Climat: capter le CO2, le pari controversé de l'UE pour adoucir sa transition

  • AFP
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L'UE mise sur le captage du carbone pour rendre la transition climatique moins douloureuse: mais si les développeurs de ces technologies naissantes vantent une solution "incontournable" pour décarboner l'industrie, des ONG dénoncent un pari "dangereux" à l'efficacité incertaine.

La Commission européenne l'assure: les législations déjà adoptées permettront d'approcher la baisse nette de 90% des émissions de gaz à effet de serre des Vingt-Sept visée en 2040.

Pour parvenir à cet objectif très ambitieux, Bruxelles prévoit le captage de 280 millions de tonnes de CO2 (dont les deux-tiers seraient stockés et un tiers réutilisé), puis 450 millions en 2050.

"Dans certains secteurs industriels, les processus sont particulièrement difficiles à verdir, les changements coûteux", a reconnu le vice-président de la Commission, Maros Sefcovic.

Accélérer les technologies de captage-stockage du CO2 "renforcerait la compétitivité", garantissant "une transition socialement équitable", insiste-t-il. Sidérurgie, incinération de déchets, ciment pourraient être visés par cette "Stratégie de gestion du carbone".

Il s'agit de piéger le CO2 généré par des usines ou centrales thermiques à gaz ou biomasse, pour le séquestrer dans des réservoirs géologiques de façon permanente -ou alors de le réutiliser dans la fabrication de carburants synthétiques et de plastiques.

"Quand on calcule, on voit que ces technologies sont incontournables pour atteindre la neutralité, d'où le changement radical de discours", observe Toby Lockwood, du think-tank Clean Air Task Force.

-"Dernier kilomètre"-

La dynamique est enclenchée: les Vingt-Sept visent en 2030 le stockage d'au moins 50 millions de tonnes, le Fonds d'innovation de l'UE soutient des projets de captage-stockage d'environ 10 millions de tonnes/an opérationnels dès 2027....

Mais tout reste à bâtir, dont les pipelines pour transporter le carbone: 19.000 km seront nécessaires en 2040, soit 16 milliards d'euros d'investissements estimés.

"On ne peut aller jusqu'au +dernier kilomètre+ avec renouvelables et hydrogène. Il ne s'agit pas de prolonger la survie des géants pétro-gaziers mais d'aider les secteurs durs à décarboner", souligne Joop Hazenberg, directeur UE du CCSA, fédération du secteur du carbone.

Ces industries "dépendront encore des fossiles, à moins de vouloir atrophier l'économie. Le captage du carbone sera un outil disponible, mais extrêmement coûteux, pas une solution de facilité", indique-t-il à l'AFP.

Pour lui, la technologie, notamment utilisée en Norvège, est "prouvée". Mais avec des coûts de captage pouvant atteindre 100-150 euros par tonne de CO2, le modèle économique fait défaut.

Il devrait s'appuyer sur le décollage du marché du carbone imposé aux entreprises polluantes, et s'inspirer des modèles de rémunération de gestion des déchets.

En attendant la viabilité économique, Bruxelles prévoit des instruments de soutien: marchés publics, agrégation de la demande, fonds européens, standards harmonisés... notamment sur la "pureté" du carbone transporté, susceptible de rendre le captage plus énergivore et coûteux.

-"Distraction dangereuse"-

"Lancer des projets isolément sera plus rapide", mais "l'objectif final reste un réseau interopérable" et concurrentiel, "sans fragmentation réglementaire, où le CO2 pourra aller vers n'importe quel site de stockage en Europe", relève Toby Lockwood.

"Un énorme chantier", mais "cette +Stratégie+ devrait catalyser des actions et financements coordonnés, permettant de surmonter en temps limité les obstacles techniques, réglementaires, économiques" , estime-t-il.

Crucial pour combler le gouffre géographique entre les pays du Nord, où sont concentré les projets actuels autour de hubs portuaires comme Rotterdam, et les industries lourdes dans l'Est et le Sud.

"Real Zero Europe", collectif de 140 ONG, dénonce cependant "une distraction dangereuse", "écran de fumée pour continuer l'utilisation des fossiles".

Bruxelles n'exclut pas explicitement le captage dans la production d'électricité après 2040, porte ouverte à maintenir des centrales à gaz et biomasse.

Or, "cela doit rester l'outil de dernier recours, faute d'alternative" ce qui n'est pas le cas dans l'énergie, souligne Riccardo Nigro, de l'European Environmental Bureau.

Il fustige "un risque de dépendance à des technologies coûteuses non éprouvées à grande échelle". "Des recettes de contes de fées", ironise WWF.

Carbon Market Watch déplore aussi "l'amalgame" entre carbone stocké pour toujours, et celui réutilisé dans des carburants.

"Dans ce cas, l'émission de CO2 n'est que retardée", même si ces e-fuels sont plus verts que des carburants fossiles, reconnaît Joop Hazenberg.

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