Agriculture et gazole, une dépendance enracinée

  • AFP
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L'empreinte carbone de nos assiettes, ce ne sont pas seulement les émissions des vaches et des engrais mais aussi celles du gazole. La conversion des tracteurs aux carburants non fossiles est embryonnaire faute d'incitation à développer des alternatives.

Labourer, semer, épandre, moissonner, transporter... Les engins agricoles brûlent quotidiennement du pétrole, précisément du gazole non routier (GNR), un carburant teinté de rouge pour éviter la fraude puisqu'il est détaxé.

"Cela fait des décennies que chaque agriculteur a sa station de gazole à la ferme, qu'il peut travailler pendant huit heures sans refaire le plein", remarque Nicolas Morel, responsable des carburants alternatifs chez le constructeur italo-américain New Holland.

"C'est tellement optimisé que changer d'énergie impose des changements d'infrastructures et d'habitudes", ajoute le commercial.

"Le GNR est passe-partout", résume Luc Smessaert, agriculteur dans l'Oise et vice-président du syndicat majoritaire FNSEA.

En matière de bilan carbone, la production agricole est plombée par les rots des vaches (pour le méthane) et les épandages d'engrais (pour le protoxyde d'azote), faisant passer au second plan les rejets liés à l'utilisation d'énergies fossiles (11% des émissions de gaz à effet de serre du secteur): le pétrole, surtout, qui fait tourner véhicules et machines, mais aussi le gaz qui chauffe serres et bâtiments d'élevage.

"La conversion totale du parc de tracteurs et d'engins agricoles (un million d'immatriculations) du gazole vers d'autres énergies décarbonées sera un chantier de longue haleine", prévient un rapport publié l'an dernier par le CGAAER, boîte à idées interne au ministère de l'Agriculture.

Il n'y a pour l'heure aucune incitation réglementaire au changement pour les tracteurs, à l'inverse d'autres véhicules: la fin des ventes de voitures et utilitaires légers à moteur thermique est prévue pour 2035 en Europe.

Des objectifs de baisse d'émission doivent aussi être fixés pour les camions et bus, qui commencent à se convertir à l'électrique.

"Choc" de transformation

Le rapport du CGAAER suggère de provoquer un "choc" de transformation en renchérissant le prix du gazole via la suppression de la détaxe dont bénéficient les agriculteurs, pour 1,4 milliard d'euros reversés par an.

Cette aide est "contradictoire" au regard des objectifs de réduction des émissions nocives et "coûteuse pour l'intérêt général", selon les auteurs.

Ils notent qu'il serait "dangereux" de la retirer "aux agriculteurs sans contreparties" et recommandent d'utiliser cette somme pour aider les agriculteurs à investir dans la transition énergétique.

La suppression de la détaxe n'est pas à l'ordre du jour, a indiqué le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau à des journalistes la semaine dernière.

Interrogée par l'AFP, la FNSEA se dit "favorable à la mise en place de soutiens massifs à l'investissement en faveur des énergies décarbonées" comme "préalable" à une sortie du gazole.

Au-delà du coût, la plupart des innovations bas carbone sont aujourd'hui à l'état de prototypes.

Les besoins de puissance et d'autonomie des matériels agricoles sont sans commune mesure avec ceux d'une voiture.

L'hydrogène reste une hypothèse lointaine, la question se posant "d'un accès ou d'un stockage de proximité en milieu rural", relève le rapport du CGAAER.

L'an dernier, New Holland a lancé le premier tracteur fonctionnant au GNV (gaz naturel pour véhicule), dont une vingtaine ont été livrés en France.

"On est au début d'une histoire", dit Nicolas Morel.

Le GNV, moins polluant que le gazole, peut être fossile (extrait par forage dans un pays producteur de gaz) ou renouvelable s'il est - par exemple - produit localement avec les déjections des animaux de la ferme et d'autres rejets agricoles.

La moindre autonomie reste un frein: les tracteurs au gaz "font quatre heures" de travail intensif, "on est encore loin de la journée entière", remarque Luc Smessaert.

New Holland travaille sur un modèle qui tournerait avec du gaz liquéfié pour gagner en autonomie et en puissance.

Quant aux monstres d'acier que sont les moissonneuses-batteuses et les arracheuses à betteraves, il est plutôt envisagé de les remplir de carburants fabriqués à base de matières premières agricoles, comme le colza.

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