Stéphane Chatelin est directeur de l'association négaWatt. (©photo)
Les discussions consacrées à l’énergie à la COP21 ont principalement porté sur les désinvestissements des énergies fossiles ainsi que sur les initiatives favorisant le développement des énergies renouvelables. Il n’a en revanche pratiquement pas été question de « sobriété énergétique ». Nous avons interrogé Stéphane Chatelin, directeur de l’association négaWatt qui en fait un outil central de la baisse de nos consommations d’énergie dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
1) Vous venez d’actualiser le manifeste négaWatt. Quels en sont les principales conclusions ?
L’objectif de notre scénario est de parvenir en France à un mix énergétique reposant à 100% sur les énergies renouvelables (EnR) en 2050. L’essentiel de ce travail qui repose sur le triptyque sobriété/efficacité/énergies renouvelables est réplicable dans d’autres pays.
Notre manifeste datait d’il y a un peu plus de 3 ans et le contexte énergétique a beaucoup évolué depuis. Les scénarios 100% énergies renouvelables sont aujourd’hui abordés à la COP et dans beaucoup de discussions (l’Ademe a remis en octobre une étude sur un mix électrique 100% renouvelables à l’horizon 2050). L’éolien et le photovoltaïque sont beaucoup plus compétitifs qu’il y a 3/4 ans. Nous avons donc souhaité porté un regard neuf sur ce paysage énergétique et nous actualiserons les chiffres de ce scénario l’an prochain.
2) Comment pouvez-vous concrètement parvenir à ce scénario 100% EnR ?
Nous ne pouvons pas rester sur les niveaux de consommation actuels. La loi de transition énergétique en France fixe d’ailleurs un objectif de division par 2 des consommations d’énergie d’ici à 2050. Pour y parvenir, les efforts devraient porter sur la sobriété et l’efficacité énergétique à peu près à parts égales.
Près de 56% de cet objectif pourrait être atteint grâce à la sobriété avec une meilleure intelligence de nos usages énergétiques, ce qui implique de supprimer tous les gaspillages identifiés dans les différents secteurs. Dans un bâtiment de bureaux, 30% de la consommation d’électricité est par exemple gaspillée lorsque personne n’y est présent : la ventilation fonctionne la nuit, des machines à café et distributeurs de boissons fonctionnent 24h sur 24, des ordinateurs restent allumés en permanence…
Dans les transports, les modes « doux » comme le vélo ou la marche à pied sont à privilégier pour les déplacements de moins de 3 km qui constituent la grande majorité de nos déplacements au quotidien. Dans l’industrie, on peut limiter les suremballages et réintroduire une consigne du verre. Au niveau des politiques publiques, il s’agirait notamment de limiter l’étalement urbain qui entraîne une plus grande consommation de ressources et d’énergie. La sobriété énergétique n’implique surtout pas une privation mais une façon plus intelligente de consommer l’énergie.
L’efficacité énergétique a également un rôle très important à jouer avec notamment la rénovation thermique performante de l’ensemble du parc immobilier français, l’amélioration de l’efficacité des appareils électroménagers, des appareils de froid, de l’éclairage ou encore des process industriels, l’amélioration des rendements des véhicules…
En réduisant ces consommations, nous pourrons satisfaire 100% de nos besoins à partir des énergies renouvelables. Dans les bâtiments, il sera par exemple possible de se chauffer davantage à partir de biomasse et de satisfaire les besoins d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques sur les toitures ou d’éoliennes à proximité du lieu où l’on habite.
Dans les transports où l’on dépend encore à plus de 90% du pétrole, un report modal vers les transports en commun est nécessaire. Pour la voiture individuelle, nous privilégions dans notre scénario les véhicules électriques en milieu urbain mais nous militons essentiellement pour des véhicules alimentés au biogaz. Notre potentiel de développement de ce gaz d’origine renouvelable est important en France et ce n’est pas du tout une prouesse technologique, des millions de véhicules roulant déjà au biogaz à travers le monde.
3) Quel est le mix de production renouvelable que vous envisagez en 2050 ?
La biomasse restera la première source d’énergie renouvelable en France et aura un rôle très important à jouer. Elle pourrait couvrir près de la moitié de nos besoins d’énergie en 2050, principalement pour les usages de chaleur mais aussi indirectement pour la mobilité avec la production de biogaz. La production d’électricité reposera surtout l’éolien et le photovoltaïque qui ont un fort potentiel de développement, le potentiel hydroélectrique étant déjà bien exploité.
Dans notre scénario, nous avons modélisé heure par heure le système électrique jusqu’à 2050 et nous pensons que nous n’aurons pas besoin d’énormes moyens de stockage. Compte tenu de la réduction de nos consommations d’électricité – qui sera toutefois plus faible (réduction de 25% d’ici à 2050) que celle de nos autres consommations d’énergie compte tenu des nouveaux usages liés à l’électricité (comme le développement des véhicules électriques ou d’autres usages encore non identifiés à l’heure actuelle) - nous pourrons compter sur les capacités hydrauliques de plusieurs gigawatts, facilement pilotables, dont nous disposons déjà. Lorsque nous aurons moins de vent et de soleil, nous pourrons également utiliser en back-up des centrales thermiques qui utilisent aujourd’hui des combustibles fossiles mais qui pourront produire de l’électricité à partir de biogaz dans le futur.
