Nucléaire iranien : le qualificatif « historique » s’applique bien à l'accord de 2015

Thierry Coville - IRIS

Chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)
Professeur à Novancia

L’accord qui a été signé le 14 juillet 2015 avec l’Iran est un accord que l’on peut qualifier d’historique pour deux grandes raisons. Tout d’abord, il permet de trouver une issue par la négociation à un problème qui empoisonne les relations internationales depuis 25 ans. En effet, depuis la fin de la guerre Iran-Irak (1981-1988), les pays occidentaux soupçonnent l’Iran de vouloir se doter de l’arme atomique.

Puis les tensions sont montées d’un cran, suite à la révélation en 2002 que l’Iran disposait d’une usine d’enrichissement de l’uranium à Natanz sans l’avoir signalé à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. Les États-Unis, sous la présidence de George W. Bush, ne cachaient pas leur volonté, après avoir envahi l’Irak en 2003, d’attaquer l’Iran afin de mettre fin à cette menace en obtenant notamment par la force un « regime change » en Iran.

A l’époque, c’est l’Union européenne, par l’intermédiaire des trois ministres des affaires étrangères allemand, anglais et français, qui a obtenu en 2003 que l’Iran arrête d’enrichir de l’uranium, ce qui a pour un temps fait reculer le risque d’une attaque américaine. Puis, en 2005, les autorités iraniennes considérant qu’elles n’avaient rien obtenu, notamment en termes d’avantages économiques et financiers, décidaient de reprendre l’enrichissement de l’uranium, le portant même à 20 %. Ceci a relancé les tensions.

Des sanctions extrêmement lourdes ont été mises en place par les Nations Unies, les États-Unis et l’UE à partir de 2006. Parallèlement, le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou a multiplié depuis 2009 les menaces de venir frapper les installations nucléaires iraniennes.

Avec l’accord de juillet 2015, la communauté internationale trouve une solution diplomatique à une crise qui dure depuis un quart de siècle.

Cet accord est également important parce qu’il traduit officiellement le début d’une normalisation des relations entre l’Iran et les États-Unis. S’il faut rester prudent quant aux formes que prendra ce rapprochement, on ne peut que noter que cet accord n’aurait pas vu le jour sans la volonté politique commune des gouvernements américain et iranien. Cette volonté commune résulte de la prise en compte dans les deux pays qu’il était peut-être temps de mettre fin à 35 ans d’affrontements. Il est clair qu’ils ont réalisé qu’ils avaient un ennemi commun avec l’État Islamique.

Dans son contenu, l’accord ou Joint Comprehensive Plan of Action reprend les grandes lignes de ce qui avait été décidé à Lausanne début avril 2015 :

  • l’Iran accepte de limiter pendant 10 ans ses capacités d’enrichissement en s’engageant notamment à ne produire que de l’uranium enrichi à 3,7 % afin de produire du combustible destiné à produire de l’électricité ;
  • l’Iran s’engage à signer le protocole additionnel qui permettra pendant 15 ans à l’AIEA d’effectuer des visites rapides de tous les sites nucléaires qu’elle veut inspecter ;
  • l’Iran autorise également sous certaines conditions (notamment le respect de sa souveraineté) que l’AIEA puisse visiter des sites militaires si elle juge qu’il y a nécessité de le faire.

En échange, l’Iran obtient une levée de toutes les sanctions économiques et financières. L’embargo sur les armes sera quant à lui maintenu pendant 5 ans et celui sur le programme balistique iranien pendant 8 ans.

Il est peu probable que le Congrès américain puisse s’opposer à cet accord.

