Énergie nucléaire : « SMR » (petits réacteurs modulaires)

SMR de NuScale Power

Les modules SMR » de NuScale Power pèseront près de 700 tonnes et pourront être transportés par camion ou par barge. (Image provided by NuScale Power, LLC)

À RETENIR
  • Les Small Modular Reactors (SMR) sont de petits réacteurs nucléaires réalisés en usines sous forme de modules.
  • Leur puissance varie généralement entre 10 et 300 MW.
  • Le déploiement des SMR est envisagé pour produire de l’électricité, en particulier dans des sites isolés, mais également pour des applications non électrogènes : chaleur, dessalement, production d’hydrogène, propulsion, etc.
  • En France, un projet de SMR baptisé « Nuward » regroupe EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA (lancé en septembre 2019).

Définition et objectifs

Un « SMR » (Small Modular Reactor en anglais) désigne une famille de réacteurs nucléaires :

  • réalisés en usine sous forme de modules industrialisés directement installables sur site ;
  • d’une puissance généralement inférieure à 300 MWe, (la moyenne pour les SMR existants s’établissant autour de 100 MWe) ;
  • associables pour fournir une gamme de puissance électrique adaptable à une demande évolutive ;
  • utilisant la fission de l’uranium (235, 238) ou du thorium (232).

Les SMR visent à :

  • abaisser significativement le poids du financement de l’électronucléaire en volume et en délai. Celui des centrales nucléaires de grande puissance en détourne aujourd’hui les investisseurs privés (le budget de l’EPR de Flamanville est passé de 3 à 10 milliards d’euros, 10 ans de mise en production) ;
  • substituer à l’effet d’échelle recherché pour les grandes centrales (EPR = 1 600 MWe), l’effet de série industriel attaché à la réalisation répétitive des SMR en usine, abaissant les coûts ;
  • ouvrir de nouveaux marchés de fourniture d’électricité décarbonée aux sites isolés (îles, Grand Nord, etc.) et aux petits réseaux de distribution électrique ;
  • remplacer des centrales de moyenne puissance utilisant des combustibles fossiles (par exemple les centrales à charbon aux États-Unis) ;
  • développer un plus grand suivi de charge en soutien de sources intermittentes (éolien, solaire) ;
  • fournir de la chaleur, éventuellement en cogénération, adaptée en température au dessalement, au chauffage urbain, au raffinage des hydrocarbures, à la production d’hydrogène, à la propulsion navale, etc.

Fonctionnement

Le terme « SMR » renvoie à un ensemble de technologies de réacteurs très différentes, avec des applications variées. Les SMR sont particulièrement aptes à l’intégration dans un seul volume de tous les sous-ensembles constituant un réacteur électrogène (du combustible au générateur de vapeur à haute température), ce qui en simplifie l’architecture.

La taille réduite de ces réacteurs place leur cœur combustible dans un rapport surface/volume plus favorable à l’extraction, l’échange et le contrôle de son énergie de fission que dans les grands réacteurs.

Le tableau suivant les classe par température de cœur, fluide de refroidissement et applications hors électricité.

Température cœur SMRFluide de refroidissementFilièreApplications SMR (hors électricité)Nombre de projets de SMR à fin 2018 : 54
100-200°CEau bouillanteBWRChauffage urbain (cogénération)2
200-400°CEau pressurisée lourdePWR
parfois qualifié de « i-PWR » (module intégré)
Désalinisation
Électronucléaire (IIe et IIIe génération)
24
Eau lourdeHWR
400-550°CMétal liquide, sodium, eau supercritiqueSFR (fast)
LFR (fast)
SCWR
Pâte à papier
Raffinage hydrocarbures
Fabrication méthanol
7
550-700°CSels fondusMSR
MSFR
Production hydrogène par reformage du méthane9
700-1 000°CRefroidissement gazGCR
GFR
Production hydrogène par dissociation thermique
Gaz de houille
9
> 1 000°C VHTRHéliumVHTRMétallurgie
Production hydrogène
3

 

Ce tableau fait apparaître :

  • des filières de refroidissement dédiées à chaque plage de température, l’électricité étant aujourd’hui produite, pour l’essentiel, par la filière à eau ;
  • la présence de la fission par neutrons rapides dans les trois filières les plus chaudes (400 °C à plus de 1 000 °C) avec potentiellement des taux de déchets réduits, un combustible fertile et des cycles de combustibles très longs ;
  • la capacité à produire de l’hydrogène par reformage du méthane dès 500°C (sels fondus) ou par dissociation thermique (hélium).

