Gaz à effet de serre : quels objectifs de réduction des émissions pour la prochaine SNBC ?

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Suite à sa note de lecture du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz publiée la semaine dernière, Christian de Pertuis apporte ci-après quelques éléments complémentaires sur la préparation de la prochaine « Stratégie Nationale Bas Carbone » (SNBC) et la méthode retenue de « désagrégation sectorielle ».

L’engagement européen qui nous oblige depuis décembre 2020 est une réduction des émissions de 55 % de l’ensemble des gaz à effet de serre, transports internationaux inclus, entre 1990 et 2030. Cet engagement concerne les émissions nettes des absorptions de CO2 par les changements d’usage des terres, telles que mesurées par les inventaires nationaux. Il doit être atteint sans utilisation de crédits carbone internationaux.

Jusqu’à présent, l’attention a principalement porté sur les émissions brutes de gaz à effet de serre, hors transports internationaux (conformément au périmètre retenu dans le cadre Onusien). C’est en se référant au volume de ces émissions brutes en 2015-2018 que le Conseil d’État(1) et le Tribunal Administratif de Paris(2) ont condamné le gouvernement pour non atteinte du premier budget carbone de la SNBC.

Ces chiffres d’émissions brutes sont repris et décomposés par secteurs, tant dans le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz que dans le document présenté le même jour par la Première ministre(3). Ils vont constituer l’ossature de la prochaine SNBC. Trois constats peuvent être faits :

  • Globalement le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz table sur des émissions de 265 Mt de CO2eq en 2030 alors que la Première Ministre vise 270 Mt. Dans le premier cas, il s’agit d’une baisse de 49% relativement à 1990 et dans le second de seulement 48%. Ces baisses n’atteignent donc pas 55%. Pour juger de leur compatibilité avec l’objectif européen, il faut tenir compte de la répartition sectorielle des investissements bruts et de la quantité de CO2 pouvant être absorbée par le puits de carbone national.
     
  • La répartition sectorielle des émissions cibles est reproduite ci-dessous. Les émissions du secteur de l’énergie et de l’industrie sont majoritairement couvertes par le système européen d’échange de quotas. Leur régulation s’effectue directement au niveau européen et il n’y a pas d’obligation nationale au titre de l’objectif de - 55%. Les secteurs non couverts par le système européen des quotas, principalement le transport, les bâtiments, l’agriculture et les déchets sont soumis à un objectif de réduction d’émission de - 47,5% en 2030 (relativement à 2005) par la régulation européenne dite du « partage de l’effort ».
     
  • Dans le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, la baisse des émissions est nettement plus accentuée dans le transport que dans la présentation de la Première Ministre. Sous réserve d’une baisse modérée des émissions du secteur des déchets, on peut donc atteindre les - 47,5% pour les secteurs hors quotas. Il en va différemment des chiffres présentés par la Première Ministre qui table plus sur l’industrie et l’énergie, secteurs dans leur grande majorité gérés directement au plan européen via le système d’échange de quotas de CO2, que sur le transport. Ces chiffres me semblent difficilement compatibles avec l’objectif européen d’une réduction de 47,5% pour les secteurs non soumis au système européen d’échange de quotas, même en utilisant les mécanismes de flexibilité autorisés par la réglementation européenne.

Dans tous les cas, il serait précieux d’avoir un débat correctement documenté au Parlement et dans le public, avant d’inscrire dans la loi les objectifs de la prochaine SNBC et les budgets carbone correspondants.

Emissions par secteur en 2030

Sources : Rapport Pisani-Ferry, P.60 & Présentation d’E. Borne au CNTE (22 mai)

Quelles méthodes de désagrégation utiliser ?

Une façon de hiérarchiser les actions à engager consiste à utiliser le critère du coût de la tonne de CO2eq évitée : s’il en coûte 20 € de réduire les émissions par l’action A et 100 € par l’action B, on abat avec la même mise initiale cinq fois plus d’émissions en retenant l’action A plutôt que l’action B. Cette méthode peut-elle être utilisée pour élaborer la SNBC ? On peut apporter trois éléments d’appréciation.

  • En premier lieu, dans les secteurs soumis à la régulation européenne du système d’échange de quota, le principe de base repose sur l’action du prix du carbone qui doit en théorie conduire les entreprises à réduire leurs émissions sitôt que le coût de réduction passe en dessous du prix du quota. En pratique, c’est un peu plus compliqué pour deux raisons principales : le jeu des allocations gratuites, subventions déguisées aux énergies fossiles, amoindrit l’efficacité du système dans l’industrie ; il est difficile de connaître à l’avance les coûts d’abattement, surtout dans les secteurs où les gains de productivité sont rapides comme les énergies renouvelables (voir graphique ci-dessous). C’est en particulier une question clef pour apprécier l’opportunité économique de relancer aujourd’hui les investissements dans le nouveau nucléaire dont les coûts de production totaux ne seront pas connus avant 2035-2040. Le risque sera alors, si le projet est effectivement engagé, de renchérir le coût global de l’électron décarboné relativement à celui produit, stocké et distribué depuis des sources renouvelables.
     
  • Dans les secteurs non couverts par le système des quotas, les travaux conduits(4) sous l’autorité de mon collègue Patrick Criqui ont fourni à l’équipe du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, comme aux services de la Première ministre des éléments très précieux sur les coûts d’abattement pour les secteurs du bâtiment, du transport, de l’hydrogène, des énergies renouvelables et du ciment. Il est cependant difficile d’apprécier comment ces éléments ont été intégrés dans les arbitrages entre secteurs. La démarche de la SNBC ne s’appuie, à ma connaissance, sur aucune modélisation explicite en la matière.
     
  • Pour les secteurs de l’agriculture et des changements d’usage des terres, il n’y a pas de travaux publics équivalents à ceux conduits sous la responsabilité de Patrick Criqui. Mon appréciation personnelle est que les émissions spécifiques de l’agriculture et les variations de la capacité d’absorption du CO2 atmosphérique ne peuvent être traitées de la même façon que celles résultant de l’usage des énergies fossiles.

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