
Responsable de la Practice Énergie et Environnement chez Wavestone
Chaque année, dans un gymnase de province ou un atelier aménagé, des jeunes passionnés s’affrontent, torche à la main, masque sur le visage, pour décrocher le titre de meilleur soudeur de France. Organisé par l’AFPS (Association française pour la promotion du soudage), un championnat discret, loin des projecteurs, jugé parfois comme une curiosité technique, sinon un vestige d’un monde industriel que certains croient révolu. Et pourtant, ces compétiteurs incarnent peut-être l’un des leviers les plus critiques de notre souveraineté industrielle.
La soudure, compétence-clé oubliée
Qui se souvient que c’est par un défaut de soudure que le chantier de l’EPR de Flamanville a connu des années de retard et des surcoûts de plusieurs milliards ? Que l’inspection de centaines de soudures dans les centrales existantes a immobilisé une partie du parc nucléaire en 2022, menaçant notre sécurité énergétique ? La soudure est à la base de notre industrie lourde : sans elle, pas de réacteur, pas de pipeline, pas de pont, pas d’usine chimique. Pourtant, la France a laissé s’éroder son vivier de compétences, reléguant le métier au rang de plan B pour élèves décrocheurs.
Comme le résumait Bernard Fontana, alors PDG de Framatome et désormais PDG du groupe EDF : « Il n’y a pas d’atome sans atout technique. Et aujourd’hui, la soudure est notre talon d’Achille. »
Nucléaire : un défi industriel colossal
Emmanuel Macron a annoncé la construction de six nouveaux EPR2, avec une option pour huit supplémentaires. À cela s’ajoutent les travaux de prolongation du parc existant, les petits réacteurs modulaires (SMR), et les infrastructures de transport d’énergie à renforcer.
Or, selon les estimations d’EDF, ce sont plus de 10 000 soudeurs qualifiés qu’il faudra former dans la prochaine décennie pour répondre à la demande. Ce chiffre dépasse largement les capacités actuelles de formation. Alors ministre de l’Économie, Bruno Le Maire le reconnaissait lui-même fin 2020 lors d’un déplacement à Saint-Marcel (Saône-et-Loire), sur un site de production de composants nucléaires : « Nous avons besoin d’une armée d’artisans industriels pour réussir la renaissance nucléaire. Il faut remettre la soudure au cœur de la nation productive. »
Des formations à reconstruire et valoriser
La filière soudure souffre d’un manque de reconnaissance. Pourtant, les formations existent, du CAP « Réalisations industrielles en chaudronnerie » au BTS « Conception et réalisation en chaudronnerie industrielle », en passant par les titres professionnels de soudeur proposés par l’AFPA ou le réseau UIMM. Des centres comme le CESI, l’Institut de Soudure ou encore le groupe Ametra participent à la montée en gamme technologique, notamment sur les techniques avancées comme le soudage orbital, le TIG(1) automatique ou la soudure laser.
Mais ces formations restent insuffisamment mises en avant, souvent cloisonnées, et peinent à attirer des jeunes. Il manque un récit valorisant, une fierté d’appartenance.
Catherine Renard, formatrice à l’Institut de Soudure de Yutz (Moselle), résume : « On forme des mains sûres, mais aussi des têtes solides. Un bon soudeur, aujourd’hui, doit comprendre les matériaux, les normes, la sécurité, l’environnement du chantier. C’est un métier exigeant, qui mérite respect. »
L’offre de formation continue à monter en puissance, avec l’inauguration des nouveaux bâtiments fin 2024 de l’Héfaïs, la Haute école de formation au soudage qui a été mise en place par EDF, CMN, Naval Group et Orano avec le soutien des collectivités territoriales et de l’État.
Un enjeu de souveraineté et d’avenir
Dans un monde qui redécouvre les vertus de la réindustrialisation, la France ne peut pas faire l’économie d’un effort massif pour reconstituer sa base technique. Il y a urgence : d'ici à 2030, ce sont 40 000 postes de soudeurs qui pourraient être ouverts tous secteurs confondus (énergie, aéronautique, naval, infrastructures, etc.), selon les chiffres de France Industrie.
Dominique Louis, président d’Assystem, cabinet d’ingénierie clé dans la filière nucléaire, déclarait récemment : « La relance du nucléaire ne se fera pas avec des slides. Elle se fera avec des bras, du métal et des soudeurs au savoir-faire d’exception. »
Derrière cette renaissance, il faut un plan. Un vrai. Pas un gadget communicationnel. Il faut recruter des formateurs, moderniser les plateaux techniques, développer des classes en alternance dès le collège, subventionner les reconversions, et créer un label national d’excellence pour attirer des vocations.
Pourquoi ne pas médiatiser le championnat de France de la soudure, en faire un rendez-vous reconnu, à l’instar des Olympiades des métiers ? Pourquoi ne pas envoyer nos champions aux WorldSkills(2) comme des ambassadeurs du savoir-faire français ?
Et si l’avenir de notre énergie passait par l’atelier ?
La question n’est pas de savoir si la soudure est ringarde. La question est : combien de réacteurs, de réseaux, d’usines allons-nous pouvoir construire sans elle ? La technique ne mérite pas le mépris. Elle mérite l’admiration. Il est temps de remettre les mains dans le cambouis – et la torche à la main.
L’édition 2025 du Championnat de France de Soudure verra sa finale se dérouler à Poitiers, les 23 et 24 mai. Bon courage à tous les participants !
Sources / Notes
- Tungsten Inert Gas.
- Compétition nationale des métiers.
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