Sécheresse au Brésil : 20 ans après, retour sur le rationnement électrique de 2001/2002

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages

Depuis plusieurs mois, le Brésil, dont le mix électrique repose à 63,8% sur l'hydroélectricité(1), est touché par une sécheresse inhabituelle. Le pays a recours à des centrales thermiques pour compenser la chute de production des centrales hydrauliques (renchérissant le prix de l’électricité), afin d’éviter un black-out ou un rationnement similaire à celui de 2001/2002 qui avait profondément affecté le pays.

Une étude très intéressante de Lucas Fereira Mation(2) avait montré la modification temporaire des pratiques de consommation durant cette période. Voilà ce qu’on peut en retenir.

Rappels sur le rationnement électrique de 2001/2002

De juin 2001 à février 2002, un programme de rationnement électrique a été imposé aux Brésiliens : une réduction de 15% à 20% de la consommation a été décidée sans concertation préalable avec les utilisateurs d’électricité, domestiques ou industriels. Ce rationnement a été imposé à tous les habitants de cet immense pays sauf dans la région Sud et dans les États du Nord(3). À cette époque, il n’y avait pas de liaisons électriques à haute tension entre la région Sud et la zone Centre-Ouest. Les réseaux du Nord étaient également indépendants.

Une sécheresse modérée avait touché le Sudeste et le Nordeste simultanément à des pluies abondantes dans le sud du pays. Mais la production électrique du Brésil était (et est toujours dans une moindre mesure) très majoritairement d’origine hydraulique, comme dans beaucoup de pays d’Amérique latine, et donc sensible aux périodes de sécheresse : en 2000, 87% de l’électricité était d’origine hydroélectrique au Brésil, avec des centrales de grandes puissances situées loin des zones de consommation.

Le rôle des retenues parfois immenses est majeur pour passer les périodes de faibles apports hydriques. Ces périodes sèches qui alternent avec les périodes humides sont associées directement au phénomène El Niño-La Niña nommé oscillation australe (ENSO pour « El Nino-Southern Oscillation »). Cette « anomalie » se produit tous les 2 à 7 ans, avec des intensités variables.

En 2000, le système électrique national du Brésil était constitué de quatre sous-systèmes électriques qui opéraient de manière partiellement autonome, faute de capacités suffisantes de transmission électrique interrégionales puissantes. La figure ci-après montre la variation des stocks d’eau, c’est-à-dire du niveau de remplissage des lacs dans les différentes régions au sens du réseau électrique (Sudeste & Centre-Ouest, Sud, Nordeste et Nord). La figure du bas montre les apports hydriques.

Niveau de remplissage hydrique Brésil

Lorsque le niveau du lac diminue, cela signifie que le stock d’eau disponible diminue, mais aussi que la hauteur de chute commence à diminuer. Or la puissance fournie par une centrale hydroélectrique est proportionnelle au débit turbiné et à la hauteur de chute d’eau. Quand le niveau du lac baisse, la hauteur d’eau est plus faible et il faut plus d’eau pour fournir la même puissance, donc pour générer la même quantité d’électricité. C’est un processus rapidement divergent jusqu’à ce que le niveau d’eau soit inférieur au niveau d’entrée des turbines hydroélectriques et que la production électrique soit réduite à zéro.

Dans les années qui ont précédé le rationnement, le graphique montre que le niveau des lacs des régions Nordeste (NE), Sudeste & Centre-Ouest (SE & CO) avait baissé régulièrement, parce que les apports en eau naturel étaient plus faibles que d’habitude. Dans une telle situation, on attend souvent en espérant la pluie et on vide progressivement les lacs. Mais la pluie n’était pas venue assez vite dans ce cas précis et le niveau des lacs était devenu préoccupant. Compte tenu des fortes pluies dans le Sud, le rationnement y était inutile puisque l’énergie y était abondante.

Le rationnement commença le 1er juin 2001 et prit fin le 28 février 2002. Ce rationnement fut bref dans le Nord, réduit à 20% dans les États du Centre et renforcés dans les États du Nordeste où le niveau des lacs était le plus préoccupant. Cet épisode provoqua un débat vif sur le processus de privatisation du secteur électrique et sur les dispositifs techniques, juridiques et contractuels pour éviter qu’un tel rationnement ne se reproduise.

L’impact du rationnement sur la consommation

Le rationnement a eu un impact mécanique sur la consommation, puisqu’il était imposé. Or, il a été constaté que l’impact du rationnement a aussi duré au-delà de la période de rationnement et s’est prolongé alors que l’électricité était redevenue abondante et peu chère. Les courbes suivantes montrent l’évolution des consommations d’électricité dans les différentes régions brésiliennes.

Rationnement d'électricité au Brésil en 2001/2002

Ces courbes montrent que la consommation a baissé dans les États du Sud où il n’y avait pas de rationnement puisque les barrages étaient pleins. Mais les bonnes pratiques diffusées par les médias ou échangées entre les utilisateurs d’électricité, associées pour tous et particulièrement pour les industriels à un effort d’économies ont engendré une baisse de la consommation d’électricité dans cette région.

