
Site de forage d'hydrogène naturel dans le Kansas par Natural Hydrogen Energy (Photo courtesy of Viacheslav Zgonnik)
Des gisements d'hydrogène « naturel » (également dit « blanc » ou « natif ») ont été détectés dans plusieurs régions en France, dont l'Aquitaine, les Pyrénées et la Lorraine, a confirmé le ministère de l'Économie et de l'Industrie le 30 juin 2025, après la remise par IFP Énergies nouvelles d'un rapport dressant un état des connaissances sur les potentialités de cet hydrogène « natif », naturellement présent dans le sous-sol terrestre.
inventaire mondial, zones d’intérêts sur le territoire français » d'IFPEN (janvier 2025).
Qu'est-ce que l'hydrogène « naturel » et comment est-il formé ?
L'hydrogène naturel, également qualifié d'hydrogène « natif » ou hydrogène « blanc », désigne le dihydrogène présent dans le sous-sol terrestre ou marin. Sur Terre, on trouve essentiellement le dihydrogène (H2) sous forme combinée - à l’oxygène dans l’eau (H2O), au carbone (CH4, C2H6, etc.) - mais aussi directement sous forme gazeuse.
Dans un avis de juin 2024(1), l'Académie des technologies mentionne 3 principales réactions permettant la production de dihydrogène dans le sous-sol :
- la réduction de l’eau en présence de roches riches en fer (celui-ci s’oxyde) ;
- la radiolyse par la radioactivité naturelle des roches qui casse la molécule d’eau ;
- la maturation tardive de la matière organique, en particulier des charbons, libère aussi, au-dessus de 200°C, de l’hydrogène en profondeur, tout comme les processus industriels de gazéification du charbon.
Une fois extrait, l'hydrogène natif peut éventuellement être stocké sous forme comprimée ou liquide dans des réservoirs spécialement conçus pour une utilisation ultérieure. L'hydrogène peut ensuite être transporté via des pipelines ou des camions-citernes et utilisé comme carburant dans des piles à combustible pour produire de l'électricité, ou comme matière première dans diverses industries.
Quel potentiel en France ?
« La certitude de l'existence d'hydrogène sous nos pieds n'en était pas une il y a encore dix ans », relevait Yannick Peysson, responsable de programmes sur l'hydrogène naturel à IFP Energies nouvelles, fin 2023. « Les choses s'accélèrent, c'est absolument clair », abonde le géochimiste Alain Prinzhofer, spécialiste de l'hydrogène naturel.
La France a reconnu début 2022 l’hydrogène naturel comme une ressource minière dans le code minier(2) : cela rend possible sa recherche (permis exclusif de recherches) ou son exploitation (concession) et les premiers permis d’exploration ont été déposés. « La géologie de certaines régions de France est propice à la présence de cette ressource », souligne l'Académie des technologies (notamment dans les Pyrénées où la présence d'hydrogène a été mise en évidence)(3).
« Les candidats aux permis d’exploration souhaitent un raccourcissement des délais d’obtention des permis exclusifs de recherche (PER) et une simplification des procédures actuelles qui imposent des demandes distinctes pour l’hydrogène et pour l’hélium, ces dernières étant traitées par deux guichets différents. Le délai de dix-huit mois est jugé trop long d’autant plus qu’il semble être dû à un manque de personnel. Les demandes de concession de production sont réputées encore plus lentes, pouvant aller jusqu’à trois ans. En comparaison, en Allemagne, les réponses pour l’hélium sont fournies en moins de trois mois », notait entre autres l'Académie des technologies en juin 2024.
Premier permis de recherche octroyé en 2023
Le 3 décembre 2023, la France a autorisé pour la première fois des recherches de réserves d'hydrogène naturel en accordant un permis exclusif de cinq ans à la société TBH2 Aquitaine. Ce permis, nommé "Sauve Terre H2", couvre une zone de 225 km² dans les Pyrénées-Atlantiques et inclut également la recherche d'hélium et de substances connexes.
Il s'agit du premier projet approuvé parmi six demandes similaires en France (les autres dossiers à l'instruction étant situés dans le centre du pays, en Lorraine et dans le Jura, ainsi que dans les Pyrénées-Atlantiques). Une autre demande de permis a été déposée en mars 2023 par 45-8 ENERGY et Storengy pour une zone voisine de 266 km², dont 10 km jouxtent le projet « Sauve Terre H2 ».
On en trouve d'ailleurs aussi côté espagnol, où l'entreprise Helios Aragón veut exploiter un puits foré il y a cinquante ans. « À l'époque, ça n'intéressait personne », souligne la scientifique Isabelle Moretti. La société espagnole table sur une réserve de 1,1 million de tonnes d'hydrogène naturel, qui pourrait être produit à un prix avoisinant un euro le kilo, « soit moitié moins cher » que l'hydrogène le plus abordable actuellement - qui lui n'est pas décarboné.
Par la suite, le gouvernement a entre autres octroyé le 21 février 2025 deux nouveaux permis exclusifs de recherche dans les Landes et les Pyrénées (Journal Officiel du 29 mars 2025).
Évaluation d'IFPEN en 2025
IFP Énergies nouvelles a remis fin juin 2025 son rapport(4) dressant un « état des connaissances scientifiques, juridiques et d’acceptabilité sociale, inventaire mondial, zones d’intérêts sur le territoire français » sur l'hydrogène naturel.
