Professeur de géopolitique de l'énergie à l’Université libre de Bruxelles
Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels
La COP25 vient de se terminer avec, comme chaque année, une avancée minime dans la bureaucratie que créé les Nations unies. Dans le même temps, l’Union européenne affirme son intention d’atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire de vivre dans un équilibre entre les émissions de carbone et l'absorption desdites émissions par des puits de carbone. De l’aveu même du Parlement européen(1), aucun puits de carbone artificiel n'est toutefois en mesure d'éliminer à ce jour le carbone de l'atmosphère à l'échelle nécessaire...
Ce qui est annoncé au niveau européen – sans l’accord de la Pologne qui défend son charbon – est donc en pratique un abandon des énergies fossiles. Notons ici que les hommes politiques ne s’embarrassent pas de la nuance entre neutralité carbone et décarbonation (ne plus émettre de CO2).
Rappels sur le succès diplomatique de la COP21
En 1992, lors du Sommet de Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro, les Nations unies adoptent la Convention-cadre sur les changements climatiques. Cette convention prévoit qu’il faut à la fois réduire les émissions de gaz à effet de serre et se préparer à s’adapter aux changements climatiques. Elle lance aussi le processus des COP (Conference of the Parties). Après l’échec du Protocole de Kyoto lié à celui de la COP15 de Copenhague, il a fallu « sauver le soldat COP »…
La COP21, qui s'est tenue à Paris fin 2015, a été d'évidence une réussite d’un point de vue diplomatique, contrairement à la conférence de Copenhague : 194 États ont été traités d'égal à égal et le travail diplomatique a permis de faire « vibrer à l'unisson » tous les dirigeants du monde. Le rôle tout à fait déterminant du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est à souligner : le Président François Hollande, ayant compris que la négociation était plus une question diplomatique qu'environnementale, avait ainsi préféré demander à son ministre des relations extérieures de conduire la négociation plutôt qu’à sa ministre du Développement durable, Ségolène Royal.
Les médias ont tous relayé ces efforts diplomatiques. Le Pape François a apporté sa contribution avec son encyclique Laudate Si, plaidoyer appuyé en faveur de la lutte contre le changement climatique. L’implication de « vedettes » comme Leonardo Di Caprio a contribué à médiatiser cette grande messe internationale. Car il s’agissait avant tout d’un exercice de communication. Avec lyrisme, la COP21 a été considérée comme l'équivalent de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ; l’histoire jugera ! Le résultat a été salué par tous et François Hollande pouvait déclarer sur Twitter « il est rare dans une vie d'avoir l'occasion de changer le monde […] pour que vive la planète ». L'euphorie et même l'émotion de Laurent Fabius à la fin de la conférence est une démonstration qu'il savait que l'échec était une option : les 150 chefs de gouvernement qui avaient ouvert la COP21 étaient d’ailleurs vite repartis tellement le risque d’échec était réel.
Mais le prix à payer pour éviter l'échec fut élevé. L'Accord de Paris est un catalogue de bonnes intentions, sans aucune contrainte légale, de sorte que tout porte à croire que sa mise en œuvre ne produira aucun résultat. C’est un accord vide.
La vacuité de l’Accord de Paris
Certains osent dire que l’accord est contraignant puisqu’il contient 141 « doit » et 41 « devrait ». Toutefois, l'analyse qualitative est plus importante que celle quantitative pour déterminer s’il est contraignant ou pas. La plupart des termes « doit » font référence aux obligations administratives des États-Parties (présentation de rapports, fonctionnement des organes subsidiaires, actions procédurales, etc.). Inversement, les « devraient » se réfèrent à la substance de l'accord. Tout ce qui est important est au conditionnel !
