Habiter dans une fournaise : la précarité énergétique liée aux fortes chaleurs

  • AFP
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"Je peux pas dormir !" Christian Thurillat, septuagénaire vit dans un minuscule appartement sous les toits à Paris et subit la précarité énergétique d'été, un phénomène encore négligé et qui va s'aggraver avec le réchauffement climatique.

Au sixième étage d'un immeuble haussmannien, où il est logé depuis 2013, cet ancien peintre en bâtiment reçoit la visite d'un bénévole de l'association Petits frères des pauvres, Matthieu Mazo. "Vous pensez à boire souvent ? N'hésitez pas à prendre des douches", lui conseille le jeune homme.

Sous des toits en zinc, un ventilateur sur la table basse et deux fenêtres, dont une seule peut s'entrouvrir, ne suffisent pas à atténuer la chaleur. "La nuit, à une ou deux heures, je dors pas. Cette nuit, à deux heures du matin, je regardais la télé", raconte Christian à l'AFP. Vendredi, les températures ont dépassé les 34 degrés à Paris.

Comme lui, de nombreux ménages ont trop chaud dans leur logement et n'ont pas les moyens d'y remédier. Le problème, qui va s'aggraver avec le réchauffement climatique et les canicules de plus en plus fréquentes et longues, est bien connu des organisations d'aide aux mal-logés.

Inégalités

"J'ai déjà été interpellé par des locataires qui me disent quand est-ce que notre bailleur va nous installer des volets ?", raconte à l'AFP Alain Gaulon, secrétaire national de la Confédération nationale du logement (CNL) qui défend des habitants de logements sociaux. "Il faut qu'on trouve des solutions pour alléger la chaleur subie par les gens. Et je commence à en parler avec des bailleurs qui n'en ont pas encore pris la mesure. Le réchauffement climatique, c'est quelque chose qui leur passe encore au-dessus de la tête", affirme-t-il.

Car si la précarité énergétique d'hiver, qui frappe les ménages n'ayant pas les moyens de se chauffer correctement, est désormais un sujet de préoccupation, son pendant estival est encore très peu documenté. Ainsi, pour l'Union européenne, les seules données officielles remontent à... 2012. Elles révèlent que près d'un Européen sur cinq vivait dans un logement à la température inconfortable l'été, la France se situant dans la moyenne.

Avec des inégalités flagrantes : parmi les 20% d'Européens les plus riches, seul un sur sept était dans cette situation, contre un sur quatre parmi les 20% les plus pauvres. Des écarts qui s'accentuent pour les États du Sud de l'Europe (Grèce, Espagne, Italie, Bulgarie...), les plus en proie aux fortes chaleurs.

Quartiers populaires en première ligne

En 2020, selon une enquête du Médiateur national de l'énergie, un Français sur deux (51%) déclarait avoir souffert de la chaleur dans son logement pendant au moins 24 heures.

"C'est seulement depuis quelques années qu'on commence à s'interroger sur la hausse des températures dans les logements et le besoin de données", explique Rachel Guyet, chercheuse sur la précarité énergétique au Centre international de formation européenne (Cife) à Nice. Depuis 2003, année d'une canicule qui avait fait des milliers de morts, "il y a des choses qui se sont mises en place, des coordinations entre les ARS (agences régionales de santé, NDLR). Mais sur le fond du problème, sur les mesures structurelles, là, ça fait défaut", ajoute-t-elle.

Car l'action publique commence tout juste à prendre en compte l'adaptation des logements à la chaleur. Dans la construction neuve, la nouvelle règlementation (RE2020), entrée en vigueur cette année, impose de prendre en compte le confort d'été. Et la volonté affichée de rénover les logements, si elle vise d'abord à les rendre moins vulnérables au froid, permet souvent du même coup de les protéger contre la chaleur.

"Ce qui est bien, c'est que les solutions sont souvent les mêmes : une bonne isolation, et des appareils de chauffage ou de climatisation performants", explique Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Mais contre la chaleur, des mesures ciblant les logements seuls ne suffisent pas : c'est l'urbanisme qu'il faut repenser, pour éviter les îlots de chaleur urbains.

"Le réchauffement, les pics de chaleur, vont toucher tout le monde, mais surtout en ville, dans les quartiers peu végétalisés", souligne-t-il. Or, c'est souvent le cas des quartiers populaires, où par ailleurs, "les gens sont dans des logements surpeuplés, moins bien isolés, et ils ont moins d'argent pour climatiser si besoin".

Dernier problème : généraliser la climatisation, très consommatrice d'énergie et émettrice de gaz à effet de serre, n'est pas compatible avec l'atténuation du réchauffement climatique. Et les appareils les moins chers sont aussi les plus consommateurs d'énergie. Pour les ménages modestes, un piège écologique et économique, en pleine flambée des prix...

Commentaires

Schricke

Je cite un extrait de cet article: "généraliser la climatisation, très consommatrice d'énergie et émettrice de gaz à effet de serre, n'est pas compatible avec l'atténuation du réchauffement climatique."
Si, effectivement, dans certains pays, comme l'Allemagne, qui émet toujours une grosse quantité de GES par Mwh électrique (3 fois plus que la France !) ce constat peut se vérifier, il est inexact d'user de cet argument anti-clim, en ce qui concerne la France dont l'électricité est décarbonée à 95% grâce au nucléaire !
Quant à la surconsommation d'énergie, pourquoi serait-il plus "immoral" de se protéger des grandes chaleurs (beaucoup plus mortifères que le froid !) que du froid, qui tue beaucoup moins, et qui, cependant, nécessite beaucoup plus d'énergie que la lutte contre la canicule ?

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