Les STEP, solution sûre et économique pour affronter les périodes froides sans vent

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages

La production intermittente d’électricité augmente significativement en Europe et dans le monde et c’est bien ainsi car cette électricité est renouvelable et sans émission de gaz à effet de serre.

Cette augmentation provoque une modification structurelle du marché de l’électricité de gros, puisque la production est fortuite et sans lien avec la demande. Comme l’équilibre du réseau implique que l’une et l’autre soient exactement égales, l’ajustement doit se faire en permanence à la fois en fonction de la demande d’électricité comme par le passé mais en fonction de l’abondance ou de l’absence de vent et de soleil.

Lorsque l’un et l’autre sont abondants, l’électricité peut avoir un prix négatif car il peut être difficile d’arrêter des champs d’éoliennes pour une période assez brève ou de déconnecter des champs photovoltaïques (PV). À l’inverse lors de périodes hivernales où le soleil est rare et bref, les périodes froides associées à un anticyclone polaire concernent généralement la totalité de l’Europe et son réseau interconnecté.

La théorie du foisonnement qui suppose qu’il y a toujours une zone de production éolienne excédentaire en Europe connectée est en défaut. Ces périodes froides, avec très peu de vent et de soleil décrites par Emmanuel Le Roy Ladurie dans son livre Histoire du climat depuis l’an mil, n’ont pas de raison de diminuer avec l’évolution climatique. Elles surviennent plusieurs fois par an et durent une semaine parfois plus(1). L’enjeu est donc de stocker l’électricité nécessaire notamment pour aider à passer ces périodes de faible production renouvelable. Or la puissance installée en nucléaire d’environ 60 GW est nettement inférieure à la demande hivernale de l’hexagone qui varie entre 80 GW et jusqu’à près de 100 GW (avec un pic à 101,2 GW le 8 février 2012).

Dans le monde d’aujourd’hui, beaucoup d’énergie est stockée sous forme de pétrole, de gaz et de charbon. Dans le monde décarboné que nous préparons, l’électricité devra être stockée. L’hydraulique joue un rôle majeur dans ce domaine. Ce n’est pas de l’électricité sous forme d’électrons qui est stockée, mais de l’eau qui n’attend que l’ouverture des vannes pour entrer en charge dans les turbines et produire quasi instantanément de l’électricité.

Importance des barrages de haute chute et des STEP en France

En France, les barrages de haute chute offrent une puissance de 18 GW et une capacité de stockage annuel de 30 TWh variable selon les années hydrologiques, en fonction des apports de pluie et de neige. Les usines au fil de l’eau du Rhône et du Rhin permettent un stockage de quelques heures et ont une puissance installée de 4,4 GW.

Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) offrent aujourd’hui en France une puissance cumulée de 4,9 GW et une durée de stockage qui est généralement de quelques heures, soit une capacité de stockage d’environ 22 GWh pour chaque vidange totale.

L’énergie stockée est simple à calculer, elle est égale à :

                                                                                     E = k 9,81 V H

où 9,81 est l'accélération de la pesanteur au site de l'usine (en m/s/s), k le rendement global (de l'ordre de 80%), V le volume d’eau mobilisable et H la hauteur de chute entre les deux réservoirs.

À la différence des précédents, les STEP utilisent un réservoir inférieur et un réservoir supérieur. L’eau est alternativement pompée du bas vers le haut et turbinée du haut vers le bas. Le rendement des machines est supérieur à 90% et le rendement total dépend des pertes de charges dans les tunnels de transferts, donc de leur longueur et de leur diamètre. Il est supérieur à 80% alors que les stockages d’hydrogène ont des rendements inférieurs à 25%.

Le tableau ci-dessous indique les STEP sur le territoire national. Comme cela est souligné, la capacité de stockage à pleine puissance est généralement de quelques heures à l’exception des STEP de Grand Maison et de Revin qui dépassent 30 heures.

En Europe, la puissance installée en STEP est de 55 GW(2).

L’objectif de l’Europe pour 2050 est de disposer d’une capacité de stockage de 30 TWh, ce qui suppose une augmentation considérable de la puissance installée et surtout des volumes d’eau mobilisés.

De l’intérêt d’investir dans de nouvelles STEP

Le modèle économique qui avait présidé à la détermination de ces aménagements était associé au développement simultané du parc nucléaire et aux hypothèses adoptées sur la capacité de ce parc à adapter facilement sa production à la demande. La flexibilité et l’opérabilité des centrales nucléaires ont été améliorées et les STEP ont cependant joué un rôle technique et économique croissant pour la stabilisation du réseau électrique.

