Derrière la fusion de l'IRSN et l'ASN, un débat sur la sûreté nucléaire en France

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Le gouvernement l'assure: "on ne transigera pas avec la sûreté nucléaire". Experts et associations mettent cependant en garde contre des risques liés à la réforme en cours, tandis que des élus prônent un système "moins rigide" pour faciliter la relance du nucléaire civil.

Un projet de loi doit être présenté mercredi pour fusionner l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), auteure des décisions sur les centrales, et l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (ISRN), expert du secteur. Objectif : "fluidifier les processus d'instruction, assurer un meilleur alignement des priorités" au moment où l'Etat porte un programme de réacteurs.

Une sûreté « trop pointilleuse » ?

En octobre, en audition, l'IRSN a dû défendre son travail face à une députée LR reprochant au "système nucléaire français" d'être "trop pointilleux".

"L'exercice (...), on le fait en notre âme et conscience, sur des bases scientifiques et techniques", a répondu le directeur de l'IRSN Jean-Christophe Niel. "Evidemment, tant qu'il n'y a pas d'accident, on peut être suspecté d'en faire trop", a-t-il ajouté, rappelant que ce type de critique était monnaie courante avant l'accident de Fukushima.

Le député LR Raphaël Schellenberger estime aussi que la France est "+10 fois+ plus exigeante que l'AIEA", l'agence de l'ONU dédiée au nucléaire et estime que "le cadre est beaucoup trop rigide".

Le gouvernement, lui, assure qu'"on ne transigera pas avec la sûreté nucléaire dans notre pays". "C'est une condition de l'acceptabilité du nucléaire", souligne la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.

La réforme "ne modifie aucune virgule du cadre de sûreté applicable aux exploitants nucléaire", assure son cabinet.

Une histoire ancienne

Thierry Charles, ex-directeur adjoint de l'IRSN, retraité, en est convaincu: "le milieu industriel" voulait "limiter le rôle de l'IRSN" depuis un moment. Parce que né en 2001 sous l'égide d'une ministre écologiste (Dominique Voynet), "il a toujours été considéré par certains comme allant un peu loin" dans ses exigences.

Mais "l'IRSN agit selon les connaissances, et il prône la discussion pour permettre à l'ASN de décider", ajoute-t-il, citant des cas où l'ASN au contraire a été plus loin que l'IRSN: par exemple pour demander le remplacement du couvercle de la cuve de l'EPR de Flamanville.

En revanche, il met en garde contre un "système moins robuste" avec la mise en place d'une autorité unique qui "va prendre seule toute la pression. Quelle sera sa capacité à résister par exemple en cas de problème sur un réacteur ? Ce sera moins facile".

Séparer expert et décideur

Distinguer expertise et décision a aussi un sens: "préserver l'expertise scientifique pour qu'elle ne soit pas +polluée+ par des enjeux liés à la décision (enjeux techniques, politiques, économiques, industriels, énergétiques...)", explique le chercheur Michaël Mangeon.

Cette séparation cependant "peut prendre des formes organisationnelles variées", notamment au sein d'un même organisme, note-t-il.

Le gouvernement cite le modèle américain de la NRC (qui distingue les deux). A ce stade, son projet reconnaît ce principe de séparation, mais sans l'organiser.

Demain quelle transparence ?

Autre pilier de la sûreté, la transparence à l'égard du public.

Aujourd'hui, les expertises de l'IRSN sont publiées chaque mois (sauf si l'ASN lui demande d'y surseoir), avant que la décision ne soit prise, et les organisations de la société civile, notamment les CLI regroupant les riverains de centrales, demandent à ce que cela continue.

Mais d'autres n'ont pas le même avis.

Si elle est très critique quant au projet de réforme, Virginie Neumayer, coordinatrice groupe CGT chez EDF, estime que l'ouverture à la société civile "a amené certaines déviances" et que certaines expertises ont été "instrumentalisées" par les opposants au nucléaire.

Gros chantier, quels moyens ?

En 2008, la Belgique avait été tentée de réunir ses deux entités sous un même chapeau, avant de renoncer, raconte Benoit De Boeck, ex-directeur général de Bel V, l'IRSN belge.

Outre un bénéfice incertain, la transition "risquait de créer des dégâts pendant des années et d'abord de faire fuir une partie des experts. Or perdre des experts peut aller vite, en recruter peut prendre des années".

Déjà l'IRSN évoque des difficultés à recruter même si les salaires devraient être revalorisés. Tout le monde s'accorde en tout cas à appeler à donner plus de moyens à la sûreté, face à "un mur de dossiers" à traiter (prolongement des centrales, nouveaux EPR...).

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