En ce qui concerne la mise en place de cet accord, il va d’abord y avoir le vote d’une résolution aux Nations Unies le validant. Puis, le Congrès américain va disposer de 60 jours pour donner son avis sur cet accord. Cette disposition, qui résulte d’un compromis passé entre le Congrès et Barack Obama, ne devrait pas a priori empêcher l’application de cet accord. Le Congrès ne pourra s’opposer à cet accord et passer outre le veto présidentiel (et donc empêcher la suspension des sanctions américaines) que s’il dispose d’une majorité des deux tiers, ce qui semble peu probable. Puis, l’AIEA va pouvoir vérifier que l’Iran applique bien ses engagements. Ensuite, l’ensemble des sanctions seront levées, ce qui devrait intervenir dans les premiers mois de 2016.

Les conséquences de cet accord sont multiples. Économiquement, la fin des sanctions devrait permettre à l’Iran d’accélérer sa croissance en 2016 à près de 5% (après environ + 2% en 2015), ce qui devrait permettre de commencer à réduire le chômage qui est le problème majeur de la population iranienne (le chômage est officiellement estimé à 10% mais est plus proche de 18-20% selon certains organismes).

Néanmoins, une croissance durable et soutenable impliquera également que le gouvernement mette en place d’importantes réformes : privatisation, recapitalisation du secteur bancaire, soutien de l’industrie nationale, etc. Parallèlement, les entreprises européennes et américaines vont revenir sur le marché iranien.

Les entreprises chinoises, indiennes, coréennes et turques ont profité du retrait des entreprises européennes…

Il faut se rappeler que l’Iran était le principal marché de la France au Moyen-Orient avant la mise en place des sanctions. La concurrence s’annonce sévère car les entreprises chinoises, indiennes, coréennes et turques ont profité du retrait des entreprises européennes (du fait des sanctions) pour accroître leurs parts de marché.

Politiquement, cet accord est également une victoire pour le président Hassan Rohani et le camp des modérés. Toutefois, les groupes politiques les plus radicaux vont continuer leur lutte contre l’action du président, surtout si ce dernier engage des réformes visant à ouvrir le système politique et accroître les libertés individuelles. Le résultat des prochaines élections législatives qui se tiendront en mars 2016 pourrait être décisif à cet égard.

Cet accord devrait également avoir des conséquences régionales. Il est notamment possible que les Etats-Unis et l’Iran commencent à coopérer afin de tenter de trouver des solutions à différentes crises régionales (Irak, Syrie). Il faut rester prudent à ce sujet (car l’Iran a ses propres objectifs stratégiques…) mais il est possible qu’une stratégie visant à considérer l’Iran comme un pays pouvant contribuer à des sorties de crise, pourra donner des meilleurs résultats que celle de sa « diabolisation ».

L’Iran est très loin de mener une politique visant à « dominer » la région.

Certaines analyses considèrent que cet accord peut relancer les tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran du fait de la montée en puissance de ce dernier. Il est vrai qu’il existe une véritable lutte d’influence entre ces deux pays, notamment depuis l’arrivée d’un pouvoir chiite en Irak en 2003. On peut toutefois noter qu’il existe sans doute une part d’irrationalité (ou de peurs excessives) de la part de l’Arabie Saoudite. En effet, la politique régionale de l’Iran est plutôt liée à la nécessité de faire face à un certain nombre de menaces comme celles de l’essor de l’État Islamique, qui l’ont poussé à envoyer des conseillers militaires en Irak et en Syrie. On est très loin d’une politique visant à « dominer » la région.

En outre, l’Iran a besoin de stabilité dans la région pour notamment développer ses exportations non-pétrolières (l’Irak est ainsi devenu un des premiers marchés de l’Iran dans ce domaine). Par ailleurs, on peut également penser que l’amélioration des relations entre l’Iran et les Etats-Unis contribuera à terme à la stabilité régionale, ce qui bénéficiera également à Israël.

Au total, on voit bien que le qualificatif d’historique s’applique bien à cet accord. Ce dernier introduit notamment une « rupture » réelle par rapport aux alliances géopolitiques de ces 30 dernières années en réintégrant l’Iran dans le jeu diplomatique. 

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