L’enjeu est de développer des STEP de grandes capacités de stockage pour offrir une solution pour franchir les périodes anticycloniques hivernales sans vent sur une grande partie de l’Europe, lorsque tous les États membres sont acheteurs d’électricité et aucun n’est vendeur.

Le cout d’investissement en fonction des constructions récentes ou en cours est compris entre 1,6 et 1,8 M $/MW pour la puissance installée et 0,21 à 0,26 M $/MWh de stockage.

Les alternatives sont principalement le recours aux turbines à gaz et à l’effacement négocié qui a un coût économique et social important. Le méthane fossile lorsqu’il est utilisé par les turbines à gaz émet des gaz à effet de serre. La biomasse et le biogaz seront réservés à la production de différents types de carburant. L’hydrogène vert aura un rôle à jouer, mais les pays qui ne disposent pas de production nucléaire et qui auront à résoudre à plus grande échelle ce problème de lacune de production éolienne l’hiver seront des acheteurs avides d’électricité.

La question du modèle économique sous-jacent est essentielle. Dans le système présent, c’est l’alternance jour nuit et semaine week-end qui a été structurante et qui justifie les investissements dans les STEP.

Dans le système futur, le marché de gros de l’électricité est de plus en plus volatil, même si la météo est relativement bien anticipée à quelques jours. Le manque d’électricité est difficilement imaginable. L’effacement négocié des acteurs électro-intensifs industriels a un cout économique élevé et a une capacité limité. L’électricité est un bien essentiel économiquement et socialement. La loi du marché est inapte à proposer une solution lorsque la crise survient. Or cette occurrence est certaine.

L’analyse des modèles économiques qui justifient l’investissement dans des STEP de grandes capacités doit être approfondi. Les investisseurs traditionnels n’acceptent pas volontiers le caractère de plus en plus spéculatif et le résultat économique de plus en plus volatil de ces investissements. Le cout de l’utilisation du réseau doit être précisé. Si les prix atteignent des valeurs très hautes, elles ne seront pas gérables par la loi du marché.

L’aversion au risque des investisseurs conduit à renoncer à ces investissements non pour des raisons de disponibilité de projets, mais pour des raisons économiques d’appréciation du risque. En Suisse, plusieurs projets de STEP qui étaient envisagés dans le marché présent de l’électricité ont été stoppés ou retardés en fonction de l’évolution du marché de l’électricité en Allemagne. Il semble que l’achat de capacité de stockage massif d’électricité soit du ressort des États membres ou de l’Europe pour exploiter la solidarité entre les États membres.

La puissance à fournir est d’environ 20 GW à 30 GW durant une centaine d’heures distribuées sur une à deux semaines.

Les capacités de stockage actuellement disponibles en France (et en Europe) sont très inférieures aux besoins à venir. La demande hexagonale d’hiver, en puissance, est d’environ 80 à 90 GW, parfois plus, durant les heures de forte demande et d’environ 60 GW à 70 GW durant la nuit. La puissance installée nucléaire est stable à environ 60 GW. La demande maximale d’électricité a lieu et aura toujours lieu durant les périodes froides d’hiver, avec peu de soleil et peu de vent. La demande nocturne peut être satisfaite par la production nucléaire, la production hydraulique au fil de l’eau et la production éolienne résiduelle

L’enjeu est donc de stocker l’électricité nécessaire pour passer cette période de manque durant la journée d’activité hivernale. La puissance à fournir est d’environ 20 GW à 30 GW durant une centaine d’heures distribuées sur une à deux semaines. On peut supposer que la contribution photovoltaïque peut être de l’ordre de 2 à 5 GW entre 11 et 15 heures, donc participer utilement à la pointe de milieu de journée. Et que la puissance éolienne minimale est de l’ordre de 2 à 3 GW. Elle augmentera un peu avec l’augmentation de la production offshore. L’objectif est de disposer d’une réserve d’énergie électrique de 2 à 6 TWh pour chaque épisode froid avec peu de vent. C’est beaucoup !

Lors des pics hivernaux, seront appelées, en priorité l’énergie produite par le Rhin et le Rhône soit une puissance disponible et l’énergie des lacs de montagne, comme elle l’est déjà aujourd’hui. Nous avons vu que la puissance disponible est de 18 GW. En pratique, elle dépasse rarement 14 GW. La presque totalité est appelée durant de brèves périodes. Le stock d’énergie renouvelée chaque année par la pluie et la neige est limité à 30 TWh pour l’année avec des variations selon les années hydrologiques. Il faut donc l’utiliser avec parcimonie. L’augmentation du volume de certains lacs par surélévation est envisageable.