Acteurs majeurs

Sur une cinquantaine de projets de SMR identifiés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)(1), seulement 3 sont « opérationnels », en Sibérie (SMR installé sur barge flottante, Akademik Lomonosov), en Inde et en Chine et 5 autres sont en construction.

Plus de 80% de ces réacteurs sont encore en développement ou au stade des laboratoires de recherche et sous l’étroit contrôle des États, tant pour leur financement que pour la mise à disposition du combustible, elle-même strictement régulée par des réglementations anti-prolifération.

Par pays, les États-Unis et la Russie sont les principaux acteurs des SMR avec chacun 18 projets, loin devant le Japon (4), la Chine (4) et l’Europe (3 dont 1 en France développé par le CEA, EDF, TechnicAtome et Naval Group(2).

De ce foisonnement, il émerge cependant que la quasi-totalité des projets sont à « sécurité passive » et intègrent dans un module unique la production de vapeur (ou de gaz). Un certain nombre sont anti-proliférants grâce à des cycles de combustible extrêmement longs. La plupart des SMR peuvent être enterrés ou sont immergeables, donc sécurisables.

En France, un projet de SMR baptisé « Nuward » regroupe EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA (lancé en septembre 2019). Il doit permettre la construction d'un prototype de SMR en France à l'horizon 2030, qui devrait ensuite servir de démonstrateur à l'export.

Chiffres clés

Selon l’OCDE/AEN, le marché potentiel des SMR est de 20 GW à l’horizon 2035.

Au plan économique, il apparaît artificiel (et illusoire), au stade actuel, d’évaluer, même grossièrement, les coûts réels des projets SMR une fois produits en série.  La Société française d’énergie nucléaire (SFEN) délivre comme ordre de grandeur pour la construction d’un module SMR un investissement « de l’ordre du milliard d’euros »(3).

Au sein de la filière, un certain consensus se dégage ainsi autour de 4 000 € de coût total de construction du kilowatt électrique (kWe), ce qui placerait les SMR, en matière de coûts, entre le charbon et les centrales de IIIe génération actuelles. Cette estimation se base toutefois sur l’installation de 20 GWe d’ici à 2035, avec un effet de série s’exerçant à un niveau de production de 70 à 100 SMR par an.

Passé et présent

De 1950 à 1989, les réacteurs nucléaires développés pour la propulsion des sous-marins et des porte-avions ont été des éléments essentiels de la dissuasion pour les belligérants de la Guerre froide. Près de 1 000 réacteurs nucléaires ont été intégrés dans des navires de guerre avec un degré extrême de confinement et de sécurité.

D’abord hautement classifiées, les technologies militaires ont été progressivement libérées dans la décennie 1990. Aujourd’hui, environ 250 navires à propulsion nucléaire, de puissances comprises entre 50 et 350 MW, sont en opération.

De la génération IV aux SMR

L’approche de la « génération IV » est a priori totalement indépendante de la réflexion SMR mais plusieurs concepts innovants de petits réacteurs modulaires relèvent de cette génération.

Pour rappel, 13 pays se sont réunis en 2001, à l’initiative de l’US-DOE (Department of Energy), dans le GIF (Generation IV International Forum) avec pour mission de définir les filières de réacteurs électrogènes répondant aux quatre critères « clean, sustainable, safe, cost effective » à imposer à l’électronucléaire du futur.

6 filières ont été sélectionnées, en rupture avec les réacteurs à eau légère dont l’accident de Tchernobyl en 1986 avait montré les défauts et les risques.

Ces six filières de réacteurs de IVe génération sont :

  • à neutrons rapides, refroidis au sodium (SFR) ;
  • à haute et très haute température, à l’hélium (V/HTR) ;
  • à neutrons rapides, refroidis au gaz (GFR) ;
  • à neutrons rapides, refroidis au plomb ou plomb bismuth (LFR) ;
  • à sels fondus (molten salt) (MSR) ;
  • à eau supercritique (SCWR).

