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Le Liban a perdu vendredi près du quart de son approvisionnement en électricité après la décision d'une entreprise turque de cesser de produire du courant pour ce pays au bord de l'effondrement économique et où le quotidien est rythmé par des coupures draconiennes.
Deux navires-centrale stationnés au large du Liban ont arrêté leur production en raison d'un retard de paiement et d'un différend juridique avec les autorités, a indiqué la société Karpowership dans un communiqué.
Ces deux centrales situées au large des villes de Zouk Mosbeh et de Jiyeh (respectivement au nord et au sud de Beyrouth) opèrent au Liban depuis 2013, fournissant jusqu'à 25% de son électricité, selon l'entreprise turque.
La décision de l'arrêt de leur production intervient alors que le ministre démissionnaire de l'Énergie, Raymond Ghajar, met en garde depuis plusieurs mois contre un "black-out" total dans le pays, plongé dans sa pire crise économique depuis la guerre civile (1975-1990).
"Nous regrettons profondément la fermeture" des centrales flottantes, a affirmé Karpowership. "Durant 18 mois, nous avons été excessivement flexibles avec l'État, continuant de fournir de l'électricité sans paiement ni échéancier parce que le pays traversait déjà une période difficile." "Toutefois, aucune entreprise ne peut fonctionner dans un environnement présentant de tels risques", a-t-elle poursuivi.
Différend judiciaire
Une source au sein de l'entreprise a indiqué à l'AFP que les deux centrales n'étaient plus fonctionnelles depuis 05h00 GMT vendredi. Selon elle, l'État libanais doit plus de 100 millions de dollars (82,5 millions d'euros) à Karpowership.
De son côté, la justice libanaise a menacé de saisir les deux navires. Un procureur libanais a interdit début mai aux centrales de quitter les eaux du Liban en raison du versement présumé de commissions occultes. Une accusation pouvant entraîner une pénalité de 25 millions de dollars pour l'entreprise, avait alors indiqué une source judiciaire libanaise. Karpowership a rejeté ces allégations, les estimant "sans fondement et manquant de crédibilité".
Vendredi, l'établissement public Electricité du Liban (EDL) a confirmé dans un communiqué l'arrêt de l'alimentation via les navires-centrale turcs, "ayant entraîné une diminution des capacités de production d'environ 240 mégawatts". Habitué aux coupures quotidiennes d'électricité, le Liban a versé plus de 40 milliards de dollars de subventions à l'EDL, chroniquement déficitaire et symbole de la mauvaise gouvernance et de la corruption de l'État.
Faute de production suffisante, le courant n'est pas assuré 24h/24 au Liban, poussant les habitants à recourir à des générateurs privés pendant les pannes - qui peuvent avoir lieu plus de 12 heures par jour - tandis que les grands axes routiers et les ruelles sont souvent plongés dans le noir.
La communauté internationale réclame depuis longtemps une refonte complète du secteur. Le pays importe ses besoins énergétiques au compte-gouttes depuis le début de l'année à la suite du non renouvellement du contrat avec son principal fournisseur, une filiale de la société publique algérienne Sonatrach, en raison d'une affaire de carburant défectueux.
Le Parlement a approuvé fin mars une avance de 200 millions de dollars à l'EDL pour l'achat de carburant mais les montants n'ont toujours pas été débloqués.
Fermeture des centrales
M. Ghajar a déjà averti qu'en l'absence du paiement des 200 millions de dollars, les centrales électriques cesseraient de fonctionner d'ici le 22 juin. "Si le ministère, et par conséquent l'EDL, n'ont pas d'argent pour l'achat de carburant, ils fermeront toutes les centrales électriques" du pays, a précisé à l'AFP Marc Ayoub, chercheur en énergie à l'Université américaine de Beyrouth. Selon le calendrier du ministre sortant de l'Énergie, l'une des centrales s'arrêterait dès mardi 18 mai.
Le pays souffre par ailleurs d'autres infrastructures défaillantes, ayant catalysé à l'automne 2019, parmi d'autres facteurs, un soulèvement populaire inédit contre une classe dirigeante accusée de laisser le pays couler. La situation a empiré depuis fin 2019, avec un effondrement économique sans précédent dont les conséquences sont de plus en plus tangibles.
Sur fond d'interminables tractations entre les partis au pouvoir, le pays est sans gouvernement depuis plus de neuf mois, ce dernier ayant démissionné après la gigantesque explosion meurtrière au port de Beyrouth en août 2020.