La transition agroécologique peut-elle vraiment justifier le soutien politique à la méthanisation ?

Renaud Metereau

Socio-Économie Écologique, Université Paris Cité

Le projet en date de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) formule, comme les précédentes, pour la méthanisation un double objectif : promouvoir de concert la transition énergétique et la transition agroécologique.

Pour l’heure, ces promesses servent à justifier une dépense publique d’un milliard d’euros par an pour le rachat du biométhane produit. Sans elle, la filière ne se développerait pas de la même manière, ni quantitativement, ni qualitativement. Les objectifs de production énergétique du projet de PPE sont à la fois très ambitieux (multipliés par quatre entre 2023 et 2030, jusqu’à sept d’ici 2035, selon les scénarios), et annoncés compatibles avec l’agroécologie – voire comme un levier en faveur de son développement.

L’argument d’une convergence entre méthanisation et agroécologie est notamment fondé sur la réduction attendue des pertes d’azote permise par sa meilleure maîtrise et le développement de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) s’intercalant entre deux cultures d’hiver (on parle de « Cive d’été », typiquement du maïs) ou juste avant une culture d’été (Cive couvrant le sol en hiver, typiquement un seigle récolté en vert).

Cette allégation agroécologique d’ensemble a pourtant de quoi surprendre, car le développement de la biométhanisation a tous les attributs d’une agriculture industrielle. Face à ces visions contradictoires, nous nous proposons d’évaluer la manière dont cette promesse est remplie. Nous continuons une discussion déjà engagée ici, en adoptant une perspective agroécologique plus large.

L’agroécologie, un changement systémique

Revenons d’abord sur le terme « agroécologie », largement repris et transformé dans différents espaces politiques.

Face aux multiples réappropriations, rappelons qu’elle désigne à la fois :

- un ensemble de pratiques productives liées entre elles et non un catalogue de pratiques dans lequel on pourrait piocher isolément ;

- un mouvement social à l’avant-garde de la transformation socioécologique des systèmes agroalimentaires ;

- une science transdisciplinaire.

Cette notion a donc une histoire fondée sur des développements scientifiques. Depuis les années 1980, ces derniers insistent sur son caractère systémique. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir une agriculture plus vertueuse selon un critère donné, par exemple, la seule réalisation d’économies en énergie ou fertilisants.

L’enjeu est de penser l’agroécosystème comme un ensemble intégré, en s’appuyant sur l’analyse et la compréhension de ses propriétés et de ses fonctionnalités pour concevoir des systèmes productifs réellement soutenables des points de vue écologique et social.

Dans les discours qui promeuvent la méthanisation, trois grands éléments sont présentés comme des leviers de transition agroécologique :

- les économies en fertilisants azotés achetés qui sont permises par l’usage de digestats, coproduits du processus de méthanisation riches en azote ;

- la diversification des cultures via l’introduction de Cive ;

- l’autonomie renforcée des agriculteur pratiquant la méthanisation, sans que cette autonomie soit précisée, nous y reviendrons.

Ces trois points relèvent en effet d’une démarche agroécologique dans leur acception générique. Ils font toutefois ici l’objet d’une requalification qui en altère fondamentalement la signification.

Des économies d’azote en trompe-l’œil

Commençons par les économies d’engrais azotés souvent mises en avant, procédant de l’épandage des digestats. Il faut d’abord considérer que la méthanisation agricole ne crée pas d’azote ex nihilo. Dans les digestats, celui-ci provient très majoritairement en amont des engrais de synthèse, des déjections animales et, marginalement, des légumineuses.

Ces « économies » d’engrais azotés pour fertiliser les cultures en aval du processus de méthanisation relèvent donc d’un transfert d’azote entre une exploitation tierce et l’unité de méthanisation, via la biomasse contenant de l’azote « incorporé ».

Lorsque la source d’azote du digestat est d’origine végétale, cela veut dire qu’on a introduit sur le territoire des cultures spécifiques (les Cive), ce qui signifie une intensification de la production de biomasse puisqu’on produit deux fois plus sur la même surface. Dans ce cas, ce qui est économisé en aval sur le plan économique provient en fait d’une intensification de la production agricole en amont.

Enfin, lorsque la méthanisation est fondée sur la valorisation des déjections animales, la logique est en principe plus propice à une circularité des flux. Pour autant, les contraintes de collecte et de stockage à une échelle suffisante pour alimenter une unité de méthanisation ne sont majoritairement pas compatibles avec des modalités d’élevage agroécologique.

Une diversification sans intérêt écologique

Par ailleurs, la diversification promise via l’introduction des Cive concerne des cultures à rotation courte (seigle, avoine, méteil, maïs).

Pour autant, ces cultures – souvent du maïs – n’ont pas nécessairement d’intérêt écologique fort en elles-mêmes. C’est d’autant moins si elles sont irriguées et fertilisées, comme c’est souvent le cas.