Lors des périodes de surproduction (avec beaucoup de vent et de soleil et des consommations peu élevées), nous pourrons convertir l’électricité excédentaire en gaz via la méthanation et le gaz ainsi produit pourra notamment alimenter des véhicules. Dans notre scénario négaWatt 2011, nous proposions de ne pas mettre en service l’EPR de Flamanville. Nous n’en aurons pas besoin pour répondre à nos besoins électriques selon notre scénario et avoir une seule unité en fonctionnement ne nous paraît pas cohérent dans une logique de fermeture de l’ensemble du parc nucléaire existant à l’horizon 2030/2035. Mettre en route l’EPR pour l’arrêter dans 20 ans n’aurait pas de sens non plus avec le démantèlement nécessaire.
Scénario négaWatt sur l'évolution de la consommation d'énergie primaire en France d'ici à 2050 (©négaWatt)
4) Quelles seraient les conséquences de ce mix en matière de coûts et d’emprise au sol ?
Au niveau des coûts, nous avons d’abord effectué des études d’impacts en matière d’emplois créés et détruits. A l’horizon 2030, nous envisageons plus de 600 000 créations nettes d’emplois directs ou induits par cette transition énergétique, notamment dans le secteur des bâtiments pour rénover l’ensemble du parc immobilier, dans les énergies renouvelables qui permettront de créer davantage d’emplois que les énergies fossiles que nous importons et enfin dans les transports collectifs.
En regardant l’impact économique global, nous constatons que le retour sur investissement sera plus intéressant à long terme que le scénario de poursuite des tendances actuelles. Les investissements nécessaires avec un mix énergétique pratiquement inchangé sont effectivement moins importants mais nous devons payer une facture énergétique de près de 60 milliards d’euros(1) en raison des importations d’énergies fossiles. Nous pouvons transférer ces dépenses vers des investissements dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Il restera un effort à fournir mais nous allons dans tous les cas arriver à une période d’investissements lourds dans le secteur électrique. Le renouvellement du parc nucléaire serait en effet également coûteux, d’autant plus que les centrales ont été construites en un laps de temps assez court et devraient toutes arriver en fin de vie en 10 à 15 ans.
Pour le solaire photovoltaïque, nous envisageons un parc d’environ 80 GW installés en 2050 (contre 5,3 GW à fin 2014 selon RTE). En termes d’espace, nous avons amplement les surfaces de toitures (bien exposées) nécessaires pour accueillir ces 80 GW. Mais nous ne nous interdisons pas pour autant l'installation de parcs au sol sur des terrains qui n'auraient pas pu accueillir d'autres activités : friches militaires, friches industrielles, etc. On peut même imaginer l'installation de ces parcs sur des terres agricoles destinées à l'élevage, les ovins pouvant tout à fait cohabiter avec les panneaux.
Pour l'éolien, nous envisageons également un parc de près de 80 GW installés en 2050, dont presque 50 GW à terre (contre 9,1 GW à fin 2014). Cela correspond, à terre, à un peu plus de 16 000 éoliennes de 3 MW. Nous estimons la surface au sol associée à environ 16 000 hectares(2), soit 160 km2. Cette surface doit être comparée à la surface « artificialisée » chaque année en France (près de 900 km2). Dans le scénario négaWatt, couplé au scénario Afterres qui regarde précisément l'évolution des usages des sols en France, nous réduisons fortement l'artificialisation des surfaces agricoles, notamment par une diminution de l'étalement urbain dû aux nouvelles zones pavillonnaires et par une réduction des nouvelles zones commerciales. En matière d'occupation d'espace, le bilan global serait alors très nettement positif.
5) Quel message portez-vous à la COP21 et qu’en attendez-vous ?
Notre message est tourné vers la sobriété énergétique comme pièce indispensable d’un accord climatique. Evidemment, il ne figurera pas dans l’accord de Paris puisque le mot « renouvelables » en est déjà quasiment absent. Nous ne pouvons pas non plus demander aux pays ayant de très faibles consommations d’énergie d’être un peu plus sobres. Eux ont un besoin vital d’accès à l’énergie. Les classes moyennes des pays en développement ont souvent pour modèle les pays riches et pourraient suivre notre voie d’ébriété énergétique. Il faut que nous commencions par montrer l’exemple en supprimant ces gaspillages afin que les pays émergents aillent dès le départ vers une consommation intelligente de l’énergie.
Nous sommes intervenus mardi en séance plénière pour représenter les RINGO(3), c’est-à-dire les organismes de recherche et d’expertise indépendants en matière d’énergie, pour indiquer aux parties prenantes de la COP que les centres de recherche et d’expertise sont là pour les appuyer dans des politiques énergétiques ambitieuses sans entraîner de restrictions pour les populations. Il ne faut pas qu’ils aient peur de prendre des engagements forts.
Il n’y aura pas un marqueur particulier qui nous fera dire si la COP est « réussie », il faudra voir la globalité de l’accord. L’objectif de long terme sera important – 1,5°C ou 2°C – et surtout les moyens d’y parvenir, notamment sur la révision des INDC.