Réformer le marché de l'électricité en Europe : entretien de Bruno Le Maire avec l'AFP

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Malgré le scepticisme d'autres États, la France veut toujours réformer le marché européen de l'électricité, a insisté le ministre de l'Économie Bruno Le Maire dans un entretien à l'AFP, défendant la nécessité de "tempérer la logique de marché" pour le consommateur final.

L'idée d'une réforme du marché de l'électricité a été fraichement accueillie par de nombreux pays européens. Pourquoi la défendez-vous ?

Le combat que nous voulons mener est un combat pour le consommateur français et le consommateur européen. Ils sont confrontés à une augmentation des prix de l'énergie qui pèse très lourdement sur leur budget.

Ce sont par ailleurs des hausses qui sont appelées à durer. Je conteste particulièrement l'idée que cette augmentation du prix du gaz, et donc par ricochet du prix de l'électricité, soit une augmentation transitoire. Non, c'est une augmentation qui est durable, parce qu'il y a une demande qui est forte et parce que le carbone aura un prix de plus en plus élevé dans les années à venir. Donc il y a une nécessité à agir.

Que propose la France ?

Je souhaite lundi (lors de la réunion de l'Eurogroupe) lever un certain nombre d'incompréhensions et préciser les propositions et le diagnostic que nous faisons. Je veux rassurer un certain nombre de nos partenaires européens : nous ne contestons pas que le marché de gros fonctionne bien et qu'il garantit la disponibilité de l'énergie à tout moment, pour tous les États membres. C'est un atout important du marché européen de l'énergie sur lequel nous ne voulons pas revenir.

Là où il y a un problème, c'est sur le marché de détail parce que le consommateur paye trop cher, et notamment dans les pays qui ont fait le choix d'être moins dépendants des énergies fossiles. Je pense en particulier à la France, grâce au nucléaire, et à l'Espagne, qui a investi massivement dans les énergies renouvelables. C'est ce qui fait d'ailleurs que la France n'est pas seule. Elle a le soutien de l'Espagne, de la Grèce, de la République Tchèque. J'ai eu l'occasion aussi d'en discuter avec nos partenaires italiens. Et nous allons poursuivre nos échanges avec un certain nombre de partenaires européens.

La première proposition que nous faisons c'est de mettre en place un stabilisateur automatique de prix qui permette de transférer les gains que peut faire un producteur sur le prix de l'énergie vers le fournisseur, et que le fournisseur répercute ensuite ces gains vers le consommateur, particulier ou entreprise. Quand les prix de l'énergie sont très élevés, par exemple aujourd'hui le prix du gaz est à 150 euros, et que le producteur a lui un prix de production à 50 euros, c'est le cas d'EDF, forcément il fait des profits qui sont très importants.

La deuxième proposition que nous faisons, c'est d'avoir des contrats de long terme bas carbone pour les entreprises. Cela rejoint d'ailleurs un certain nombre de propositions qui sont faites par la Commission. Ce serait un engagement de fourniture à un prix donné, sur 5 à 10 ans, sur un volume précis, mais uniquement pour des énergies non carbonées. Cela permettrait de stabiliser le prix pour les gros consommateurs et cela favoriserait évidemment les énergies décarbonnées. Ce serait donc doublement vertueux."

Et la troisième proposition ?

Aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation d'offrir aux consommateurs une offre sécurisée d'électricité à un prix stable. Ca pourrait devenir une obligation de marché. Je souhaiterais aussi que, dans ces contrats, on garantisse aux consommateurs la solidité financière des fournisseurs, car cette crise a montré qu'un certain nombre de fournisseurs n'avaient pas suffisamment les reins solides.

Ces propositions vont à contre-courant de la politique européenne de libéralisation du marché...

S'agissant du marché de détail, je pense qu'il est bon de tempérer la logique de marché par une logique de long terme, qui stabilise les prix et incite à la consommation d'énergie bas carbone. L'énergie est un bien stratégique et il n'est pas absurde que, sur un bien stratégique, les logiques de marché soient tempérées par des logiques stratégiques.

Pensez-vous qu'elles seront mieux reçues par nos partenaires européens ?

Comme toujours en Europe, c'est une affaire de temps, de persuasion, de conviction, d'explication. Je suis très serein sur le combat que nous menons, tout simplement parce que c'est un combat pour le consommateur.

Propos recueillis par Marie HEUCLIN

Commentaires

FLUCHERE

L'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence a été une erreur profonde comme le prévoyait des hommes remarquables comme Monsieur Marcel Boiteux.
Elle a abouti à la destruction du système électrique de l'UE et surtout à la destruction de son système de production.
Sans compter l'armée de fonctionnaires qui s'occupent de la régulation et dont le système électrique n'avait nul besoin.

Eric

Oui, et je crois qu'il faut bien comprendre qu'aujourd'hui la logique de profits à court terme est une catastrophe pour l'avenir. L'investissement dans des usines de production à longue durée de vie n'est pas possible compte tenu de la logique financière du marché, qui doit avoir un retour sur investissement rapide, et qui dévalorise la production d'énergie future (dans 15 ou 20 ans). Certaines techniques de stockage sont par exemple aujourd'hui non finançables car elles demandent trop d'investissements, mais pourraient durer de très nombreuses années en consommant moins de ressources à long terme.

Ajoutons à ça que l'engouement pour l'éolien aujourd'hui va se prendre un grand coup dans les dents dans 15 ans lorsqu'il faudra tout remplacer, en même temps qu'il sera nécessaire de multiplier leur déploiement pour réduire les émissions de GES.

La durée de vie (et il s'agit bien d'une durée de vie dans le cas présent) de ces dispositifs et calculée pour 20 ans en général ... Ce qui n'est rien à l'échelle d'un système électrique, et c'est favorisé par la logique de gains à court terme d'un marché libéralisé. Cette logique n'aurait jamais permis de développer barrages ou centrales nucléaires ... Un prix devra être payé un jour ... Mais c'est pas grave, on aura fait tourner l'économie, on aura épuisé des ressources sans savoir comment les recycler, ni les réutiliser ... Et au passage, certains s'en seront mis plein les poches...

Régis de Nimes

Il faut mettre des noms de formations politiques derrière la libéralisation de l'énergie à partir de 1996, avec l’adoption d’une première directive européenne concernant l’électricité, suivie en 1998 d’une directive sur le gaz: la social-démocratie et la droite conservatrice et libérale. D'autres ont continué de défendre, une entreprise nationale EDF/GDF intégrée, un vrai service public de l'énergie et des tarifs règlementés.
Les députés communistes à l'assemblée nationale proposent "de sortir le secteur de l'énergie du champ de l'article 107 du traité fonctionnement de l'UE". Faire reconnaître "une exception énergétique".

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