L’intérêt des STEP est qu’elles peuvent être « rechargées » durant les épisodes venteux entre deux épisodes sans vent. Quand il y a du vent en excès, l’électricité est également en excès et peu coûteuse, voir offerte. C’est le moment de pomper l’eau des réservoirs inférieurs vers les réservoirs supérieurs, parfois avec des prix négatifs. Or, la solution des STEP est une solution économe en investissement ramené au MWh stocké.

La STEP de Grand Maison aurait pu stocker 0,15 TWh si la retenue inférieure du Verney avait été plus grande, ce qui ne posait pas de problème insurmontable. C’est un ouvrage bien perçu dans la région. Le tour de France y passe régulièrement. Des équipes de spécialistes de toutes les disciplines font des recherches en ce sens.

D’autres innovations à venir comme les STEP marines

La production et le stockage de l’électricité à partir des ouvrages marins exploitant l’énergie des marées dans des zones de fort marnage sont peu développés à ce jour, malgré un potentiel réel et important eu égard à la disponibilité et à l’étendue de la ressource. Seuls deux aménagements marémoteurs de taille industrielle - les usines marémotrices de la Rance en Bretagne et de Sihwa en Corée du Sud - sont en service aujourd’hui, fournissant la quasi-totalité de la production mondiale d’énergie de cette source, soit environ 1 TWh par an. Le développement de nouvelles installations n’est pas envisagé à court terme en France, au regard des enjeux environnementaux pour les sites en estuaire traditionnellement favorisés pour ce type d’aménagement.

Toutefois, des études menées en Grande-Bretagne dans les années 2010 ont fait émerger un nouveau concept consistant en la création d’un bassin en mer par la réalisation d’une digue adossée à la côte à chacune de ses extrémités dans des zones hors estuaires, afin de minimiser les impacts environnementaux. Des turbines bulbes bidirectionnelles installées dans une centrale intégrée à la digue produiraient de l’électricité à chaque marée montante et descendante, de manière entièrement prédictible, en retenant les eaux alternativement à l’intérieur et à l’extérieur du bassin afin de créer la hauteur de chute nécessaire. L’intermittence de la production pourrait être lissée par l’exploitation simultanée de plusieurs sites à des endroits différents du littoral pour profiter du décalage de l’heure des marées entre ces endroits.

La France présente un important potentiel de développement de ce type d’ouvrage dans les deux régions dotées de fortes amplitudes de marées et d’une bathymétrie favorable, à savoir la Normandie et les Hauts-de-France. Pour réussir leur implantation, l’appropriation des projets par toutes les populations dans les territoires concernés est essentielle. Ceci oblige les porteurs de projet à des interactions étendues, approfondies, et de haute qualité pendant toutes les phases de définition, de développement et de réalisation des projets. Une vision partagée des bénéfices sociaux, économiques et environnementaux attendus de l’ouvrage est à construire, notamment pour les différents usages terrestres et maritimes.

Sources / Notes

  1. En France, une baisse de 1°C en hiver entraine une augmentation de 2,4 GW de la demande électrique. La température moyenne hivernale tend à augmenter mais les pics de froid demeurent.
  2. Avec notamment l’Italie (7 685 MW), l’Allemagne (6 364 MW), l’Espagne (6 117 MW), l’Autriche (5 596 MW)… et bien plus loin la Norvège (1369 MW, ce qui fait la force de la Norvège ce ne sont pas ses modestes 10 STEP mais le volume global de ses réservoirs de haute chute).
    Hydropower and pumped hydropower storage in the European Union, Commission européenne, octobre 2023.

