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La crise des "gilets jaunes" en France est une "leçon" pour les défenseurs du climat: les politiques pour freiner le réchauffement ont un prix, et pour réussir, elles doivent se soucier des injustices sociales, soulignent les observateurs à la COP24.
Depuis le début de la 24e Conférence de l'ONU sur le climat (COP24) il y a dix jours, le mouvement qui secoue la France, parti de revendications sur la fiscalité écologique sur les carburants, est sur toutes les lèvres.
La Pologne, présidente de cette réunion qui doit d'ici la fin de la semaine donner vie à l'accord de Paris destiné à limiter le réchauffement à +2°C au maximum, s'était emparée du sujet dès l'ouverture, y voyant une preuve à charge contre les politiques climat.
"Nous ne pouvons pas mettre en oeuvre des politiques climatiques contraires à la volonté de la société et au détriment des conditions de vie", avait déclaré son président Andrzej Duda, défendant bec et ongle l'industrie polonaise du charbon.
Même interprétation pour Donald Trump qui a suggéré de "mettre fin" à l'accord de Paris "ridicule et extrêmement cher". Face à ces réactions, la France est venue expliquer à Katowice que le mouvement n'était pas seulement lié à la transition écologique, pour éviter qu'il ne soit utilisé par certains pour "freiner" les ambitions climatiques.
Une situation bien comprise dans les couloirs de la COP24, où dominent plutôt les interrogations sur la méthode: l'impact sur les populations de la "nécessaire" transition écologique serait-il resté trop longtemps dans l'angle mort des défenseurs du climat ? Malheureusement oui, répondent les intéressés.
"Ceux d'entre nous qui ont plaidé pour les politiques de lutte contre le changement climatique n'ont pas du tout été assez attentifs aux impacts à court terme, potentiellement importants", reconnaît ainsi Andrew Steer, expert du World Resources Institute. "Nous devons retenir la leçon".
La situation française a le mérite de "renforcer les points de vigilance" sur les moyens de réaliser la transition écologique "de façon plus équitable", poursuit David Levaï, de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Où va l'argent ?
"C'est compliqué de changer de mode de pensée pour prendre en compte les dimensions d'après-demain et celles d'aujourd'hui" mais "tout le monde se rend bien compte --on l'entend partout-- que la transition sera juste ou ne sera pas", insiste-t-il.
Cette question de la "transition juste", portée depuis des années par les syndicats, était jusqu'ici plutôt réservée à l'accompagnement des travailleurs des secteurs directement ciblés par la transition, en particulier les énergies fossiles. La Pologne a présenté la semaine dernière une déclaration en ce sens, vue par certains comme une excuse pour freiner la sortie du charbon.
Mais sous l'impulsion de la crise des "gilets jaunes", un concept beaucoup plus large a émergé. "La transformation est perturbatrice. Donc si vous voulez faire cette transformation, il faut que les gens vous suivent", commente Camilla Born, du think tank E3G, notant une "anxiété sociale" à prendre en compte. Et les manifestations françaises, selon elle, illustrent la façon dont "vous pouvez mal vous y prendre".
Concertation, choix de mesures adaptées au pays, explication, transparence... "La transition écologique est indispensable" mais pour qu'elle soit acceptée, "il faut tout une série de conditions", plaide également l'ex-Premier ministre français Laurent Fabius, l'un des artisans de l'accord de Paris en 2015.
"Il faut que les moyens choisis permettent réellement pour les plus pauvres de faire face à leurs difficultés" et "les gens doivent savoir où va leur argent", insiste-t-il, alors que la taxe carbone française n'était que partiellement dirigée vers la transition écologique.
"La force des +gilets jaunes+ est de nous rappeler que la transition c'est quelque chose de très concret, qui ne se discute pas dans des arènes comme ici, mais se passe sur des rond-points et des parkings de supermarché", note de son côté Nicolas Haeringer de l'ONG 350.org, reconnaissant que le mouvement climat a parfois "oublié" cet aspect des choses en particulier dans les pays riches pas encore vraiment frappés par les catastrophes climatiques.