Le Nigéria, « bombe à retardement » démographique

  • AFP
  • parue le

Son grand-père a eu trois femmes et 22 enfants. Son père, deux épouses et neuf enfants. À 19 ans, Modupe Adegbite a déjà fait ses calculs, elle n'en veut pas plus de quatre : "Pourquoi faire tant d'enfants quand on ne peut pas les nourrir ?"

Modupe est née à Bada, un des quartiers les plus pauvres de Lagos, au Nigéria. Dans sa ruelle en terre cabossée, les enfants jouent avec des pneus usés ou font la manche devant les voitures arrêtées au feu rouge pour quémander quelques nairas.

L'éducation des femmes et les mariages précoces restent un défi majeur pour le pays le plus peuplé d'Afrique. La démographie galopante, combinée avec la pauvreté, un taux de chômage record et des tensions interethniques persistantes, laisse imaginer le pire des scénarios et constitue, pour les plus alarmistes, une "bombe à retardement".

Les chiffres donnent le vertige. Il y avait moins de 38 millions de Nigérians en 1950. Le pays en comptait 190 millions en 2018. L'ONU en prévoit 410 millions d'ici à 2050 - et presque le double en 2100 (World population prospects). Dans 30 ans, le Nigéria deviendra ainsi le troisième pays le plus peuplé de la planète derrière l'Inde et la Chine.

Chose rare, dans le bidonville de Bada, même si les habitants n'ont ni électricité, ni route goudronnée, ils bénéficient d'un centre de planning familial depuis un an. Pilules, préservatifs et implants hormonaux sont accessibles gratuitement au centre "9ja girls", qui fait partie d'un programme de l'ONG Populations Services International pour lutter contre les grossesses non désirées. "La sexualité commence très tôt ici, quelle que soit leur religion. La plupart des filles arrêtent l'école et, à 15 ans, parfois 14, elles sont déjà actives. Alors très vite, elles tombent enceintes", explique à l'AFP l'animatrice Naomi Ali.

« Urgence »

Méfiantes au départ, adolescentes et jeunes femmes s'y pressent désormais les samedis par centaines pour parler sexualité et relations amoureuses en dehors des tabous familiaux ou se procurer des contraceptifs. "Ce n'est pas toujours évident, parfois elles croient que la contraception les rendra stériles, parfois ce sont les parents qui ne veulent pas en entendre parler".

Le taux de fécondité au Nigéria est de 5,53 enfants par femme (Banque mondiale, 2016), mais cette moyenne nationale cache de profondes disparités entre les grandes villes comme Lagos et les zones rurales, où il peut atteindre 8 enfants par femme.

"Dans le nord du Nigéria, comme dans toute la région du lac Tchad, si on ne fait rien, nous allons au-devant de gros problèmes", estime Mabingue Ngom, directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population basé à Dakar. "Il y a urgence". "Sur 20 millions de jeunes Africains qui arrivent chaque année sur le marché de l'emploi, deux ou trois millions seulement trouvent du travail. C'est ce qui nourrit les conflits et le terrorisme", poursuit M. Ngom, citant l'insurrection jihadiste Boko Haram, née dans la région enregistrant les plus forts taux de fertilité au monde.

Sur un territoire relativement étroit - environ 920 000 km2, soit 10 fois moins que les États-Unis - la pression démographique est déjà source de conflits au Nigéria. Sur les plaines fertiles du centre, des affrontements pour l'accès à la terre et à l'eau ont également fait plusieurs milliers de morts entre agriculteurs et éleveurs rien qu'en 2018.

Échec politique

Dès la fin des années 80, le gouvernement a tenté de mettre en place des politiques démographiques encourageant les familles à faire moins d'enfants qui ont échoué par "manque de volonté politique" et à cause de "barrières culturelles et religieuses", selon un rapport de la Commission nationale pour la population de 2015.

Malgré l'importance de cette question pour l'avenir du géant ouest-africain, elle reste taboue. En l'absence de filets sociaux, l'idée que plus on a d'enfants, mieux ils prendront en charge leurs vieux parents reste très ancrée dans la société nigériane.

La croissance démographique de l'Afrique - et en particulier du Nigéria - est aussi ce qui a attiré de nombreux investisseurs étrangers sur le continent. Pour eux, la nouvelle génération représente un immense marché qui consomme des smartphones et ouvre des comptes bancaires.

Charles Robertson, économiste en chef à Renaissance Capital, est persuadé que cette population deviendra "une plus-value pour le Nigéria d'ici à une vingtaine d'années". "Le pays a besoin de deux choses pour s'industrialiser et donc se développer: un fort taux d'alphabétisation adulte et une meilleure couverture des besoins en électricité, notamment dans les grandes villes".

"Le Nigéria a fait beaucoup d'efforts ces dernières années pour améliorer l'accès à l'éducation de base (60%), même si certains pays comme le Kenya (78%) et le Ghana (77%) y sont parvenus plus rapidement", affirme l'économiste. "C'est ce qui permettra aux jeunes de trouver des emplois mieux rémunérés".

Commentaires

amblard

Au Nigeria et partout dans le monde, l'explosion démographique est le premier des drames, avant le carbone et autres problèmes qui ne sont que la conséquence du toujours plus.
Le toujours plus de population, donc de consommation et de tout, est le credo incontournable de nos économistes : le DIEU CROISSANCE. Jusqu'où ? Jusqu'à quand ? Pour aller où ? Le rêve : une croissance à deux chiffres...
Le système économique mondial ne vit qu'à partir de ce toujours plus.
Une question, bête évidemment : si en France on était 20 millions d'habitants, ça pourrait peut-être être plus vivable et moins destructeur, non ? Les énergies renouvelables bien gérées dont l'hydraulique, éviteraient pas mal de centrales diverses.
Chaque année la presse à l'unanimité explique qu'on a bien de la chance d'avoir un des taux de fécondité les plus élevé d'Europe. Ah bon !
Et si c'était le contraire ? Impossible car on nous explique qu'il faut remplacer les populations en toujours plus, d'où l'immigration incontournable pour le dieu " Toujours plus".
Une bêtise bien sûr ! Il faut produire, consommer, extraire, polluer...toujours plus pour que le système fonctionne, au premier rang "les retraites". Toujours plus, toujours plus, toujours plus.
Et si on remettait en question ce système de fou ? Un autre débat, peut-être le seul qui vaille ?

Max Maes

Tout à fait d'accord.
C'est de la folie ce "toujours plus".
Il y de la place pour 2 milliards d'humains sur terre, pas plus.
Et ces économistes qui continuent de dire que la démographie est une chance! C'est un mythe imaginaire.
Voir le dernier paragraphe de l'article sur le Nigeria!
Je connais ce pays, c'est l'anarchie. On y ramasse les morts par violence le matin. L'administration est incompétente et corrompue.
Rien à voir avec la rigueur de la Chine.
Je suis certain d'un futur effondrement qui déstabilisera toute la région, et l'Europe en domino.
Vingt millions en France parait être un bon chiffre. Et n'oublions pas qu'il faut recréer de la place pour les animaux.

Ajouter un commentaire

Suggestion de lecture