Un sommet à Bruxelles marque le retour en grâce du nucléaire dans l'UE

  • AFP
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Un sommet international du nucléaire jeudi à Bruxelles consacre le retour en grâce de l'atome dans l'Union européenne, où il bénéficie désormais de législations plus accommodantes en tant que levier de décarbonation aux côtés des renouvelables, sous l'influence décisive de la France.

Le sujet nucléaire a longtemps été tabou à Bruxelles, victime de l'hostilité de l'Allemagne qui avait tourné le dos à l'atome après l'accident de Fukushima. Mais il s'impose à nouveau depuis deux ans dans l'agenda européen. "On voit une prise de conscience croissante de son caractère indispensable pour affronter certains défis mondiaux urgents" comme le réchauffement climatique, constate Rafael Grossi, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), vantant une électricité "propre et fiable".

Le premier sommet organisé par son institution pour promouvoir l'atome réunit dans la capitale belge une cinquantaine de pays, dont la Chine et les États-Unis, et 25 dirigeants, dont le président français Emmanuel Macron qui a œuvré à ce retour en force. "Pendant quatre ans, on a semé des graines, ça a germé, on commence à récolter", commente l'eurodéputé Christophe Grudler, du groupe Renew (centristes et libéraux).

Le virage remonte à fin 2021 : sous pression, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, reconnaît que l'UE a "besoin" du nucléaire "comme source d'énergie stable", avant que l'exécutif européen ne le classe dans sa liste ("taxonomie") des investissements durables. Le nucléaire, qui permet de s'affranchir du gaz russe, profite aussi de la rupture avec Moscou après l'invasion de l'Ukraine en février 2022.

Début 2023, la mobilisation française devient plus visible avec le lancement d'une "alliance européenne du nucléaire" réunissant une douzaine d'États membres : Bulgarie, Pologne, Finlande, Suède, Pays-Bas, République tchèque... Plusieurs victoires suivent : en juin, Paris décrochait une exemption dans la législation fixant des objectifs d'énergies renouvelables, pour tenir compte de l'hydrogène produit à partir d'électricité nucléaire.

États et eurodéputés s'accordaient mi-décembre sur des aides publiques aux investissements dans les centrales nucléaires existantes, puis mi-février pour inclure toute la filière nucléaire dans une législation accordant des allègements réglementaires aux technologies "zéro émission". Enfin, Bruxelles a inclus l'atome dans ses propositions d'objectif climatique 2040, et lancé début février une "alliance industrielle" pour les futurs petits réacteurs modulaires (SMR).

« Convertir l'élan »

"Ces 18 derniers mois, un certain nombre d'Etats s'expriment plus ouvertement, travaillent ensemble pour avoir un cadre qui leur convient", a observé Massimo Garribba, de la direction générale Énergie à la Commission, lors d'une conférence lundi.

Désormais, pour "l'Alliance du nucléaire", "cet élan doit être converti en un cadre global et favorable", notamment en matière de financements par la Banque européenne d'investissement (BEI), en mettant l'atome à égalité avec les renouvelables "sans aucune forme de discrimination" pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Ce principe de "neutralité technologique" alimente un contentieux entre Bruxelles et Paris : la France n'a pas atteint en 2020 les objectifs européens de renouvelables et refuse de régulariser sa situation. "La France ne va pas s'acquitter de pénalités : ces objectifs d'avoir tant de mâts d'éoliennes ici, tant de panneaux photovoltaïques là, c'est l'Europe dont nous ne voulons plus", s'est insurgé début mars le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, rappelant le bon bilan carbone français grâce au nucléaire.

« Théorique »

Mêmes tensions concernant le plan énergétique préparé par Paris sans fixer d'objectifs de renouvelables : Bruxelles exige des précisions d'ici juin, estimant que la France "devrait relever ses ambitions à au moins 44% de renouvelables" en 2030, contre 20% actuellement.

"On ne peut imaginer mélanger ou substituer les cibles de nucléaire et de renouvelables", s'indignait mi-décembre la ministre espagnole Teresa Ribera, dont le pays anime dans l'UE l'alliance des "Amis des renouvelables" avec l'Autriche, l'Allemagne ou encore le Luxembourg. "Sur le nucléaire, je vois pour l'heure davantage de plans sur papier que d'investissements", ironisait début mars le ministre allemand Sven Giegold, vantant la "compétitivité" et la disponibilité immédiate des renouvelables.

"Le SMR sera prêt à horizon 2035, les réacteurs EPR nouvelle génération vers 2040 : c'est loin, mais c'est maintenant qu'il faut tracer le cadre, les plans de financement" qui s'annoncent colossaux, rétorque Christophe Grudler.

Avec 100 réacteurs en service dans 12 États, le nucléaire a généré 22,9% de la production électrique de l'UE en 2023 (plus d'un tiers de la production bas carbone de l'UE cette année-là). Une soixantaine de nouveaux réacteurs sont programmés ou envisagés, dont un tiers en Pologne.

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