Le risque est que les objectifs de production énergétique affichés ne conduisent à la multiplication et à l’agrandissement des unités de méthanisation, qui vont en retour augmenter la demande de Cive.

Sur ce point, la requalification consiste à passer d’un principe agroécologique de maximisation de la biodiversité et de préservation des services rendus par les écosystèmes, à une simple diversification des cultures intensives.

Une autonomie illusoire

Quant à l’autonomie telle qu’elle est entendue ici, elle découle du complément de revenu par l’agrométhaniseur (voire d’un glissement vers un revenu principal tiré pour les « énergiculteurs ») permis par des tarifs de rachat globalement avantageux. Le raisonnement étant qu’un agrométhaniseur doté d’un revenu plus élevé peut plus facilement mettre en œuvre des pratiques agroécologiques que s’il a le couteau sous la gorge.

Mais le revenu issu de la méthanisation n’induit pas en lui-même l’adoption de systèmes agroécologiques et cet objectif pourrait être mieux atteint par un meilleur ciblage des aides. Le milliard d’euros par an pour le tarif de rachat est à comparer à environ 170 millions d’euros annuels pour l’ensemble des mesures agri-environnementales de la PAC, notoirement sous-dotées.

« L’autonomie » financière tirée de la méthanisation a tout autant de chances de pousser à une maximisation de la production énergétique sous forte contrainte technico-économique pour rembourser les investissements : davantage de maïs irrigué, de déjections concentrées dans des bâtiments. Au risque de renforcer la pression sur les agroécosystèmes et produire des effets opposés à l’autonomie technique et décisionnelle qui est celle de l’agroécologie.

Finalement, l’agrométhaniseur se retrouve dépendant, tout comme l’agriculteur conventionnel, de prestataires techniques et financiers. Son approvisionnement en biomasse devient crucial et induit une pression sur l’ensemble des filières territoriales, qui deviendra critique en cas de rareté les mauvaises années.

De nombreux angles morts

La promesse agroécologique de la méthanisation reste toutefois muette sur des points pourtant cruciaux : les paysages, la biodiversité, la sobriété absolue en intrants ; c’est-à-dire, le fait de ne plus dépendre d’intrants azotés de synthèse, à ne pas confondre avec une optimisation de leur usage.

Sur un registre plus sociopolitique, l’autonomie paysanne et décisionnelle des agriculteurs et plus largement, la transformation industrielle des modes de développement auxquels la méthanisation participe, ne sont pas prises en compte.

Pourtant : pas d’agroécologie sans écologie du paysage, sans substitution des intrants de synthèse par des solutions fondées sur la nature, sans végétation semi-naturelle et des animaux extensifs jouant un rôle écologique, sans autonomie financière et technologique des paysans, sans remise en cause des rapports socioécologiques de production.

Ce qui est absent de la politique actuelle de développement de la méthanisation est fondamentalement l’approche holistique qui caractérise pleinement l’agroécologie. Cette dernière ne peut se résumer à un catalogue de pratiques mises en avant, mais à une démarche globale articulant l’autonomie décisionnelle à une autonomie technique fondée sur une sobriété matérielle d’ensemble et un respect des cycles biologiques et biogéochimiques à l’échelle territoriale.

Une nécessaire réorientation politique

Est-ce à dire que la méthanisation est incompatible avec l’agroécologie ? En principe, non, et des exemples dans des pays en développement montrent qu’à petite échelle, elle peut pleinement contribuer à un projet agroécologique, lorsqu’elle valorise une fraction réduite de déchets au service d’une véritable autonomie paysanne low-tech.

Mais le passage à l’échelle, tel qu’envisagé en France et porté par le cadre politique d’ensemble, contredit les fondamentaux de l’agroécologie. Ce n’est pas une question de bonnes ou mauvaises pratiques. C'est une question politique de développement d’une filière à grande échelle, qui induit des rapports de production auxquels l’agroécologie, telle qu’elle se déploie historiquement dans les mouvements paysans à travers le monde, veut précisément proposer des alternatives.

S’il doit y avoir une rencontre entre la méthanisation et l’agroécologie, c’est via des projets opportunistes, économes, à petite échelle, qui prennent en compte le fonctionnement de l’ensemble des agroécosystèmes, n’induisant aucune production supplémentaire dédiée et au service d’usages locaux. Faire l’impasse sur la biodiversité, les paysages et la sobriété, c’est hypothéquer l’avenir. Viser beaucoup trop grand, c’est risquer la faillite d’ensemble de l’ensemble de l’agriculture. Continuer la politique du chiffre agrégeant les TWh, c’est sélectionner davantage des exploitations déterritorialisées, qui ne répondent pas aux enjeux socioécologiques auxquels nous devons faire face.

