L’amélioration des systèmes de cuisson : une priorité sanitaire, sociale, climatique

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), un sommet « de haut niveau » se tient à Paris ce 14 mai pour évaluer les voies de l’accélération de la modernisation des systèmes de cuisson rudimentaires. Ce rendez-vous fait suite à la publication en juillet dernier d’un rapport thématique de l’AIE dans le cadre de sa publication annuelle World Energy Outlook.

Rapport « A Vision for Clean Cooking Access for All » de l''AIE

Ce rapport rappelle que les progrès en matière d’accès à des systèmes de cuisson propres ne sont pas du tout en phase avec les objectifs adoptés lors du sommet des Nations Unies de 2015 sur le développement durable : viser un accès universel à des systèmes améliorés de cuisson en 2030 (objectif 7).

Un problème majeur de santé public

Utilisant du bois ou d’autres matières ligneuses, parfois transformé en charbon de bois, dans la majorité des cas sur des fours « trois pieds » sans système d’évacuation des fumées, les systèmes de cuisson traditionnels sont avant tout l’une des premières sources de pollution locale. Sévissant dans ou à proximité des logements précaires des familles qui préparent ainsi leurs repas, cette pollution touche en premier lieu les femmes et les enfants.

Jusqu’à la fin des années 2000, ces modes de cuisson étaient la première cause de mortalité par pollution de l’air dans le monde, avec plus de 4 millions de décès prématurés par an.

En 2022, l’AIE estime ce nombre de décès à 3,7 millions, deuxième source de mortalité derrière les 4,5 millions de décès provoqués par la dégradation de la qualité de l’air résultant de l’usage des énergies fossiles.

Le coût sanitaire des systèmes de cuisson traditionnels n’est pas le seul. En moyenne, l’AIE estime que, dans les familles tributaires de ces modes de cuisson, il faut consacrer 5 heures par jour pour aller collecter le bois et préparer les repas. Ici encore, une tâche essentiellement dévolue aux femmes et aux enfants.

Diversités des trajectoires dans le monde

Grâce aux progrès rapides réalisés en Asie et en Amérique Latine, le nombre des personnes tributaires de systèmes rudimentaires de cuissons a reculé de 3 à 2,3 milliards de personnes entre 2010 et 2022. Des pays comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie ont plus que divisé par deux le nombre des personnes dépendantes de ces systèmes.

En revanche, le nombre des personnes affectées a continué d’augmenter en Afrique au sud du Sahara où environ 1 milliard de personnes, pratiquement quatre habitants sur cinq, restent tributaires de ces systèmes.

Source : rapport de l’AIE

Quels impacts climatiques ?

L’impact de l’amélioration des système de cuisson sur les émissions est assez complexe à mesurer :

  • les modes de cuissons traditionnels recourant à la biomasse sont plus ou moins émetteurs nettes de CO2 suivant l’origine de la biomasse prélevée dans le milieu naturel. Si cette biomasse est renouvelée, elle s’inscrit dans le cycle court du carbone vivant et est peu émettrice de CO2. Si elle contribue à la dégradation du milieu, elle émet comme la déforestation. Les études estiment qu’en moyenne environ la moitié de ces prélèvements contribuent à la déforestation. Dans tous les cas, il s’y ajoute les émissions de protoxyde d’azote résultant de la combustion imparfaite de ces types de pratique et du black carbone (suies) émis qui contribuent à l’effet de serre ;
     
  • dans les zones rurales dépourvues d’infrastructures énergétiques, l’action la plus fréquente consiste à diffuser des fours améliorés qui réduisent d’un facteur 2 à 4 la quantité de biomasse utilisée (et le temps requis pour la cuisson) sans changer de combustible. Dans ce cas, le gain climatique se recoupe avec le gain d’efficacité et dépend du degré plus ou moins émetteur du système initial ;
     
  • dans les cas de changement de combustibles, les systèmes qui se sont massivement substitués aux modes traditionnels de cuisson utilisent du gaz d’origine fossile ; le biogaz, plus intéressant au plan climatique, ne jouant qu’un rôle d’appoint (voir graphique ci-dessous). En Chine, une partie importante des nouveaux systèmes de cuisson utilisent l’électricité dont le contenu est encore fortement carboné. Suivant le caractère plus ou moins émissif de la biomasse initialement utilisée, on aura un gain climatique plus ou moins élevé, et dans certains cas, il peut apparaître une hausse des émissions.

Source : rapport de l’AIE

L’AIE estime le coût des investissements requis à quelques 8 milliards de dollars par an, ce qui est évidemment incroyablement faible au regard des bénéfices sanitaires et sociaux engendrés.

Quelles perspectives ?

Pour atteindre en 2030 un accès universel à des systèmes de cuisson propres, il faudrait que 300 millions de personnes accèdent à ces systèmes chaque année, dont la moitié en Afrique au sud du Sahara. L’AIE a exploré avec ses méthodes classiques les voies les moins coûteuses pour y parvenir : elles passent par la diffusion des systèmes à base de gaz en bouteille (GPL), les fours améliorés fonctionnant à la biomasse et le GNL là où les infrastructures le permettent.

Avec sa calculette, l’AIE estime le coût des investissements requis à quelques 8 milliards de dollars par an, ce qui est évidemment incroyablement faible au regard des bénéfices sanitaires et sociaux engendrés. On peut alors se poser la question : pourquoi de tels investissements ne sont pas réalisés ? Il me semble que l’approche de l’AIE comporte deux limites :

  • La dépendance des familles vis-à-vis des systèmes rudimentaires de cuisson reflète la précarité de leurs habitats et plus généralement la grande pauvreté. Ce qui a permis à des pays comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie d’accélérer la diffusion de systèmes de cuissons propres, c’est d’abord la réussite de programmes plus globaux de lutte contre ces formes de pauvreté. Les moyens à mettre en œuvre y sont bien plus élevés que les sommes à consacrer aux seuls dispositifs de cuisson ;
     
  • Les modes de cuisson s’inscrivent également dans des traditions culturelles, voire religieuses (les « fours trois pierres »), qui doivent également être prises en compte. Les moyens financiers sont bien sûr indispensables, mais il ne sont pas suffisants. Il faut du temps, de l’échange et la participation des acteurs concernés (en premier lieu les femmes) pour construire des stratégies gagnantes en matière de changement des systèmes de cuisson.

Pour que la rencontre de ce 14 mai porte tous ses fruits, on ne devra pas se contenter de compter les milliards de dollars à mettre sur la table. Il faudra aussi se poser la question des causes plus structurelles qui maintiennent une partie si importante de la population mondiale dans une dépendance à l’égard des systèmes polluants de cuisson.

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Commentaire

Sirius
Le solaire n'est pas cité , pourtant des fours sont faciles à produire et l"énergie ne manque pas .

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