De plus, il n'existe pas de juridiction supranationale capable de condamner une Partie qui n'exécute pas ses obligations, et il n'y aura pas, pour l'instant, de tribunal de ce type. Au cours de la préparation de la COP21, certains ont évoqué la création d’un « Tribunal international de justice climatique », une juridiction spéciale pour le changement climatique. Cette proposition a été supprimée par John Kerry, Secrétaire d'État américain de l’Administration Obama, qui avait averti quelques semaines avant la conférence que les négociations ne pouvaient pas aboutir à un « traité » exigeant légalement que les pays réduisent leurs émissions de CO2. Les États-Unis ont ainsi demandé « un nouveau récit » (a new narrative) qui plairait aux ONG environnementales et aux décideurs politiques, mais sans mettre en péril l'économie mondiale.
Il en résulte qu’aucune des Parties à l'Accord de Paris n'est tenue de respecter un objectif de réduction de ses émissions. À la fin de la COP21, le négociateur belge, Jean-Pascal Van Yppersel, répondit avec conviction à un journaliste qui le lui faisait remarquer que l’on pourrait montrer du doigt ceux qui ne réduisent pas (« name and shame ») !
On soulignera, à l’adresse des pays africains, que l'article 4.1 de l'Accord de Paris dit que les Parties « cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais – étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement – et à opérer des réductions rapidement par la suite ». Mais il convient d’insister sur le fait qu'il n'y a pas de mention de réduction absolue des émissions, car cela est tout simplement impossible si les pays qui émettent peu de CO2 veulent sortir de la pauvreté. Comme je le rappelle dans mon dernier livre L’urgence d’électrifier l’Afrique(2), près de 35% de la population d’Afrique subsaharienne seulement est connectée au réseau électrique. Tout le mérite du président de la COP21 a été précisément de demander des engagements qui ne sont pas des contraintes, ni des freins à la croissance économique et donc énergétique.
Enfin, il faut souligner le rôle discret, mais très efficace, du monde financier qui avait intérêt à faire réussir cette conférence avec, dans le cadre du Fonds vert, de l'argent qui devrait transiter forcément par le système bancaire international. Une des principales décisions de la COP21 a en effet été de confirmer la nécessité de créer ce Fonds vert pour aider les pays pauvres : l’Accord de Paris « demande fermement aux pays développés parties d’amplifier leur aide financière, en suivant une feuille de route concrète afin d’atteindre l’objectif consistant à dégager ensemble 100 milliards de dollars des États-Unis par an d’ici à 2020 pour l’atténuation et l’adaptation tout en augmentant sensiblement le financement de l’adaptation par rapport aux niveaux actuels et de continuer à fournir un appui approprié en matière de technologies et de renforcement des capacités ». En principe, le Fonds vert devrait être géré à la fois par les donateurs et les bénéficiaires mais les modalités de sa création restent encore à déterminer : s'agira-t-il de dons, de prêts et auquel cas avec ou sans intérêt, de fonds publics ou privés et dans quelle proportion ? Tout reste encore à décider. De plus, malgré les grandes conférences internationales des donateurs, dont le One Planet Summit en décembre 2017, l’argent n’afflue pas et n’affluera pas. L’échec est patent puisque nous sommes déjà fin 2019.
L’UE isolée
Qu’ont promis les principales Parties de réaliser ? L’UE s’était engagée à réduire ses émissions de CO2 de 40% en 2030 par rapport à 1990. Pour obtenir le soutien d’Emmanuel Macron afin d’obtenir le poste de présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a promis de passer à 50-55% de réduction. Le 11 décembre 2019 la Commission européenne a présenté sa nouvelle stratégie appelée Green Deal, ou Pacte vert(3), afin d’atteindre cet objectif, mais aussi la neutralité carbone à l'horizon 2050. La communication de la présidente de la Commission s’articule sur le fait que ne rien faire coûtera encore plus cher.
Le 13 décembre 2019, le Conseil européen a « pris note » du plan de la Commission et indiqué être « conscient » qu’il va falloir trouver de nouvelles sources de financements. Il reconnait aussi le droit des États membres à décider de leurs bouquets énergétiques comme le prévoit l’article 194.2 du Traité de Lisbonne, ce qui signifie entre autres que la Pologne, la Grèce et la République tchèque ont un droit inaliénable de continuer à utiliser leur charbon. Observons que le Conseil a rappelé que « certains États Membres » continueront de recourir à l’énergie nucléaire. Le reste des conclusions ne sont que des généralités.
