Comment ont évolué émissions de GES et empreinte carbone durant le 1er quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Emmanuel Macron, réélu président ce 24 avril, s’est engagé 8 jours plus tôt lors de son discours à Marseille à engager une « planification écologique », un terme emprunté au programme de Jean-Luc Mélenchon. L'un des objectifs affichés est de multiplier à nouveau par deux le rythme de baisse des émissions du pays(1). Le discours mentionne en effet que ce rythme a déjà doublé au cours du dernier quinquennat(2).

Émissions de gaz à effet de serre et empreinte climat de la France

Le rythme de baisse des émissions a-t-il doublé durant le dernier quinquennat ?

Les données permettant de suivre l’évolution des émissions sont celles de l’inventaire national des gaz à effet de serre. Cet inventaire est réalisé chaque année par le CITEPA pour l’ensemble des gaz à effet de serre. Les données sont transmises annuellement à l’UE puis aux Nations Unies pour le suivi de nos engagements internationaux.

Évolution des émissions de gaz à effet de serre en France

Les données annuelles disponibles couvrent les années 1990 à 2020. Pour 2021, nous avons utilisé les données du baromètre mensuel du CITEPA. La série historique révèle une rupture de tendance en 2005. De 1990 à 2005, les émissions semblent stabilisées sur un plateau horizontal. À partir de 2005, elles s’orientent à la baisse.

Le quinquennat d’Emmanuel Macron ne s’est donc accompagné ni d’une accélération, ni d’un ralentissement de la baisse des émissions.

La meilleure tendance qui peut être calculée (à partir du logiciel standard Excel) sur la période 2005 à 2021 est une tendance linéaire, montrant une diminution des émissions françaises de 8,4 Mt d’équivalent CO2 chaque année (avec un coefficient de corrélation(3) R2=0,94). Les émissions durant les cinq dernières années qui se superposent avec le dernier quinquennat se situent bien dans cette tendance, le rebond des émissions en 2021 remettant juste au-dessus de la droite de tendance après la chute de 2020 provoquée par le COVID.

D’après nos observations, le quinquennat d’Emmanuel Macron ne s’est donc accompagné ni d’une accélération, ni d’un ralentissement de la baisse des émissions. Cependant, la prolongation de la tendance observée ne nous conduirait pas à une baisse de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), le nouvel objectif européen qui nous oblige, mais vers - 40 %. Il sera donc urgent d’accélérer la baisse des émissions durant le prochain quinquennat !

Comment évolue l’empreinte climat du pays ?

L’indicateur des émissions sur le territoire, calculé par le CITEPA, peut sembler moins pertinent que celui de l’empreinte climat(4) intégrant les émissions incorporées dans les importations et retranchant celles des exportations. Beaucoup pensent que l’empreinte carbone continue d’augmenter alors que les émissions sur le territoire reculent. Qu’en penser ?

Le service statistique du ministère de la Transition écologique, le SDES, calcule depuis quelques années l’empreinte climat pour les trois principaux gaz à effet de serre. De 1995 à 2010, on dispose d’une année tous les cinq ans, la série devenant annuelle depuis. Cette statistique a fait l’objet d’une sérieuse révision en 2021 (courbe orange sur le graphique ci-dessous) par rapport à l’estimation initiale de 2020 (courbe en violet) qui avait été utilisée par le Haut conseil pour le climat dans un rapport sur la question(5).

Ces corrections ont été suffisamment importantes pour raconter une nouvelle histoire. En se basant sur l’ancienne série, on pouvait avancer que l’empreinte carbone était encore en hausse en 2018 relativement à 1995. Avec les nouvelles estimations, il apparaît que l’empreinte stagnait sur un plateau avant 2005 pour diminuer ensuite à un rythme comparable à celui des émissions de l’inventaire (voir graphique ci-dessous et en haut de l’article).

Les dernières données disponibles suggèrent donc que la baisse de l’empreinte climat du pays s’est opérée à un rythme voisin de celui des émissions sur le territoire depuis 2005.