Et à ceux qui considèrent qu’il faudrait alors peut-être sacrifier l’agroécologie à la souveraineté énergétique, nous répondrons qu’il faut commencer par le commencement : la sobriété énergétique, trop souvent marginalisée par les discours de politique de l’offre. La biomasse industrielle est sans doute une chimère à laquelle il est dangereux de s’accrocher, fût-elle autoproclamée « durable ».

Sources / Notes

Xavier Poux, agronome et consultant pour le cabinet d'études, de conseils et de recherche dans le domaine des politiques environnementales AScA, expert pour l'IDDRI, a co-écrit cet articleThe Conversation.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Commentaire

CSNM
Bonjour, Aucun commentaire des auteurs sur: - les mauvais PRG utilisés par les agences d'état pour favoriser le développement de la filière ? - l'accroissement de l'accidentologie (x 6 au moins depuis 2015) montrant que la filière opère de plus en plus négligemment ? - des subventions intolérables au regard de l'énergie délivrée ? - l'appauvrissement des sols et la concurrence à la surface ? - les émissions GES de la filière bien pires que celles du gaz naturel, fait démontré ? ... Le CSNM
Silicate
le méthane, est fatal; il est 4 à 10 fois plus nocif que le CO2 pour amplifier le rayonnement solaire; soit on le récupère pour le bruler et en faire du CO2 moins dangereux; savoir choisir la moins mauvaise des solutions est un vrai choix
Brigitte Bertin
Les subventions indécentes concernent toutes les EnR, qui profitent largement a des acteurs étrangers. Par exemple, un danois, un allemand ou un espagnol qui installe des éoliennes en France. La biomasse a bien une carte à jouer surtout dans un pays agricole comme la France. Elle est compatible avec l'économie locale et circulaire. Il faut par contre la réserver aux déchets agricoles et de STEP, ce qui permet de réduire les rejets et produire des engrais naturels. Avec les torchères, les fuites de CH4 sont normalement neutralisées et le CO2 sous produit de la méthanisation peut être recyclé pour une utilisation en agriculture ou dans l'industrie. Les avantages sont quand même nombreux, même si tout n'est pas parfait, loin s'en faut. Si on accepte les risques liés au nucléaire, on devrait être capable d'accepter ceux liés au méthane.
Erjuanito
On peut ergoter longtemps sur les bienfaits ou pas de la méthanisation en France. Toujours est-il qu'on n'a pas de gaz, pas de pétrole, pas d'uranium, et qu'on est en train de tuer la filière hydrogène... que reste t-il au final? Du vent, du soleil, de la biomasse, nos champs... Faisons avec nos ressources d'abord non?
APO
On a beaucoup d'U238 non ? Et on a arrêté la filière surgénération, c'est bien ou pas !?
Albatros
Sur les subventions, on peut très facilement transposer les propos dénigrants de l'IDDRI envers la méthanisation à la situtation archi-subventionnée de l'éolien et du solaire, que l'IDDRI adore comme solution absolue à l'autonomie et au paradis décarboné que cette institution publique inutile -également subventionnée pour se balader de COP en COP- inutile supporte à grand coup d'argent public.
Freudon Saké
Encore un diplôme qui nous coûte cher pour promouvoir son idéologie déconstructiviste et servir les électriciphonistes nucléopathes, le pire étant que le gars prétend défendre l'écologie...

Le méthane est 28 fois plus actif dans le réchauffement que le co2, il faut de dire que tout le substrat vient des phytos, les stations d'épuration pourraient en produire, avec de la chaleur en sus, plutôt que de chauffer les villes au nucléaire.

il n'y a pas besoin de subventions pour le biogaz, mais il faut imposer une taille minimum des installations et une sélection des déchets pour pour réduire les coûts.

Rendre obligatoire l'incorporation de la totalité de la production de biogaz, dans un gaz carburant composé de gaz de houille et de charbon gazéifié, ce qui permet la production d'hydrogène pour obtenir un E-fuel à partir du co2 des fumées d'usines.

Interdire les diesels neufs et rendre obligatoire une motorisation Flex Fuel bicarburation au gaz pour tous les quatre cylindres, plus une hybridation en 48v pour tous les véhicules, plus le choix de rouler avec des utilitaires électriques aux moteurs sans aimants et avec batteries sodium.

C'est juste de l'économie circulaire rentable à tous points de vue, investissements, emplois, réduction des coûts des transports, compétitivité et baisse de l'inflation !
APO
Lq méthanisation pose déjà des problèmes pour certaines coopératives agricoles avec l'abandon de l'élevage laitier pour faire uniquement du mais pour méthaniseur dans certains lieux ! L'élevage laitier pollue certes via le méthane des ruminants, mais la culture du mais est aussi un désastre avec tous les phytos utilisés... Et en plus cela va couter une fortune !!!

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