Le 28 novembre, le Parlement européen avait précédemment voté une résolution décrétant l’urgence climatique. Les médias ont bien rapporté que 429 députés avaient adopté cette résolution mais ils se sont gardés de dire que 225 avaient voté contre. Jerzy Buzek, ancien président de la Pologne et du Parlement européen, s’est quant à lui abstenu avec 18 autres parlementaires…
Mais que font les autres ? La Chine espère ne plus augmenter ses émissions « vers » 2030 et l’Inde ne donne qu’un indicateur d’amélioration de son intensité carbone par rapport à son PIB mais aucun objectif de réduction des émissions. De plus, l’UE prend comme référence l’année 1990 mais de nombreux pays prennent comme repère pour calculer leurs réductions éventuelles d’émissions une année plus proche. Par exemple, le Japon a choisi 2013, année où ses émissions étaient maximales à cause du remplacement de l’électricité d’origine nucléaire par celle générée par du charbon ou du gaz naturel ; il en résulte que l’objectif pour le Japon à l'horizon 2030 est de 30 points inférieur à celui de l’UE.
Lorsque les États-Unis ont formalisé leur décision de sortir de l’Accord de Paris, on a de nouveau entendu jaser sur l’importance de cet accord. Le président Emmanuel Macron a souligné son « irréversibilité » et tente de faire croire que la Chine va aider l’UE dans la lutte contre le changement climatique : ce pays dont les émissions de CO2 comptent pour 27,6% des émissions mondiales et qui croissent au rythme de 3,2% par an depuis dix ans, est bien cynique en faisant croire qu’il a le même objectif que les Européens…
Au niveau européen, les propositions en matière d’énergie sont les mêmes depuis des décennies. La feuille de route du Green Deal européen prévoit essentiellement des révisions des législations déjà en place depuis une dizaine d’années pour certaines et une vingtaine d'années pour d’autres. In fine, il ne s’agit « plus que » de dépenser de l’argent. Un exemple concret est la volonté de multiplier par deux le nombre de rénovations énergétiques des bâtiments, ce qui est tout à fait souhaitable – et aurait dû être fait depuis les crises pétrolières des années 1970 – mais qui va payer ? Une mesure phare devrait être de remplacer de manière plus déterminée le transport automobile par le transport ferroviaire, une mesure déjà proposée dans le livre blanc sur le transport en 2001 et de nouveau en 2006 par le Commissaire Jacques Barrot.
Depuis l’adoption de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques, les émissions annuelles de gaz à effet de serre dans le monde ont augmenté de 58%. Aucun PDG d’entreprise présentant des résultats aussi ridicules ne resterait une seconde en place, mais dans le monde de la politique, on peut continuer à parler pendant 25 ans tout en ayant des résultats inverses à ceux recherchés. À l’exception d’une petite poignée de pays de l’OCDE, l’Accord de Paris n’intéresse pas les autres dirigeants du monde.
Rien de concret n’est sorti de la COP25. Le Secrétaire général des Nations unies avait ouvert l’événement avec un discours copier-coller des COP précédentes (et pourra relire le même discours à la COP26 en 2021) – « il est urgent d’agir et les politiques doivent faire plus » – sans se rendre compte de la perte de crédibilité de ces discours au fil des années puisque les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter…
Sources / Notes
- What is carbon neutrality and how can it be achieved by 2050 ?
- L’urgence d’électrifier l’Afrique, L'Harmattan.
- Le pacte vert pour l'Europe définit la marche à suivre pour faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050, tout en stimulant l'économie, en améliorant la santé et la qualité de vie des citoyens, en préservant la nature et en ne laissant personne de côté, Commission européenne, 11 décembre 2019.
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