Évolution des émissions de GES et de l'empreinte climat par habitant de la France

La robustesse des nouvelles estimations de l’empreinte

On pourrait alors se demander si les nouvelles estimations de l’empreinte sont plus robustes que les anciennes. Le calcul de l’empreinte climatique est en effet complexe car il faut multiplier les hypothèses sur les facteurs d’émission tout au long des chaînes de valeur pour les produits importés et exportés.

Mon opinion est que les nouvelles séries sont nettement plus robustes que les anciennes. Elles sont en effet bien plus en cohérence avec les informations qu’on peut trouver dans les bases de données internationales de référence.

Pour le CO2 (environ les 3/4 de l’empreinte), on dispose de trois bases de données sur l’empreinte : la base de données du Ministère couvre la période 2010 à 2020 et donne une estimation pour les années 1995, 2000 et 2005 ; la base de données du Global Carbon Budget couvre la période 1990 à 2019 ; celle de l’OCDE couvre la période 2005 à 2015. La nouvelle estimation du ministère de la Transition écologique ne converge pas totalement avec celles de l’OCDE et du Global Carbon Budget, mais elle est bien plus compatible avec elles.

Évolution de l'empreinte carbone par habitant

S’aligner sur l’objectif européen de - 55 %

Reste bien entendu l’essentiel : la baisse de l’empreinte climat du pays n’est pas du tout suffisante pour nous mettre en cohérence avec les trajectoires visant la neutralité climatique vers le milieu du siècle. Pour ce faire, l’Union européenne doit viser une réduction de - 55 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 alors que notre politique climatique est encore calé sur l’objectif antérieur de - 40%.

Franchir la marche d’escalier doit être la priorité du prochain quinquennat. Cela implique non seulement d’accélérer la transition énergétique, mais aussi d’engager la transition agroécologique, grande oubliée du discours de Marseille comme du programme du candidat Macron. L'agriculture compte pourtant pour un cinquième des émissions de gaz à effet de serre du pays, et une révolution agricole est nécessaire pour produire mieux, tout en contribuant au stockage du carbone dans les plantes et les sols. Sans ce volet agroécologique, on ne voit pas comment les - 55 % seront atteignables en 2030 et encore moins comment le pays pourrait prétendre à la neutralité climat d'ici à 2050.

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Commentaire

jean-jacques Attia
Une critique sur les graphiques : que l'origine des temps ne soit pas l'an zéro ne pose pas de problème ; pour les origines des grandeurs sur les axes verticaux, c'est beaucoup plus gênant, même si on peut concevoir ce décalage pour des raisons de place dans l'article. Ces origines peuvent donner l'illusion d'une production de gaz à effet de serre qui se rapproche de zéro, ce qui n'est bien sûr pas le cas et est contreproductif au vu de l'esprit du texte...
Hervé
Excellente remarque!. Et ça semble amplifier l'ampleur des "résultats" obtenus, fussent -il qu'ils correspondent à une réalité et non à de la manipulation de chiffres...
Treiner Jacques
Deux remarques : 1. Les "nouvelles estimations" de l'empreinte/hab sont si différentes des anciennes (une croissance devient une décroissance) que l'on aimerait en avoir une explication plus substantielle que l'opinion de l'auteur sur la "robustesse" des nouvelles. A quoi peut-on attribuer ces différences ? Efficacité énergétique ? Autre chose ? 2. Ce qui compte, du point de vue climat, ce n'est pas l'empreinte par habitant, mais l'empreinte totale du pays. Qu'en est-il ?
Treiner Jacques
A l'échelle globale, émissions et empreinte se confondent. Or on constate que les émissions de CO2 ne diminuent pas (excepté effet Covid), même si leur croissance est moins forte que dans les années 2000-2010, et les émissions de méthane tendent à s'accélérer. Donc les émissions de GES, en CO2eq, augmentent. Les "nouvelles estimations" affectent-elles ces tendances ?

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