La France a choisi la filière SFR, dans la ligne de Superphénix, sous la forme d’un réacteur/démonstrateur Astrid, initialement de puissance 600 MWe, réduit à 200 MWe (octobre 2018).

Dans les années 2010, les initiatives se sont multipliées pour faire converger les acquis des filières refroidies à l’eau, héritières de la propulsion navale avec ceux préconisés par le GIF, ce qui a abouti à une offre SMR très diversifié aujourd’hui.

Futur

Si la lutte environnementale contre les gaz à effet de serre venait à s’intensifier fortement et se conjuguer avec une demande d’électricité décarbonée en forte croissance, les SMR pourraient apporter des réponses adaptées compétitives à la situation énergétique émergente :

  • comme producteur d’électricité pour des consommateurs isolés, alimentés par des réseaux restreints et des sources intermittentes nécessitant un suivi de charge ;
  • comme producteur de chaleur à haute température pour le dessalement dans les régions en déshydratation, pour la propulsion des grands navires, pour la fourniture d’hydrogène à l’industrie, au raffinage, à la méthanation, etc.

Enjeux

Sûreté

La plupart des SMR sont intégrés dans des enveloppes cylindriques verticales (typiquement 20 m de haut sur 5 m de diamètre), à la base desquelles est placé le cœur combustible, ce qui permet d’exploiter les remontées par convection de leurs fluides caloporteurs pour en assurer la circulation globale passive, ne dépendant pas de dispositifs de pompage active, par essence porteurs de risques en cas d’accident. Lors d’un arrêt, cette structure permet une évacuation passive de la puissance résiduelle (par convection naturelle).

La modularité des SMR implique leur production en usine et leur certification après un contrôle qualité minutieux avant autorisation de mise en fonction par les autorités de sûreté gouvernementales. Ce processus présente des garanties supérieures à celles que peuvent donner les réalisations actuelles « sur site » des réacteurs électrogènes.

Notons cependant que les avancées potentielles portées par les SMR en matière de sûreté globale ne pourront se concrétiser que sur des filières maîtrisées en profondeur, sur l’ensemble des technologies qu’elles mettent en œuvre, en particulier celles des matériaux. C’est le cas des SMR de la filière PWR qui bénéficient de 60 ans d’expérience et qui peuvent ainsi apporter d’emblée des solutions de sûreté innovantes.

Prolifération

Le succès économique des SMR implique qu’ils soient produits industriellement en grand nombre pour des utilisateurs divers et mis en œuvre par des effectifs réduits.

Au concept même de SMR est donc attaché une forte dispersion géographique, s’accompagnant d’un risque structurel de détournement des combustibles SMR vers des usages hostiles.

Au plan technologique, les SMR pourront être dotées de cœurs combustibles dissuasifs anti-proliférants, soit chargés d’uranium faiblement enrichi, pour des durées de vie de quelques années (déjà irradiés donc contenant des actinides radiotoxiques rendant la manipulation dangereuse), soit, à l’opposé, chargés d’uranium très enrichi pour des durées de vie égales à celles du SMR, le cœur étant indissociable de sa structure métallique, mais contenant en fin de vie de grandes quantités de plutonium.

Sécurité

Grâce à leur taille réduite, leur autonomie et leur résilience, les SMR intégrés peuvent être protégés contre les agressions humaines et les catastrophes naturelles pouvant affecter leur site :

  • soit par enterrement dans des fosses terrestres profondes ;
  • soit par immersion dans des « piscines », lacs ou mers (concept Flexblue abandonné) qui assurent ainsi leur sûreté en cas d’accident nucléaire.

Concrètement

Le projet de SMR de la société américaine NuScale – l’un des plus avancés à l’heure actuelle  – prévoit d’installer une première centrale nucléaire constituée de 12 modules de 60 MW pour Utah Associated Municipal Power Systems (UAMPS). Selon le calendrier actuel, les travaux devraient commencer en 2023 et le premier module pourrait entrer en service en 2026 (2027 pour l'ensemble de la centrale).

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