L’impact du rationnement a été particulièrement fort dans le Nordeste. Après la fin du rationnement, la consommation d’électricité de cette région n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise, mais est repartie avec un décalage très significatif. Le Nord est formé de petits réseaux et a un comportement socio-économique différent, mais tout le pays a vu sa consommation d’électricité baisser après la période de sécheresse et de rationnement régional de la consommation électrique. On pourrait dire que cette crise a ainsi eu un impact positif sur les pratiques de consommation d’électricité au Brésil. Elle a aussi montré le degré d’élasticité économique de la demande électrique, supérieur à ce qui était souvent admis(4). L’impact économique transitoire du rationnement a été significatif dans le secteur industriel(5). L’importation de groupes électrogènes, massif au début, a été régulée autoritairement ensuite.

Depuis 2000, des interconnexions électriques en 500 kV entre le Nord et le Sud ont été déployées, ce qui permet de compenser les sécheresses d’une partie du Brésil quand une autre partie est plus arrosée. De grandes usines hydroélectriques ont été construites et mises en service, par exemple Santo Antonio (2 500 MW de puissance installée) et Jirau (3 075 MW) sur le rio Madeira ou Belo Monte (11 000 MW) sur le rio Xingo. La demande d’électricité augmente fortement, malgré les crises politiques, par accroissement de la consommation unitaire et augmentation de la population. L’augmentation de la demande de puissance au Brésil est d’environ 6 000 MW par an, dont la moitié est fournie par l’augmentation de la puissance installée en hydroélectricité. Cette part de l’hydroélectricité est maintenant assez stable.

Rappelons que les cycles hydriques ne sont pas un phénomène récent. On cite, pour l’Amérique du Sud, les grandes sécheresses de 1992 en Argentine et en Colombie, de 1998/1999 au Chili, de 2002 et 2009/2010 au Brésil. Les spécialistes d’hydrologie considèrent que c’est l’impact des cycles El Niño (qui sont en partie anticipés).

Sources / Notes
  1. Donnée portant sur l'année 2019.
  2. Como firmas reagem a restrições de energia elétrica? O caso do racionamento de 2001/2, Lucas Ferreira Mation, août 2010.
  3. Le Brésil est constitué de 5 grandes régions : Centre-Ouest, Nord-Est (Nordeste), Nord, Sud-Est (Sudeste) et Sud.
  4. L’expérience exposée ci-dessus montre que la réduction de la demande d’électricité ne se fait que sous la contrainte. Cette réduction semble ne pas avoir été perçue trop négativement en 2001/2002 et les économistes semblent considérer que les conséquences économiques de cette contrainte sont relativement prévisibles et gérables.
  5. Il a été évalué à - 6,8% de la valeur de transformation industrielle, par comparaison entre les entreprises rationnées et celles qui ne l’étaient pas.

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Commentaire

Hervé

Merci pour cet article.
Il serait intéressant de savoir exactement comment a été mis en œuvre le rationnement et pourquoi il s'est prolongé (habitudes des usagers, faillite des entreprises?)

Sinon, oui, L'hydraulique est la reine des ENR mais elle aussi est touchée par une forme d'intermittence. Cet article montre l'utilité des lignes a haute tension pour permettre le foisonnement ce qui atténue les effets de ce problème.

Dans le cas du brésil qui a beaucoup de lacs, il serait judicieux d'ajouter du solaire PV et éventuellement de l'éolien (selon gisement) . Car avec plus de 50% d'hydrau et pas mal de lacs, ce pays est un des rares cas au monde ou il serait possible de réduire considérablement les émissions de GES avec seulement des ENR.

Si le programme est mené intelligemment (donc pas comme chez nous) ils pourraient même y arriver en restant économique...

michel

La production d'électricité au Bresil se répartit en 2019 en 15,1 % de combustibles fossiles (gaz naturel 9,7 %, charbon 3,8 %, pétrole 1,6 %), 2,6 % de nucléaire et 82,2 % d'énergies renouvelables (hydroélectricité 63,5 %, éolien 8,9 %, biomasse 8,7 %, solaire 1,1 %).
L'électricité représente 19,5 % de la consommation finale d'énergie en 2019
La consommation d'énergie primaire du Brésil en 2018 atteignait un taux de décarbonation de 47,3 %, grâce à la part très élevée de la biomasse dans sa consommation finale : 32,1 % (ethanol a partir de canne a sucre,pour les voitures) et à celle de l'hydroélectricité : 12,6 %

Avec 83% de la matrice électrique issue de sources renouvelables, le Brésil se positionne en leader régional, voire mondial pour les énergies renouvelables.

Depuis ces trois dernières années, le solaire photovoltaïque et l’éolien connaissent une croissance à deux chiffres (92 % pour le pv et 17,25 % pour l’éolien), et un appétit croissant des investisseurs étrangers (italiens, espagnols, français, chinois etc.)

674 projets d’usines de production d‘énergie électrique recensés par l'Aneel (l'agence de régulation de l’énergie électrique) seront lancés d’ici 2026 soit 24,2GW de puissance installée (biomasse, solaire, éolien principalement) supplémentaire

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