En Haute-Marne, remous autour d'un projet de blanchisserie pour linge radioactif

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"Pas de blanchisserie nucléaire au bord de la Marne !": à Suzannecourt (Haute-Marne), territoire miné par la désindustrialisation, un projet de laverie industrielle pour vêtements contaminés provenant d'installations nucléaires, potentiellement créateur d'emplois, inquiète associations et riverains, qui pointent le "risque environnemental" et "sanitaire".

Lancé en 2016, le projet porté par Unitech France, filiale de l'américain Unitech Services, doit voir le jour d'ici 2021 dans une zone d'activités au bord de la Marne. Avec différents clients dont EDF ou Orano (ex-Areva), la blanchisserie sera destinée à décontaminer et laver les vêtements portés par des employés travaillant dans des zones "faiblement" ou "non contaminées" de sites nucléaires, soit plus de 1.900 tonnes de linge par an.

Mais "les eaux usées, chargées de détergents et de radionucléides, (seront) déversées dans la Marne après traitement" et la rivière, "qui traverse plusieurs départements et alimente le lac de Der-Chantecoq, subira une pollution quotidienne", s'alarme dans un communiqué un collectif de six associations, dont le Réseau Sortir du Nucléaire et le Cedra (Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs).

"Plus d'un tiers de la contamination se retrouverait dans l'eau", assurent les associations. Avec 101 riverains proches de la zone, elles ont donc déposé le 29 mai au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne) un recours en référé contre le permis de construire, délivré en avril 2018.

"L'étude d'impact s'avère insuffisante, les effets sur l'environnement étant minimisés", juge le collectif. "En particulier, l'avis d'un hydrogéologue mandaté par l'Agence Régionale de la Santé (ARS) s'est révélé défavorable", notamment parce que "les effluents seraient rejetés dans le périmètre de protection de deux captages d'eau potable", des effets "non décrits" dans l'étude.

De plus, le site doit s'installer près d'un lotissement, "à proximité d'une crèche et d'un collège, à cent mètres des premières habitations" et "les rejets gazeux émis, en particulier de plutonium" représentent un risque pour les riverains, pointent les opposants.

"Après traitement, les rejets dans la Marne sont largement inférieurs aux normes françaises. Arrêtons de faire peur aux gens!" contre-attaque Jacques Grisot, directeur général d'Unitech, qui indique qu'une enquête d'utilité publique doit être réalisée et pourrait selon lui commencer "début septembre".

Dans ce projet, "les flux d'éléments radioactifs sont très limités et les enjeux environnementaux et de santé publique liés (...) restent faibles", estime aussi, dans un avis rendu en avril, la Mission régionale d'Autorité environnementale (MRAE) du Grand Est. Le rejet radioactif équivaudrait selon l'organisme à "celui qu'on obtiendrait en rejetant dans la Marne moins de 10 kg de sol granitique par heure".

« Poubelle nucléaire »

Mais l'autorité "s'étonne" toutefois que le site "soit en zone d'aléa fort d'inondation par remontée de nappe et sur une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique". Elle "s'interroge" également sur "le devenir des radioéléments dans le milieu aqueux" et le "risque d'accumulation de certains radioéléments" dans les sédiments.

"On va retrouver tous les radioéléments qu'on trouve sur une installation nucléaire: du cobalt, du césium, de l'uranimum, du plutonium..." déplore Bertrand Thuillier, ingénieur agronome et tête scientifique des opposants.

"Les promoteurs ne sont là que pour les subventions ! C'est représentatif de ce que l'on ne veut plus voir: profiter de la faiblesse économique d'un territoire pour implanter un projet dangereux", estime-t-il.

Car dans un bassin d'emploi où le taux de chômage oscille entre 25 et 30%, et où un tiers des moins de trente ans vivent sous le seuil de pauvreté, Unitech promet de créer une quarantaine d'emplois à temps complet.

"Nous sommes situés entre le centre de stockage (...) de Soulaines (Aube) et le laboratoire d'enfouissement de déchets hautement radioactifs de Bure (Meuse). Nous avons toutes les nuisances mais pas les retombées économiques" défend Philippe Neveu, conseiller municipal de Joinville, favorable au projet.

"On essaie de transformer la Haute-Marne en poubelle nucléaire" tranche au contraire Dominique Laurent, maire de Bettancourt-la-Férée, près de Saint-Dizier.

L'élu, en colère, espère désormais convaincre les soixante communes de la communauté de Saint-Dizier de s'opposer au projet. "Une quinzaine de communes (...) ont déjà pris des délibérations", se réjouit-il.

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