau proche d'une autoroute qui dispose de 50 places à 200KW necessite 10GW du temps de midi, c'est la capacité d'une ligne MT.
Par exemple tesla qui font des bornes de charge et maitrisent leurs batteries n'auront pas beaucoup de difficultés à utiliser les Pack de leurs voitures dans leurs superchargeurs. Pour le moment c'est pas utile car il y a peu de VE en circulation, mais quand il y en aura beaucoup, ce tampon ne pourra être évité.

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