Il y est entre autres souligné que « la France hexagonale a un potentiel en H2 naturel avéré dans le Bassin Aquitain, le Piémont pyrénéen, ou le bassin houiller Lorrain(5). En Outre-Mer, la Nouvelle-Calédonie est la zone à plus fort potentiel ».
Financements
Les sociétés demandant des permis sont « pour la plupart de petites compagnies et elles n’ont pas une force de frappe suffisante, ni en personnel ni en fonds propres, pour commencer massivement les acquisitions une fois les permis octroyés », indiquait l'Académie des technologies à l'été 2024.
Le coût des puits à forer est toutefois « relativement bas (en comparaison de puits profonds en mer). Quelques dizaines de millions d’euros suffiraient à les aider à évaluer les zones prospectives ».
L'Académie des technologies appelle les banques comme la BPI à apporter un soutien à ces sociétés. « La labellisation au niveau de la Commission européenne de l’hydrogène naturel comme hydrogène décarboné est évidemment essentielle pour accéder à des subventions potentielles et pour faciliter la commercialisation en cas de découverte ».
Pour la spécialiste Isabelle Moretti, « Beaucoup de chercheurs français travaillent sur l'hydrogène naturel, mais notre avance est en train de se réduire, car certains gouvernements mettent énormément d'argent » dans la filière naissante. Mi-décembre 2023, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé à Toulouse le lancement de « missions d'exploration » de réservoirs d'hydrogène naturel sur tout le territoire, promettant « des financements massifs » dans le domaine.
Et ailleurs dans le monde ?
Des pays « historiquement plus à l’aise avec l’exploitation des richesses du sous-sol ont pris conscience du potentiel des ressources en hydrogène sur leur territoire et accélèrent le développement de cette nouvelle filière », en premier lieu les États-Unis et l'Australie (où deux premiers puits forés près de la ville d'Adélaïde en octobre et novembre 2023 ont en particulier permis une importante découverte d'hydrogène et d'hélium), indique l'Académie des technologies.
Si des campagnes d’exploration se multiplient dans le monde entier, et tout particulièrement en Australie et aux États-Unis, « un seul site, au Mali, produit de l’H2 naturel depuis plus de 10 ans », souligne IFPEN dans son rapport de 2025.
De l'hydrogène naturel y est extrait dans des quantités modestes (1 400 m3 par jour) mais de façon continue. « C'est une découverte qui a changé beaucoup de choses », selon Alain Prinzhofer, qui connaît bien ce gisement situé à 100 mètres de profondeur à Bourakébougou. « On a constaté que la pression y reste constante, voire augmente », ce qui implique un renouvellement des flux « à l'échelle d'un temps humain ».
Selon lui, la bascule est faite dans la filière. Après les recherches pionnières « de petites entreprises qui acceptent le risque [...] les gros pétroliers et les grandes majors de l'énergie sont désormais en embuscade et surveillent l'évolution » du secteur.
« En deux ans, nous sommes passés de questions scientifiques « d’où vient l’hydrogène dans le sous-sol ? », « l’hydrogène peut-il être une ressource ? » à « où prendre des permis d’exploration ? » et « qui sera le premier gros producteur ? ». Les choses avancent très vite… comme souvent plus vite ailleurs qu’en France, et plus vite avec des start-up dédiées que dans les grands groupes ; mais vu le nombre de puits forés en 2023, la réponse à ces questions va venir bientôt », indiquait en 2024 Isabelle Moretti, spécialiste reconnue de l'hydrogène naturel.
Hydrogène vert, blanc, gris... différence et enjeux
Présent naturellement partout sur la planète, l'hydrogène natif dit « blanc » suscite des appétits croissants car il permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées, par rapport à une production à partir d'énergies fossiles (hydrogène « gris »). À condition que son extraction, son stockage et son transport soient moins chers que la fabrication de l'hydrogène industriel (« gris » ou « vert »).
« Par souci de clarification, il est courant d’attribuer une couleur symbolique à l’hydrogène en fonction de son mode de production », rappelle l'Académie des technologies.
On distingue ainsi traditionnellement :
- l'hydrogène « blanc » qui correspond à l'hydrogène naturel ;
- l'hydrogène « gris » produit par vapocraquage du méthane sans captage de CO2 (quasi-totalité de la production mondiale actuelle);
- l'hydrogène « bleu » également produit à partir de sources fossiles, mais avec captage et stockage des émissions de CO₂ associées ;
- l'hydrogène « vert » produit par électrolyse de l'eau, utilisant de l'électricité issue de sources renouvelables.
Mais « ces qualifications peuvent conduire à des ambiguïtés : par exemple l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau avec les caractéristiques du mix électrique mondial actuel émet plus de CO2 que celui produit par vapocraquage » dans certains cas, souligne l'Académie des technologies.
La note de l'Académie de 2024 mentionne également l’Advanced Research Project Agency-Energy (ARPA-E) aux États-Unis qui a dédié un budget de 20 millions de dollars essentiellement affecté à des projets de recherche sur la génération d’hydrogène par injection d’eau dans des roches riches en fer. Cet hydrogène non naturel est dit « orange ». On peut aussi appeler hydrogène « jaune » celui crée à partir de nucléaire.
Actuellement, plus de 95% de l’hydrogène utilisé dans le monde est produit à partir des hydrocarbures et du charbon (vaporeformage du méthane, gazéification du charbon). L’hydrogène « bas carbone » ou « vert », généré par électrolyse de l’eau en utilisant de l'électricité provenant d’énergies renouvelables compte pour moins de 0,5% des volumes d'hydrogène consommés.