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Commentaire

Serge Rochain
"la production est fortuite et sans lien avec la demande." C'est faux Monsieur Tardieu ! Le solaire PPV produit dans un creneau bien précis qui est celui où l'activité économique est au plus haut, c'est-à-dire lorsque durant le cycle diurne, nous avons le plus besoin d'énergie, et notamment d'énergie sous forme électrique car nous devons décarboner l'industrie qui fait partie de l'activité économique. Ce n'est le cas ni pour l'éolien, ni pour LE NUCLEAIRE ! Serge Rochain
APO
En hiver les journées sont courtes au Nord du 45ème parallèle ! Que suggère Monsieur Rochain pour les Scandinaves !? L'Hibernation ?
Serge Rochain
"Lorsque l’un et l’autre sont abondants, l’électricité peut avoir un prix négatif car il peut être difficile d’arrêter des champs d’éoliennes pour une période assez brève ou de déconnecter des champs photovoltaïques (PV)" C'est toujours faux Monsieur Tardieu ! C'est au contraire très facile tant pour les parcs éoliens que PPV. La seule technique de production d'électricité qui ne peut pas pour des raison structurelles s'accomoder d'arrets et reprises répétés et rapides de la production est LE NUCLEAIRE ! D'ailleurs, RTE qui à la charge de régulation du réseau ne se prive plus de rupter les production éoliennes ou solaires depuis déjà quelques mois, par exemple le 20 avril dernier, tant pour le solaire que pour l'éolien, mais aussi le lendemain pour l'éolien seulement, le solaire étant resté constant. C'est adaptations aux besoins par coupure et redémarrage rapide des renouvelables variables se trouvent généralement les jours de WE ou comme on peut aussi le voir les jours féries comme le premier mai ou le dimanche 5 mai, le jeudi de l'ascention le 9 mai. On peut aussi trouver ces arret/redemarrages rapides en semaine quand la demande d'importation de nos voisins est faible comme dans la période qui s'étend du 11 au 14 mai. Vous voyez Monsieur Tardieu ces manoeuvres montre la supériorité des renouvelables, grace à leur souplesse, comparée à l'immobilisme du nucléaire incapable de s'adapter au besoin. C'est en effet, au minimum deux jours pour redémarrer un réacteur nucléaire à l'arret. Serge Rochain
Serge Rochain
Par ailleurs, Monsieur Tardieu votre négation du foisonnement vous aveugle au point que vous allez jusqu'à ignorer qu'il n'y a même pas dix jours par an où notre façade maritime Atlantique est totalement dépouvue de vent, et je ne vous parle pas du golf du Lion en Méditerranée.... je dispose de près de trois années d'archives quotidiennes des cartes de météo-vent..... et vous ? Serge Rochain
Jean FLUCHERE
Monsieur Tardieu, Merci pour cet article et ne tenez aucun compte des remarques de Rochain. Il faut dire aux lecteurs que si nous vidons totalement, entre le marnage supérieur et marnage inférieur, la totalité des STEP, nous récupérons 0.1 TWH alors qu'un jours d'hiver la consommation est de 1,5 TWh. Ces chiffres illustrent la difficulté de stockage de l'électricité et ceux qui parlent de batteries feraient bien de méditer
Zamur
Un article qui se voudrait sérieux ...mais une faute, sans supervision, casse l'effet scientifique. TW/h. D'autre part, le rendement des STEP, indiqué rapidement, de 80 % est impossible à obtenir. L'énergie électrique récupérée représente plutôt 30 % de l'énergie utilisée pour pompage.
Wenger
80% de rendement, Nant de Dranse les dépasse actuellement. Ce n est donc pas seulement faisable, mais réalisé.
JMFischer
Le terme TW/h (qui est faux) n’apparaît nulle part dans l'article mais bien TWh (qui est juste).
Schricke Daniel
à "ZAMUR": Décidément, les "Ayatollahs" de l'antinucléaire viscéral et idéologique (pour l'essentiel, le grand savant omniscient Rochain, et ses apôtres ou complices...) voient des fautes partout, même (et surtout !) où il n'y en a pas !... D'autres ont remarqué que certaines "copies" des mêmes comportaient un grand nombre de phautes d'hortografe qui ne font pas honneur à leur niveau intellectuel, pourtant démesuré !...
APO
Dommage que l'article ne parle pas de l'usage "multiples" de certaines STEP qui sont de grands réservoirs d'eau pour certaines (type Grand Maison). Dans le futur et à la vue d'un passé récent (pénurie d'eau dans certaines régions françaises mais aussi inondations diverses), de petites à moyenne STEP, pas nécessairement de grandes hauteurs et ne nécessitant pas de grands renforcements des réseaux Elec pourraient aussi être faites avec certes la dimension énergétique mais aussi la dimension "eau à disposition" ! Par exemple dans des vallées un peu encaissées, il est faisable de faire des bassins inférieurs en parallèle de cours d'eau existants (bassin bas) et de faire dans certains contextes des bassins hauts potentiellement "grands" quand il y a des plateaux. En Hiver certains espaces peuvent être "noyés" pour stocker de l'eau (tout en rechargeant les nappes locales) car les besoins sont des transferts sur plusieurs jours... En été, le besoin de transfert d'énergie est majoritairement "journalier" donc une faible amplitude et des volumes restreints... Pour ce qui est de l'espace maritime, de petites centrales marémotrices sont à envisager sur plusieurs estuaires bretons notamment pour protéger des villes historiques (donc un double emploi ! Reste le partage des couts à définir - tache souvent ardue...) Et toujours en bords de cotes, vu le déficit commercial français en termes de produits de la mer, ils seraient bons d'envisager de petites à moyenne STEP avec des bassins hauts dédiés pour partie (soit en série ou en parallèle d'un bassin haut collecteur) pour faire de l'aquaculture, pour les bassins bas il faudra des bassins tels que décrit pour avoir un dH/H pas trop élevés... (pomper à marée basse peut être rédhibitoire sur les rendements...)

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