Brésil : bras de fer entre Lula et les géants du pétrole

  • AFP
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Le mandat de Lula n'a pas encore atteint les 100 jours, mais le président de gauche du Brésil s'est déjà attiré les foudres de compagnies pétrolières étrangères prises au dépourvu par la création d'une taxe sur les exportations de brut.

Repsol, TotalEnergies, Shell, Equinor et Galp ont saisi un tribunal fédéral pour réclamer la suspension de la taxe de 9,2% sur quatre mois (de mars à juin) annoncée par le gouvernement fin février.

Cette annonce a eu lieu le jour où le ministère des Finances a rétabli des taxes sur les carburants supprimées par le gouvernement précédent, du président d'extrême droite Jair Bolsonaro, en pleine campagne électorale face à Lula. Mais elles ont été rétablies seulement en partie, pour éviter un impact trop important sur les prix à la pompe.

Le ministre des Mines et de l'Energie, Alexandre Silveira, a invoqué une "opportunité d'attirer (des investisseurs) intéressés par le raffinage" au Brésil du brut extrait sur place, plutôt que de le vendre à l'étranger.

Le Brésil est le neuvième producteur mondial de pétrole, avec 3,02 millions de barils par jour, extraits en grande partie offshore dans des gisements de "pré-sal", situés en eaux très profondes, sous une épaisse couche de sel.

"Solution de facilité"

Luiz Inacio Lula da Silva, dont le troisième mandat a débuté en janvier, compte augmenter les dépenses publiques pour financer des programmes sociaux comme ceux qui ont permis de sortir des millions de Brésiliens de la misère lors de ses premiers passages à la présidence (2003-2010).

Mais la situation économique est bien moins porteuse qu'à l'époque, quand il bénéficiait du boom des matières premières. Selon la dernière enquête hebdomadaire Focus de la Banque centrale, la prévision de croissance pour cette année est inférieure à 1% (0,88%).

Dans ce contexte de vaches maigres, le gouvernement a "choisi la solution de facilité, qui indispose le moins de gens possible", estime Juliana Inhasz, professeure d'Economie à l'institut Isper.

"C'est une décision politique", qui permet au gouvernement d'éviter que les carburants coûtent trop cher aux Brésiliens, explique cette spécialiste à l'AFP.

La taxe sur les exportations de brut permet un "meilleur équilibre budgétaire", selon le gouvernement, qui peut permettre de compenser intégralement le manque à gagner de 6,6 milliards de réais (environ 1,2 milliard d'euros) dû au rétablissement seulement partiel des taxes sur les carburants.

"Précédent" inquiétant

Mais cette décision a été vue d'un très mauvais oeil par le secteur pétrolier, qui représente 15% de la part de l'industrie dans le PIB brésilien et emploie 450.000 personnes dans le pays.

Dans un communiqué envoyé à l'AFP, Shell s'est dit "inquiet" de cette mesure annoncée "sans dialogue significatif" préalable, déplorant des "incertitudes sur les futures décisions concernant les investissements".

Les compagnies exportatrices de brut brésilien s'estiment lésées, évoquant une "rupture contractuelle", cette taxe n'existant pas au moment où elles ont investi dans l'exploration de pétrole au Brésil.

"Lors des prochaines enchères pétrolières, il est possible que les acteurs prennent en compte le risque de voir les règles changer" au moment de faire leurs offres, prévient Livio Ribeiro, chercheur de l'Institut brésilien d'Economie de la Fondation Getulio Vargas (Ibre-FGV).

Selon lui, la création de cette taxe représente un "précédent" qui apporte une "insécurité" juridique. Au risque de détourner du Brésil non seulement les majors du pétrole, mais aussi les investisseurs d'autres secteurs.

"Une très mauvaise idée", a titré le quotidien O Globo dans un éditorial publié récemment. Ce type de mesures donnent au gouvernement "des airs de Robin des Bois, qui redistribue l'argent des riches aux pauvres, mais invariablement, elles se révèlent contre-productives".

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